Les homophones grammaticaux : pourquoi leur enseignement par trucs est-il à éviter?

16/06/2021 13:00:00

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Faut-il encore enseigner les homophones? Cette question mérite encore réflexion! Nous tenterons d’y répondre dans une série de trois billets portant sur les homophones grammaticaux: le premier se centre sur l’approche habituelle et ses inconvénients, le deuxième, sur ce que l’on sait des difficultés des élèves, tandis que le dernier traitera du «comment faire» par la pratique des dictées métacognitives interactives.

1. Que disent les programmes?

Faut-il encore le préciser: dans le programme de formation de l’école québécoise au secondaire, le mot homophone n’apparait pas et la seule mention figurant dans la Progression des apprentissages se lit: «Distinguer les finales verbales homophoniques [en /e/ et en /i/]» (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2011b, p. 61). Du côté du primaire, la Progression propose comme moyen de lever une ambigüité graphique: «Associer un mot à sa classe de mots […], à un synonyme, à un mot générique […], à sa famille morphologique […] ou à un court contexte pour le distinguer d’un homophone» (MELS, 2011a, p. 18).

En fait, suggérer un enseignement direct des homophones ne fait plus partie des programmes de français au Québec depuis la fin des années 1990. Qu’est-ce donc qui amène les enseignants et enseignantes à faire des leçons sur les homophones ou à penser qu’ils devraient le faire? L’explication tient avant tout au contenu du matériel scolaire, notamment des cahiers d’exercices.

2. L’approche habituelle pour «enseigner» les homophones et ses inconvénients

La manière de faire est bien connue: elle consiste à présenter aux élèves des listes de mots grammaticaux homophones, souvent par paires, en leur fournissant un «truc» pour les différencier avec, parfois, quelques indications grammaticales (ex.: a est un verbe et à est une préposition). Devant un doute orthographique, le scripteur doit se remémorer le «truc», l’appliquer et choisir la bonne forme en fonction du résultat obtenu. Plus la liste d’homophones à l’étude est longue, plus le nombre de trucs à mémoriser l’est.

Le terme homophone est en fait un raccourci pour parler des mots homophones hétérographes, qui répondent au principe voulant que la graphie permette de distinguer les formes phonétiquement semblables. L’hétérographie est constitutive de l’orthographe du français et de bien d’autres langues (Jaffré, 2006). Elle est le résultat d’une longue histoire et représente un avantage considérable pour le lecteur, mais une difficulté pour le scripteur. Puisqu’il convient de préconiser un enseignement qui amène les élèves à développer leurs compétences orthographiques tout en comprenant mieux le fonctionnement de la langue, l’enseignement des homophones par listes et trucs n’est pas à recommander. Les raisons tiennent à ce que l’on sait à la fois des processus d’apprentissage, du fonctionnement du système orthographique et de la manière dont les élèves se l’approprient.

Sur le plan de l’apprentissage, d’abord, une telle approche isole un aspect de l’orthographe comme s’il ne participait pas à la logique générale du système. En procédant ainsi, les élèves en viennent à voir dans les homophones une nouvelle catégorie de mots, sur le même pied que les noms ou les verbes (Nadeau et Fisher, 2006; Boivin et Pinsonneault, 2012). De plus, présenter côte à côte à répétition des éléments que l’on veut faire distinguer ne fait que renforcer leur association. Et alors que les mots homophones représentent des difficultés variables pour les scripteurs, comme nous le verrons dans le billet suivant, le matériel scolaire incite à les traiter tous, ce qui augmente la confusion dans l’esprit des élèves et renforce le préjugé que l’orthographe est une montagne de règles arbitraires. D’autant plus que les exercices vont jusqu’à mélanger homophones lexicaux et homophones grammaticaux et à suggérer des erreurs improbables, comme dans cet extrait d’un cahier de 1re secondaire: «Québec, c’est (l’as/l’a/la/là) plus vieille ville du Canada. On (l’as/l’a/la/là) nomme aussi (l’as/l’a/la/là) Vieille capitale.» (Boisvert et Lecavalier, 2012, p. 85).

