Nous avons montré dans un premier billet les inconvénients de travailler les mots homophones en séries accompagnées de «trucs». Dans un deuxième billet, nous nous sommes arrêtées à l’examen des difficultés réelles que les élèves rencontrent avec les homophones hétérographes. Dans ce dernier billet, nous souhaitons montrer comment cette particularité de notre orthographe s’intègre tout naturellement à la pratique des dictées métacognitives interactives (DMI) et conduit à d’importants progrès chez les élèves.
Rappelons d’abord brièvement en quoi consistent les DMI. Dans la phrase dictée du jour, une phrase est dictée à la classe puis les différentes graphies produites par les élèves sont reportées au tableau. Une discussion s’engage alors pour chaque mot en litige afin d’établir, preuves à l’appui, la ou les graphies qui sont à écarter et celle qui convient. Dans la dictée 0 faute, l’enseignante ou l’enseignant dicte un court texte et reçoit les questions des élèves après chaque phrase. Dans les deux cas, il s’agit de traiter en profondeur tout problème impliquant des notions de grammaire. L’enseignante ou l’enseignant s’emploie à soutenir la réflexion des élèves en les amenant à mobiliser leurs connaissances grammaticales pour justifier leur analyse et résoudre ensemble le problème orthographique posé. Pour plus de précisions sur ces pratiques, des documents et des vidéos de séances en classe, issus de la recherche de Nadeau et Fisher (2014), sont accessibles aux membres du groupe Facebook Dictée 0 faute, Phrase du jour, combinaison de phrases et plus...
Comment traiter les homophones dans les DMI?
Lors des séances de DMI, les diverses graphies des «homophones» sont traitées sans que l’enseignante ou l’enseignant ne mentionne ce mot, et uniquement lorsqu’un doute surgit. C’est ce qui rend l’intervention adaptée aux difficultés réelles des élèves d’une classe.
Il arrive parfois que les élèves parlent eux-mêmes de «truc», il suffit de les ramener aux connaissances générales en grammaire, comme le fait l’enseignant ci-dessous.
Julio : J’ai oublié le truc pour «sont»
Enseignant [Ens.] : Tu hésites entre quoi et quoi? [l’enseignant fait préciser le doute]
Julio : Si ça prend un t à la fin.
Ens. : Tu me demandes si c’est s-o-n ou s-o-n-t. Avant de parler de trucs, il faut savoir c’est quoi la classe des mots. S-o-n : c’est quoi? S-o-n-t : c’est quoi?
Dans les classes expérimentales du projet de Nadeau et Fisher (2014), les DMI ont été réalisées environ une fois par semaine, d’octobre à mai. Les deux exemples qui suivent montrent comment la connaissance des grandes régularités en grammaire sert à résoudre des problèmes orthographiques qui touchent des mots homophones. Ces mêmes connaissances servent également aux accords. C’est ainsi que les élèves apprennent à concevoir la langue comme un système, en ayant toujours recours aux mêmes règles et notions grammaticales.
Exemple 1
Dans l’extrait ci-dessous, enregistré en avril dans une classe de 4e année primaire en milieu défavorisé multiethnique [prénoms fictifs], le contexte syntaxique suffit à choisir la bonne graphie, en particulier les connaissances sur la construction du groupe du nom (GN): devant un nom, on trouve généralement un déterminant.
Exemple 2
Dans cet autre extrait, enregistré en octobre dans une classe de 5e année primaire en milieu défavorisé multiethnique [prénoms fictifs], des connaissances syntaxiques sont invoquées (un sujet s’accorde avec un verbe), puis deux manipulations servent à valider la classe du mot sont comme verbe. On peut remarquer que les élèves, dès octobre, sont capables d’employer le métalangage grammatical lorsque l’enseignant l’utilise lui-même et incite ses élèves à le faire.
À quel point les élèves progressent-ils dans l’écriture des homophones grâce aux DMI?
Dans le billet précédent, nous avons vu avec l’étude de Jarno El Hilali et al. (2019) que, déjà en début d’année scolaire, 42 % des textes d’élèves (201/482) ne contenaient aucune erreur d’homophones. Voyons maintenant comment les autres élèves ont évolué dans l’année, c’est-à-dire ceux dont les textes contenaient des erreurs d’homophones en octobre (soit 58 % des élèves). La figure 1 montre à quel point les progrès sont importants grâce à la pratique des DMI: en mai, très peu d’écart subsiste entre les élèves d’un cycle à l’autre.
Figure 1. Pourcentage d’erreurs d’homophones en octobre et en mai, à la suite de l’intervention par les DMI, dans les textes** des élèves avec erreurs en octobre (adapté de Jarno El Hilali et al., 2019).
*Le pourcentage d’erreurs est calculé par rapport au nombre d’homophones dans le texte.
** Les textes retenus pour l’analyse contiennent au minimum quatre occurrences d’homophones.
Pour mieux voir à quel type d’élèves l’intervention a profité, quatre sous-groupes ont été créés selon leur force au prétest d’octobre, de très faible à fort, peu importe leur niveau scolaire. Comment chaque sous-groupe a-t-il évolué? La figure 2 illustre ces progrès. Les écarts de performance entre ces quatre sous-groupes sont énormes en début d’année: les élèves très faibles font presque cinq fois plus d’erreurs que les forts. Les progrès des élèves faibles et très faibles dans l’écriture des homophones sont remarquables: en mai, leur taux d’erreurs a presque rejoint celui des élèves moyens qui ont également progressé, alors que le taux d’erreurs des élèves forts est demeuré stable (différence d’octobre à mai non significative). L’intervention par les DMI a donc permis aux élèves d’atteindre un haut degré de maitrise dans l’écriture des mots homophones en production écrite et leurs résultats en mai montrent des performances, d’un sous-groupe à l’autre, beaucoup plus homogènes qu’en début d’année.
Figure 2. Pourcentage d’erreurs des sous-groupes avant et après l’intervention par les DMI selon le degré de compétence des élèves en octobre (adapté de Jarno El Hilali et al., 2019).
Conclusion
Les DMI sont des pratiques qui font appel à des connaissances et procédures grammaticales fondées sur les régularités de la langue. Elles permettent aux élèves de verbaliser leurs conceptions et d’apprendre progressivement à mener des raisonnements grammaticaux justes grâce à l’interaction avec les autres et à l’étayage de l’enseignante ou de l’enseignant. Les élèves sont ainsi en mesure de résoudre diverses difficultés orthographiques, dont l’hétérographie des mots homophones. D’une séance de DMI à l’autre, les mêmes connaissances et procédures sont sollicitées et nommées explicitement, ce qui contribue à leur appropriation par les élèves et à leur transfert en écriture.
L’impact positif de ces pratiques sur la production de textes devrait convaincre les enseignantes et enseignants de renoncer à «enseigner les homophones» d’une manière qui associe à répétition ce qu’on veut faire distinguer, et qui crée même de la confusion. Des pratiques mieux fondées font réellement la différence à la fois sur les apprentissages des élèves et sur le plaisir d’enseigner.
Références
Jarno El Hilali, G., Nadeau, M. et Fisher, C. (2019). L’effet des dictées métacognitives-interactives sur la compétence à orthographier les homophones grammaticaux en rédaction. Repères, 60, p. 45-63.
Nadeau, M. et Fisher, C. (2014). Expérimentation de pratiques innovantes, la dictée 0 faute et la phrase dictée du jour, et étude de leur impact sur la compétence orthographique des élèves en production de texte [rapport de recherche – programme actions concertées, projet 2010-ER-137018]. Fonds de recherche Société et culture.
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Une expédition irrégulière