Rappelons d’entrée de jeu que lorsque le terme homophone est employé, il s’agit d’un raccourci utile pour parler des difficultés dans l’écriture des mots homophones hétérographes, ces mots qui se disent de la même façon, mais qui s’écrivent différemment. Si ce terme s’avère utile pour en discuter entre enseignants et enseignantes, il vaut mieux le bannir devant les élèves pour éviter la confusion avec une classe de mots tel qu’expliqué dans le billet précédent. Voyons maintenant à quel point l’orthographe de ces mots constitue un problème pour les élèves, à partir de quelques recherches québécoises récentes qui fournissent un bon aperçu des performances des élèves en matière d’homophones, chacune à leur manière.
Les erreurs d’homophones par rapport aux erreurs d’accord
Boivin et Pinsonneault (2018) dressent un portrait exhaustif des erreurs d’orthographe et de syntaxe dans des textes d’élèves à la fin de chaque cycle scolaire, soit en 4e et 6e primaire et en 2e et 5e secondaire (près de 1000 textes analysés au total). Ces textes proviennent des épreuves d’écriture du ministère de 2012. Parmi les erreurs de syntaxe, la catégorie des erreurs d’homophones contient essentiellement les homophones grammaticaux qui impliquent différentes classes de mots (ex.: on pronom et ont, verbe avoir) ainsi que les terminaisons verbales homophoniques en /E/ (i.e. les graphies -é, -er, -ai, -ez). Les résultats sont rapportés par portion de 100 mots. La figure 1 présente les erreurs d’homophones pour chaque niveau en comparaison aux erreurs d’accords. La bonne nouvelle est que les élèves progressent d’un niveau à l’autre.
Figure 1. Nombre moyen d’erreurs par 100 mots de texte (adapté de Boivin et Pinsonneault [2018]).
Toutefois, deux constats s’imposent à la lecture de la figure 1:
Orthographier correctement un mot homophone représente donc bel et bien une difficulté pour les élèves, une difficulté longue à maitriser tout comme les autres aspects de l’orthographe. Toutefois, Boivin et Pinsonneault (2018, p.57) font remarquer que «certains élèves ne font aucune erreur d’homophonie, et ce, dès la 4e année primaire.» Combien sont-ils à ne pas éprouver de difficulté dans ce domaine? Ces auteures ne le précisent pas, mais une autre recherche fournit des données à cet égard.
Des difficultés qui varient selon les élèves
Jarno, Nadeau et Fisher (2019) ont compilé les réussites et les erreurs pour 6 séries d’homophones grammaticaux fréquents dans 482 textes d’élèves de la 3e année primaire à la 1re secondaire, produits en début d’année scolaire et contenant 100 mots et plus. Les textes contenaient en moyenne 7 occurrences -et au minimum 4- parmi les mots homophones considérés, à savoir les six séries suivantes:
Dans ces textes, sur les 482 élèves, 201 ont correctement orthographié tous les mots homophones ciblés dans leur texte, soit environ 42% d’entre eux. S’agit-il surtout des plus âgés? Pas seulement, comme le montre le tableau 1.
Tableau 1 |
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2e cycle primaire | 3e cycle primaire | 1re secondaire | Total des élèves | |
% d’élèves sans erreur | 30% | 47% | 52% | 42% |
Nombre d’élèves | 60 sur 198 | 64 sur 136 | 77 sur 148 | 201 sur 482 |
Ainsi, pour de nombreux élèves, même les plus jeunes, il semble que l’orthographe des homophones ne pose pas de véritable difficulté.
Des difficultés qui varient selon les séries de mots homophones
Les deux recherches qui précèdent, Boivin & Pinsonneault (2018) et Jarno El Hilali et al. (2019), considèrent les erreurs d’homophones de manière globale, mais certains de ces mots présentent-ils plus de difficulté que d’autres? Giguère et Aldama (2019) se sont penchées sur cette question en examinant 119 textes d’élèves du 3e cycle primaire. Dans cette étude qui porte sur un seul cycle scolaire, les homophones grammaticaux de 22 séries ont été relevés, y compris les finales verbales en /E/.
Giguère et Aldama (2019) examinent d’abord la fréquence de ces homophones, sans égard à la justesse de la graphie. Si ces mots sont fréquents dans les textes des élèves de manière générale (presque un mot sur cinq est un homophone), certaines séries sont nettement plus fréquentes que d’autres.
Considérons maintenant la réussite de l’orthographe des homophones dans les séries pour lesquelles Giguère et Aldama (2019) ont relevé au moins 90 occurrences. Les résultats montrent une réussite inégale par rapport à la moyenne de 91,2% (toutes séries confondues) selon la série considérée et selon le mot considéré dans une série. Ainsi, la grande réussite des séries suivantes peut s’expliquer par la très grande fréquence du déterminant dans la série:
La série mais/mes/m’est/met constitue une exception car elle est très réussie (96.1%) malgré un bon nombre d’occurrences de deux formes: 89 occurrences du déterminant mes, 60 de mais (et 4 occurrences des deux autres formes). En effet, lorsque deux mots d’une série sont assez fréquents, le taux de réussite baisse généralement sous la moyenne:
Il en est de même pour les séries ce/se, on/ont et ces/ses/c’est/s’est/sais.
Au secondaire, l’étude de Champoux (2018) à partir de 136 textes de plus de 300 mots, de la 1re sec. à la 5e sec., obtient des résultats semblables: les trois séries qui posent le plus de difficulté sont les finales verbales en /E/, suivi des séries s’est/c’est/ces/ses et se/ce. En somme, il s’agit des séries où chaque forme est assez fréquente.
En résumé
Trois constats ressortent de ces études sur les performances des élèves:
Des conséquences pour l’enseignement
Ce billet et le précédent nous permettent de retenir les pistes suivantes pour l’enseignement de l’orthographe des homophones grammaticaux:
Nous verrons dans le dernier billet de cette série comment mettre ces principes en application dans les dictées métacognitives interactives et quels progrès en attendre.
Références
Brissaud, C., Chevrot, J.-P. et Lefrançois, P. (2006). Les formes verbales homophones en /E/ entre 8 et 15 ans: contraintes et conflits dans la construction des savoirs sur une difficulté orthographique majeure du français. Langue française, (151), 74-93.
Boivin, M.-C. et Pinsonneault, R. (2018). Les erreurs de syntaxe, d’orthographe grammaticale et d’orthographe lexicale des élèves québécois en contexte de production écrite. Revue canadienne de linguistique appliquée, 21(1), 43-70.
Champoux, M. (2018). L’orthographe des homophones: quelles difficultés pour les élèves du secondaire? Bellaterra Journal of Teaching & Learning Language & Literature, 11(1), 63-84.
Giguère, M.-H. et Aldama, R. (2019). Les homophones grammaticaux, portrait actuel des occurrences et des taux de réussite chez des élèves de 9 à 12 ans. Revue canadienne de linguistique appliquée, 22(2), 133–155.
Jarno El Hilali, G., Nadeau, M. et Fisher, C. (2019). L’effet des dictées métacognitives-interactives sur la compétence à orthographier les homophones grammaticaux en rédaction. Repères, 60,45-63.
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Une expédition irrégulière