Les homophones grammaticaux : quelles sont les difficultés réelles des élèves?

23/06/2021 13:00:00

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Rappelons d’entrée de jeu que lorsque le terme homophone est employé, il s’agit d’un raccourci utile pour parler des difficultés dans l’écriture des mots homophones hétérographes, ces mots qui se disent de la même façon, mais qui s’écrivent différemment. Si ce terme s’avère utile pour en discuter entre enseignants et enseignantes, il vaut mieux le bannir devant les élèves pour éviter la confusion avec une classe de mots tel qu’expliqué dans le billet précédent. Voyons maintenant à quel point l’orthographe de ces mots constitue un problème pour les élèves, à partir de quelques recherches québécoises récentes qui fournissent un bon aperçu des performances des élèves en matière d’homophones, chacune à leur manière.

Les erreurs d’homophones par rapport aux erreurs d’accord

Boivin et Pinsonneault (2018) dressent un portrait exhaustif des erreurs d’orthographe et de syntaxe dans des textes d’élèves à la fin de chaque cycle scolaire, soit en 4e et 6e primaire et en 2e et 5e secondaire (près de 1000 textes analysés au total). Ces textes proviennent des épreuves d’écriture du ministère de 2012. Parmi les erreurs de syntaxe, la catégorie des erreurs d’homophones contient essentiellement les homophones grammaticaux qui impliquent différentes classes de mots (ex.: on pronom et ont, verbe avoir) ainsi que les terminaisons verbales homophoniques en /E/ (i.e. les graphies -é, -er, -ai, -ez). Les résultats sont rapportés par portion de 100 mots. La figure 1 présente les erreurs d’homophones pour chaque niveau en comparaison aux erreurs d’accords. La bonne nouvelle est que les élèves progressent d’un niveau à l’autre.

Figure 1. Nombre moyen d’erreurs par 100 mots de texte (adapté de Boivin et Pinsonneault [2018]).

Toutefois, deux constats s’imposent à la lecture de la figure 1:

  • La catégorie des erreurs d’homophones est importante: elle représente à elle seule la moitié du total des erreurs d’accords en 6e primaire et 2e secondaire. Ce n’est qu’en 5e secondaire que cette proportion diminue pour représenter grosso modo le quart des erreurs d’accords, mais il s’agit d’un niveau scolaire que plusieurs élèves n’atteignent pas.
  • On peut se demander si la quasi-stagnation du nombre d’erreurs d’homophones en 6e primaire et 2e secondaire n’est pas attribuable, du moins en partie, aux exercices comme ceux décrits dans le premier billet et qui seraient plus nombreux à ces niveaux scolaires. C’est une hypothèse qui mériterait d’être examinée…

Orthographier correctement un mot homophone représente donc bel et bien une difficulté pour les élèves, une difficulté longue à maitriser tout comme les autres aspects de l’orthographe. Toutefois, Boivin et Pinsonneault (2018, p.57) font remarquer que «certains élèves ne font aucune erreur d’homophonie, et ce, dès la 4e année primaire.» Combien sont-ils à ne pas éprouver de difficulté dans ce domaine? Ces auteures ne le précisent pas, mais une autre recherche fournit des données à cet égard.

Des difficultés qui varient selon les élèves

Jarno, Nadeau et Fisher (2019) ont compilé les réussites et les erreurs pour 6 séries d’homophones grammaticaux fréquents dans 482 textes d’élèves de la 3e année primaire à la 1re secondaire, produits en début d’année scolaire et contenant 100 mots et plus. Les textes contenaient en moyenne 7 occurrences -et au minimum 4- parmi les mots homophones considérés, à savoir les six séries suivantes:

  • à (prép.) – a (verbe)
  • ce (pron. ou dét.) – se (pron.)
  • ces - ses (dét.) ; c’est - s’est (pron. + verbe)
  • son (dét.) – sont (verbe)
  • on (pron.) – ont (verbe)
  • ou (conj.) – (pron. relatif)

Dans ces textes, sur les 482 élèves, 201 ont correctement orthographié tous les mots homophones ciblés dans leur texte, soit environ 42% d’entre eux. S’agit-il surtout des plus âgés? Pas seulement, comme le montre le tableau 1.

Tableau 1
Proportion d’élèves sans erreur d’homophones dans leur texte, selon le cycle scolaire
(adapté de Jarno El Hilali, Nadeau & Fisher [2019])

2e cycle primaire 3e cycle primaire 1re secondaire Total des élèves
% d’élèves sans erreur 30% 47% 52% 42%
Nombre d’élèves 60 sur 198 64 sur 136 77 sur 148 201 sur 482

Ainsi, pour de nombreux élèves, même les plus jeunes, il semble que l’orthographe des homophones ne pose pas de véritable difficulté.

Des difficultés qui varient selon les séries de mots homophones

Les deux recherches qui précèdent, Boivin & Pinsonneault (2018) et Jarno El Hilali et al. (2019), considèrent les erreurs d’homophones de manière globale, mais certains de ces mots présentent-ils plus de difficulté que d’autres? Giguère et Aldama (2019) se sont penchées sur cette question en examinant 119 textes d’élèves du 3e cycle primaire. Dans cette étude qui porte sur un seul cycle scolaire, les homophones grammaticaux de 22 séries ont été relevés, y compris les finales verbales en /E/.

Giguère et Aldama (2019) examinent d’abord la fréquence de ces homophones, sans égard à la justesse de la graphie. Si ces mots sont fréquents dans les textes des élèves de manière générale (presque un mot sur cinq est un homophone), certaines séries sont nettement plus fréquentes que d’autres.