Par ailleurs, recourir à une opération de substitution n’est pas mauvais en soi, mais dans le cas des trucs, la démarche présente plusieurs faiblesses:

  • ce qui est proposé aux élèves est un terme unique (ex.: « Si tu peux remplacer le mot par Léon, il faut écrire on »);
  • la substitution a ses limites, car elle peut donner lieu à des phrases inacceptables (ex.: Ma sœur et moi, on était très contentes => *Ma sœur et moi, Léon était très contentes);
  • comme le procédé repose sur la mémorisation d’un algorithme (ex.: truc A: si oui => forme X / si non => forme Y), les élèves inversent parfois les termes: «Si tu peux remplacer par avait tu écris a» pourra aboutir à «j’écris à».

Fondamentalement, le problème est qu’on demande aux élèves de faire une substitution sans qu’ils comprennent le sens de cette opération: c’est pour eux une simple mécanique. Or ce que la connaissance du cerveau nous enseigne, c’est qu’il vaut mieux comprendre de façon approfondie pour bien mémoriser.

En grammaire moderne, la substitution fait partie des manipulations syntaxiques (avec le déplacement, l’effacement, l’insertion) qui permettent d’analyser des phrases et de mettre en évidence les propriétés des unités qui les composent. Issue des opérations d’analyse fondamentales de la linguistique, elle repose sur le constat que des éléments appartenant à une même classe peuvent commuter dans le cadre d’un énoncé en conservant sa grammaticalité puisqu’ils forment une classe d’équivalence, par exemple: Mon frère regarde le/un/son/ce/ match. L’ensemble des unités qui se trouvent ainsi liées par un rapport virtuel de commutation forme un paradigme. Par ailleurs, les unités grammaticales s’inscrivent aussi dans des séries du fait qu’elles présentent des variations morphologiques liées, par exemple, au genre, au nombre, à la personne, dans le cas des déterminants et des pronoms (ex.: ce/cet/cette/ces; me/te/se/nous…).

Dans le traitement des homophones, il ne s’agit donc pas d’associer mon à m’ont. En effet, à part le fait qu’ils se prononcent de la même façon, ces deux mots n’ont rien en commun et, linguistiquement, rien ne justifie de les rapprocher. Il s’agit plutôt de considérer le paradigme dans lequel chacun entre, autrement dit de faire voir les liens entre, d’un côté, mon/ma/mes, ton/ta/tes… ou d’autres déterminants (le, un, ce), et de l’autre, m’a/-m’ont, t’a/t’ont ou m’avait/m’aurait… C’est sur la base de ces paradigmes que l’opération de substitution peut se faire. Ainsi, en présence du doute il a/à mangé, tenter le remplacement par avait relève du truc, alors que formuler l’hypothèse qu’il peut s’agir du verbe pourra être vérifié par une ou plusieurs substitutions, telles que il avait/il aura/il aurait mangé ou ils ont/ tu as/nous avons mangé, en accord avec le fait qu’un des attributs du verbe est de varier en fonction du temps, de la personne et du mode. L’élève peut alors s’appuyer sur ce qu’il connait des classes de mots et des fonctions syntaxiques pour analyser ce qu’il écrit et faire un choix orthographique juste et assuré. En somme, il peut recourir à ses connaissances générales du système de la langue.

Nous venons de montrer pourquoi le recours aux listes et aux «trucs» pour aider les élèves à résoudre des confusions homophoniques présente de nombreux inconvénients sur le plan de l’apprentissage de l’orthographe grammaticale. Le prochain billet considèrera les besoins des élèves: quelles difficultés les mots homophones représentent-ils réellement pour eux?

Références

Boisvert, J. et Lecavalier, J. (2012). L’express: cahier de grammaire, 1re secondaire. Montréal: ERPI.

Boivin, M.-C. et Pinsonneault, R. (2012). L’orthographe des homophones: une approche syntaxique. La lettre de l’AIRDF, 52, 36-40.

Jaffré, J. P. (2006). Petite genèse de la morphographie: le cas de l’orthographe du français. Rééducation Orthophonique, 225, 19-37.

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2011a). Progression des apprentissages au primaire. Français, langue d’enseignement.http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/pfeq/PDA_PFEQ_francais-langue-enseignement-primaire_2011.pdf

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2011b). Progression des apprentissages au secondaire. Français, langue d’enseignement.http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/pfeq/PDA_PFEQ_francais-langue-enseignement-secondaire_2011.pdf

Nadeau, M. et Fisher, C. (2006). La grammaire nouvelle, la comprendre et l’enseigner. Montréal: Gaëtan Morin.

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