Qu’est-ce qui est le plus lourd: le kilogramme de plumes ou le kilogramme de plomb ? La première chose qui vient à l’esprit lorsque l’on tente de répondre à cette question est la légèreté de la plume comparativement à la lourdeur du plomb. De ce fait, la plupart des gens ont tendance à répondre spontanément que le kilogramme de plomb est plus lourd que le kilogramme de plumes, ce qui n’est pourtant pas exact. En effet, dans cette question, ce qui est comparé n’est pas le poids relatif d’une plume ou du plomb, mais la masse totale d’un kilogramme pour chaque objet. Cet exemple de question «piège» met en évidence qu’il existe des automatismes ou des conceptions intuitives qui peuvent parfois s’immiscer dans le raisonnement et mener à des erreurs. Dans certains cas, il faudrait donc parvenir à résister à ces automatismes. La littérature scientifique a montré que plusieurs apprentissages associés à des conceptions intuitives nécessiteraient d’avoir recours au contrôle inhibiteur, et ce, pour plusieurs disciplines scolaires.
Ce billet vise à discuter du rôle central du contrôle inhibiteur pour différents apprentissages scolaires. Il propose d’abord une définition du contrôle inhibiteur, puis discute de son rôle dans l’apprentissage en détaillant différents exemples en mathématiques, en science, et aussi en français. Enfin, il démontre en quoi une meilleure compréhension du rôle du contrôle inhibiteur dans l’apprentissage est susceptible d’apporter un éclairage intéressant pour l’enseignement.
Le contrôle inhibiteur est un processus cognitif qui permet de résister à la tentation que représentent certains automatismes ou stratégies intuitives et de sélectionner seulement les informations qui sont pertinentes à la réalisation d’une tâche (Houdé, 2014). Dans la question posée en ouverture du billet, l’information pertinente est la masse totale d’un kilogramme, alors que l’information non pertinente est le poids relatif du plomb supérieur à celui de la plume. À l’école, certains apprentissages, notamment en sciences et en mathématiques, peuvent se heurter à des automatismes qui sont très intuitifs et rapides, mais souvent erronés. Par conséquent, ces nouveaux apprentissages nécessitent que les élèves leur résistent en ayant recours au contrôle inhibiteur (Auclair et al., 2020b; Houdé, 2016).
En mathématiques, la résolution de problèmes et les fractions sont des contextes propices à ce type d’erreurs. Effectivement, dans la résolution de problèmes, la formulation des énoncés peut contenir des mots pièges qui compliquent la résolution du problème (Lubin et al., 2013). Par exemple, dans le problème suivant: Amélie a 20 camions rouges. Elle en a 8 de plus que Robert. Combien de camions possède Robert ?, les mots de plus peuvent mener les élèves à poser une addition (20 + 8) au lieu de poser l’opération adéquate, soit une soustraction. Ce même type d’automatisme se produit lors de l’apprentissage des fractions (Obersteiner et al., 2013). Si l’on demande à un élève de comparer 1/10 avec 1/2, il risque spontanément de comparer les dénominateurs (10 et 2), et ainsi de répondre que 1/10 est plus grand que 1/2.
En sciences, on retrouve aussi ce type d’erreurs, notamment concernant la flottabilité (Brault Foisy et al., 2021). Par exemple, croire que les plus gros objets coulent davantage que les plus petits objets est une conception intuitive récurrente, mais erronée. En réalité, la flottabilité ne dépend pas uniquement de la taille d’un objet, mais plutôt de sa masse volumique. Plusieurs autres exemples d’apprentissages scientifiques associés à des conceptions intuitives sont également bien connus et documentés: croire que les choses mobiles sont nécessairement vivantes; que la glace qui fond disparait; qu’il fait plus chaud l’été parce que la Terre est plus près du Soleil, etc. (Potvin, 2016; Thouin, 2017).
Enfin, en français, les accords peuvent aussi être sujets à ces automatismes, comme le fait d’écrire je les manges et non je les mange (Lanoë et al., 2016; Schneider & Tumolo, 2020). Cette erreur serait liée à un automatisme qui fait qu’on accorde au pluriel les mots qui suivent le déterminant les. Dans ce cas-ci, il faut plutôt recourir à la règle de conjugaison appropriée, soit l’accord avec la 1re personne du singulier (les est un pronom dans la phrase).