  • Deux séries sont très fréquentes: les terminaisons verbales en /E/ (24.5% des homophones relevés) et la série a/à (14% des homophones).
  • La moitié des séries considérées, 11 sur 22, ont une fréquence négligeable. Par exemple, les mots leur ou leurs sont relevés 12 fois parmi les 2441 homophones présents (soit 0.5% des homophones du corpus).

Considérons maintenant la réussite de l’orthographe des homophones dans les séries pour lesquelles Giguère et Aldama (2019) ont relevé au moins 90 occurrences. Les résultats montrent une réussite inégale par rapport à la moyenne de 91,2% (toutes séries confondues) selon la série considérée et selon le mot considéré dans une série. Ainsi, la grande réussite des séries suivantes peut s’expliquer par la très grande fréquence du déterminant dans la série:

  • mon / m’ont (100% de réussite; 133 occurrences de mon, aucune de m’ont)
  • les / l’ai / l’est (100% de réussite; 168 occurrences du dét. les, 11 du pronom, 3 de l’ai et 0 de l’est)
  • la / là / l’a (99.5% de réussite; 195 occurrences du dét. la, 7 du pronom, 3 de l’a et 14 de )
  • ma / m’a (97.5% de réussite; 142 occurrences du dét. ma, 9 de m’a)

La série mais/mes/m’est/met constitue une exception car elle est très réussie (96.1%) malgré un bon nombre d’occurrences de deux formes: 89 occurrences du déterminant mes, 60 de mais (et 4 occurrences des deux autres formes). En effet, lorsque deux mots d’une série sont assez fréquents, le taux de réussite baisse généralement sous la moyenne:

  • les finales verbales en -é/-er/-ez (85,6% de réussite; 334 occurrences de l’infinitif en -er et 248 du participe passé ou de l’adjectif en , 15 occurrences de la finale -ez)
  • a/à (86,7% de réussite; 193 occurrences de la préposition à et 146 de la forme verbale a)

Il en est de même pour les séries ce/se, on/ont et ces/ses/c’est/s’est/sais.

Au secondaire, l’étude de Champoux (2018) à partir de 136 textes de plus de 300 mots, de la 1re sec. à la 5e sec., obtient des résultats semblables: les trois séries qui posent le plus de difficulté sont les finales verbales en /E/, suivi des séries s’est/c’est/ces/ses et se/ce. En somme, il s’agit des séries où chaque forme est assez fréquente.

En résumé

Trois constats ressortent de ces études sur les performances des élèves:

  • L’écriture des homophones n’est pas un problème pour de nombreux élèves;
  • Plusieurs mots sont très réussis parce que très fréquents, beaucoup plus que les autres formes de leur série. C’est le cas des déterminants.
  • Les difficultés qui persistent proviennent surtout de séries dont chaque forme est relativement fréquente, comme les formes verbales en /E/ qui sont reconnues comme une difficulté majeure de l’orthographe du français (Brissaud et al. 2006).

Des conséquences pour l’enseignement

Ce billet et le précédent nous permettent de retenir les pistes suivantes pour l’enseignement de l’orthographe des homophones grammaticaux:

  • Tout travail en classe sur les mots homophones devrait tenir compte des résultats des études qui décrivent les performances des élèves afin de mieux cibler leur enseignement (quels mots homophones traiter, pour quels élèves?).
  • Il vaut mieux éviter de mêler les élèves par des exercices «à trou» qui présentent les homophones par séries artificielles, car plusieurs d’entre eux ne sont pas ou sont très peu confondus avec les autres formes d’une série.
  • Le recours aux connaissances générales sur la grammaire de la phrase semble nécessaire pour résoudre les difficultés persistantes, en particulier la classe de mot dont les caractéristiques sont vérifiables par des manipulations, ou le groupe dans lequel le mot se trouve. Par exemple, si dans une phrase, on recherche systématiquement un verbe, on identifiera les formes des verbes avoir ou être grâce aux caractéristiques du verbe, sans passer par un truc d’homophone.

Nous verrons dans le dernier billet de cette série comment mettre ces principes en application dans les dictées métacognitives interactives et quels progrès en attendre.

Références

Brissaud, C., Chevrot, J.-P. et Lefrançois, P. (2006). Les formes verbales homophones en /E/ entre 8 et 15 ans: contraintes et conflits dans la construction des savoirs sur une difficulté orthographique majeure du français. Langue française, (151), 74-93.

Boivin, M.-C. et Pinsonneault, R. (2018). Les erreurs de syntaxe, d’orthographe grammaticale et d’orthographe lexicale des élèves québécois en contexte de production écrite. Revue canadienne de linguistique appliquée, 21(1), 43-70.

Champoux, M. (2018). L’orthographe des homophones: quelles difficultés pour les élèves du secondaire? Bellaterra Journal of Teaching & Learning Language & Literature, 11(1), 63-84.

Giguère, M.-H. et Aldama, R. (2019). Les homophones grammaticaux, portrait actuel des occurrences et des taux de réussite chez des élèves de 9 à 12 ans. Revue canadienne de linguistique appliquée, 22(2), 133–155.

Jarno El Hilali, G., Nadeau, M. et Fisher, C. (2019). L’effet des dictées métacognitives-interactives sur la compétence à orthographier les homophones grammaticaux en rédaction. Repères, 60,45-63.

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