Faut-il enseigner les homophones?

28/11/2018 10:01:12

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Disparus des programmes de formation depuis le début des années 2000, les homophones grammaticaux [1] ont toujours largement leur place dans les écoles. Plusieurs élèves travaillent avec un des six cahiers d’exercices publiés après 2009 qui en proposent l’enseignement sous la forme la plus traditionnelle : on présente d’abord une série (par exemple : son/sont) en nommant la classe de chacun des mots. On suggère ensuite des remplacements (par exemple : a se remplace par avait), puis on donne des exercices aux élèves afin qu’ils choisissent le bon homophone à inclure dans des phrases trouées. 

Déjà en 1994, Fisher recommandait d’éviter cette association par paire ou par série puisqu’elle fait en sorte que les élèves conçoivent ces mots comme une catégorie grammaticale à part : les homophones ! Or, cette catégorie linguistique n’existe pas : il n’y a aucun lien grammatical entre ces mots; seul le son les relie. De plus, puisque les homophones ne sont plus au programme, les listes qui sont proposées aux élèves reposent bien souvent sur des choix arbitraires. 

Pourquoi les enseignants poursuivent-ils cet enseignement en dépit des prescriptions ministérielles et malgré les recommandations des didacticiens depuis plus de 25 ans ? Boivin et Pinsonneault (2014) et Champoux (2015) apportent un élément de réponse : 15 % des erreurs de syntaxe proviennent des homophones grammaticaux mal orthographiés. Les enseignants se sentent donc peut-être obligés de fournir des outils aux élèves pour remédier à leurs difficultés, d’autant plus que ces outils ont semblé fonctionner pour eux-mêmes. Or, choisir aléatoirement des homophones à présenter ne répond pas nécessairement aux besoins des élèves. Une étude récente que nous avons menée a permis de vérifier quels homophones utilisent des élèves québécois au 3e cycle du primaire, et lesquels sont les plus réussis et ratés. 

Quels homophones sont réellement utilisés par les élèves ?

Dans l’étude, les élèves ont écrit un texte d’environ une page sur le sujet de leur choix. Sur l’ensemble des 2441 homophones identifiés, les élèves utilisent naturellement les finales en er, é et ez à une très grande fréquence (25 % de tous les homophones recensés). Suivent les séries a/à (14 %), la/là/l’a (9 %), les/l’est/l’ai (8 %) et mais/mes à égalité avec on/ont (6 %). Les fréquences descendent ensuite sous la barre des 5 % des mots homophones utilisés spontanément dans les textes des élèves (dont les séries mon, est, ce, ces). Certains homophones des séries sont plus fréquents que d’autres.

Voici un tableau qui présente les mots homophones les plus fréquents et la fréquence d’utilisation de chaque homophone dans sa série:

Homophones

Fréquence globale de la série

Fréquence dans la série

-er

 

 

25%

56%

-é (participes passés)

32%

-é (adjectifs)

10%

-ez

2%

A

 

14%

57%

À

43%

La

 

9%

89%

Environ 10%

l’a

moins de 1%

Quels homophones sont les plus problématiques ?

Le corpus analysé comptait 2441 mots homophones, dont 2225 qui ont été correctement orthographiés, soit un taux de réussite de 91,2 %. La série les (les/l’est/l’ait) montre d’ailleurs un taux de réussite de 100 %, tout comme les séries mon/m’ont, ni/n’y, si/s’y, sur/sûr (ces trois dernières sont cependant assez rares dans les textes). Ce sont les catégories tes/t’est, sa/ça et ces/ses/c’est/s’est/sait qui sont les plus problématiques, avec des taux de réussite allant de 66 % à 78 %. Une phrase contenant des fautes typiques serait par exemple : « Sa veut dire que ses difficile. »

Puisque la série ces est la plus manquée (taux de réussite de 78 %), l’analyse va plus en profondeur : le déterminant ses est mal utilisé dans 50 % des cas, tout comme le verbe pronominal s’est ou s’était (taux de réussite de 16 %). Surprise : les formes présentatives c’est et c’était obtiennent des taux de réussite de 91,5 % et 100 % ! Cela veut dire que, chaque fois que les élèves ont employé c’était, son orthographe était correcte. En revanche, puisque les erreurs se situent principalement sur les formes pronominales, cela veut dire que les élèves ont utilisé s’est au lieu d’une autre forme comme dans : « S’est ma sœur. S’est vrai ! »