Des apprentissages scolaires comme ceux-là et bien d’autres nécessiteraient donc non seulement d’apprendre une nouvelle notion ou une nouvelle règle, mais également d’être capable de résister à certaines conceptions intuitives ou à certains automatismes, à l’aide du contrôle inhibiteur (Auclair et al., 2020b; Bélanger et al., 2022). Cependant, le contrôle inhibiteur est une fonction cognitive qui se développe progressivement jusqu’à l’âge adulte, puisqu’il dépend de la maturation du cortex préfrontal. Il apparait donc pertinent de mieux comprendre et identifier les apprentissages nécessitant de faire preuve de contrôle inhibiteur, étant donné que ceux-ci sont susceptibles d’être plus difficiles pour les élèves. À cet égard, quelques pistes ont été identifiées par la recherche afin d’aider les élèves à mobiliser leur contrôle inhibiteur (Auclair et al., 2020a). Parmi elles, le fait de mettre en place des «alertes» pour les aider à repérer les pièges et à mieux leur résister représenterait une stratégie intéressante. Pour ce faire, l’enseignant peut prévenir les élèves, à l’oral, à l’aide d’un pictogramme ou encore à l’écrit, de la présence d’un piège au sein de l’exercice qu’ils doivent compléter. Ce type d’alerte aide les élèves à anticiper qu’ils auront besoin de faire preuve de vigilance pour détecter un piège. Une deuxième piste mise de l’avant dans la littérature consiste à demander aux élèves d’identifier les réponses pièges, c’est-à-dire les réponses qui semblent justes, mais qui mènent à une erreur. Par exemple, pour un exercice donné, l’enseignant pourrait proposer une série de réponses et demander d’identifier non seulement la bonne, mais également celles qui semblent bonnes (qui sont tentantes). Cela permet ainsi aux élèves, petit à petit, de mieux reconnaitre les pièges possibles et de se pratiquer à y résister. En plus de l’identification des réponses pièges, l’enseignant peut aussi amener les élèves à reconnaitre les contextes pièges, c’est-à-dire les types de problèmes dans lesquels des pièges pourraient se trouver. Considérons l’exemple de la résolution de problèmes en mathématiques discuté précédemment. Dans cet exemple, l’erreur récurrente est d’associer de plus à une addition et de moins à une soustraction. Après avoir explicité le piège à éviter, l’enseignant pourrait proposer une série de problèmes similaires et demander aux élèves d’identifier ceux comportant ce piège.
En conclusion, bien que le contrôle inhibiteur se développe graduellement de l’enfance jusqu’au début de l’âge adulte, certaines pistes pédagogiques sont susceptibles de faciliter sa mobilisation par l’élève. En comprenant mieux ce qu’est le contrôle inhibiteur et son rôle dans l’apprentissage, les enseignants peuvent cibler les apprentissages nécessitant la mobilisation du contrôle inhibiteur chez les élèves et adapter leurs interventions pour faciliter ces apprentissages particulièrement difficiles.
Références
Auclair, A., Blanchette Sarrasin, J., & Masson, S. (2020a). Pistes d’intervention favorisant la mobilisation de l’inhibition dans le contexte de certains apprentissages difficiles en mathématiques. Vivre le primaire, 33(2), 26-27.
Auclair, A., Blanchette Sarrasin, J., & Masson, S. (2020b). Quels sont les apprentissages en mathématiques qui sont plus difficiles parce qu’ils nécessitent de l’inhibition? Vivre le primaire, 33(1), 14-15.
Bélanger, É., Brault Foisy, L.-M., & Masson, S. (2022). Démystifier le rôle du contrôle inhibiteur pour mieux accompagner ses élèves. Vivre le primaire, 35(2), 59-63.
Brault Foisy, L.-M., Ahr, E., Blanchette Sarrasin, J., Potvin, P., Houdé, O., Masson, S., & Borst, G. (2021). Inhibitory control and the understanding of buoyancy from childhood to adulthood. Journal of Experimental Child Psychology, 208, 18, Article 105155. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0022096521000734
Houdé, O. (2014). Apprendre à résister. Le Pommier.
Houdé, O. (2016). La théorie de l’inhibition cognitive: aller-retour du labo à l’école. Vivre le primaire, 29(3), 49-50.
Lanoë, C., Vidal, J., Lubin, A., Houdé, O., & Borst, G. (2016). Inhibitory control is needed to overcome written verb inflection errors: Evidence from a developmental negative priming study. Cognitive Development, 37, 18-27. https://doi.org/10.1016/j.cogdev.2015.10.005
Lubin, A., Vidal, J., Lanoë, C., Houdé, O., & Borst, G. (2013). Inhibitory control is needed for the resolution of arithmetic word problems: A developmental negative priming study. Journal of Educational Psychology, 105(3), 701-708. https://doi.org/10.1037/a0032625
Obersteiner, A., Van Dooren, W., Van Hoof, J., & Verschaffel, L. (2013). The natural number bias and magnitude representation in fraction comparison by expert mathematicians. Learning and Instruction, 28, 64-72. https://doi.org/10.1016/j.learninstruc.2013.05.003
Potvin, P. (2016). Transformer ou inhiber les conceptions initiales des élèves en sciences? Vivre le primaire, 29(3), 60-61.
Schneider, P., & Tumolo, N. (2020). L’exercice du contrôle inhibiteur au service de l’apprentissage (Travail de Bachelor). Haute École pédagogique Fribourg, Suisse. https://folia.unifr.ch/unifr/documents/312787
Thouin, M. (2017). Enseigner les sciences et les technologies au préscolaire et au primaire (3e éd.). Éditions MultiMondes.
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