Dans les séries fréquentes, ce sont les verbes se terminant par ez qui sont les plus manqués de la série des finales en é (53 % de taux de réussite), de même que le verbe avoir qui pose problème. En effet, a obtient un taux de réussite de 74 % (96 % pour à), et ont, un taux de 58 % (97 % pour on) comme dans : « Le livre à une fin drôle. Ils on fini. » Chaque fois, c’est la catégorie grammaticale des verbes qui est principalement manquée dans la série. 

Quels conseils peut-on tirer de ces résultats ?

Comme les didacticiens le martèlent depuis des décennies, l’enseignement du concept « homophone » devrait être relégué aux oubliettes en tant que classe de mots. Cela ne veut pas dire d’arrêter d’enseigner ce type de difficulté orthographique ! Il faut surtout arrêter d’en faire une catégorie grammaticale en :

1) les affichant en séries dans la classe;

2) les incluant comme une catégorie dans les codes de correction; 

3) les présentant en séries dans les leçons.

Au lieu de viser un « truc », l’enseignement devrait se centrer sur les classes de mots, principalement les verbes, dans des contextes de phrases. 

Les activités de classements de mots de même que des exemples contrastés (Barth, 2013) permettent aussi aux élèves de mieux conceptualiser les classes de mots : par exemple, a et ont font partie de la conjugaison du verbe avoir, est et sont, du verbe être (Cogis, 2005). Nadeau et Fisher (2014) ont également montré que la pratique régulière de dictées métacognitives, comme la dictée zéro faute et la phrase dictée du jour, améliorait l’orthographe des homophones, et ce, en l’espace d’une année. En exigeant un raisonnement grammatical complet appuyé sur les manipulations syntaxiques (MELS, 2009, p. 64), l’enseignant permet à l’élève de percevoir les groupes de mots et la phrase comme des unités à traiter dans la résolution de problèmes orthographiques. Enfin, pour travailler les formes disjointes (par exemple t’a, l’a, l’ont…), il importe de travailler la manipulation du retour à la phrase de base pour comprendre la structure syntaxique sous-jacente de la reprise pronominale. 

Il t’a dit oui. -> Il a dit oui à toi.

Ma fille l’a dit tellement souvent ! -> Ma fille a dit cela tellement souvent !

Parions que les élèves y gagneront en orthographe, mais également en compréhension de lecture.

Références

Barth, B.-M. (2013). L’apprentissage de l’abstraction. Paris, France : Éditions Retz. 

Boivin, M.-C. et Pinsonneault, R. (2014). Étude sur les erreurs de syntaxe, d’orthographe grammaticale et d’orthographe lexicale des élèves québécois en contexte de production écrite. Récupéré du Rapport de recherche déposé au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, décembre 2014.

Champoux, M. (2015). Portrait des difficultés du secondaire relativement à l'orthographe des formes homophones. (Maitrise), Université de Montréal, Montréal.   

Cogis, D. (2005). Pour enseigner et apprendre l'orthographe : nouveaux enjeux, pratiques nouvelles, école, collège. Paris, France : Éditions Delagrave.

Fisher, C. (1994). Les homophones dans l’enseignement de l’écrit. Dialangue – Bulletin de linguistique, 5, 9-17. 

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2009). Progression des apprentissages au primaire –  Français, langue d’enseignement. 

Nadeau, M. et Fisher, C. (2014). Expérimentation de pratiques innovantes, la dictée 0 faute et la phrase dictée du jour, et étude de leur impact sur la compétence orthographique des élèves en production de texte. Rapport de recherche : Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC). Récupéré de :

http://www.frqsc.gouv.qc.ca/documents/11326/449040/PT_NadeauM_rapport+2014_Dict%C3%A9e+impact+orthographique.pdf/f2307696-6f26-4ea0-965f-433a9fbe0a54

[1] Nous appelons les homophones grammaticaux les mots qui se prononcent de la même façon, mais qui changent de catégorie grammaticale (par exemple : sont/son, a/à, ou/où).

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