Les fonctions exécutives et la réussite éducative

21/12/2016 10:44:54

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La réussite éducative est un sujet qui se trouve au cœur des préoccupations actuelles, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde. Au plan provincial, la vaste consultation publique sur la réussite éducative, lancée à l’automne 2016 par le gouvernement du Québec, témoigne du souci y étant porté. Pour cause, dès l’entrée à la maternelle, on observe des niveaux inégaux de réussite chez les enfants. À titre indicatif, l’Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle révèle qu’un enfant sur quatre est vulnérable dans au moins un domaine de développement lors de son entrée à l’école (Simard, Tremblay, Lavoie, & Audet, 2013), ceci ayant un effet sur sa réussite éducative ultérieure. Comment pouvons-nous favoriser la réussite éducative de l’enfant lors de son entrée à l’école, voire soutenir son rendement scolaire futur?

De manière à répondre à cette question, de plus en plus de chercheurs soulignent l’importance de soutenir les fonctions exécutives (FE), définies comme une assise sur laquelle reposent un ensemble de processus cognitifs interdépendants qui permettent à l’enfant de coordonner intentionnellement ses pensées et ses actions (Bierman & Torres, 2016). Dès la maternelle, les habiletés associées aux FE, telles que la mémoire de travail (MdT), l’inhibition, la flexibilité mentale et la planification, permettent à l’enfant de s’ajuster aux exigences du milieu éducatif, ce qui lui permet de se développer, d’apprendre et de s’investir dans des situations d’apprentissage issues du jeu et de l’activité spontanée. Les FE représentent donc une fondation sur laquelle reposent les habiletés, les aptitudes et les compétences de l’enfant, impliquées dans sa réussite éducative. Les paragraphes ci-dessous visent à montrer des liens qui sont établis entre les FE de l’enfant et des habiletés associées à sa réussite éducative.

 

Les FE et l’émergence de la mathématique

Dès la petite enfance (0-6 ans), on peut observer des liens entre le niveau des FE et les compétences de l’enfant en numératie, soit l’émergence des compétences faisant appel à des concepts mathématiques. Le niveau des FE permet notamment à l’enfant de réaliser des activités complexes, telles que la résolution de problèmes et la catégorisation (Moriguchi, Chevalier, & Zelazo, 2016). Plus précisément, Clark, Nelson, Garza, Sheffield, Wiebe et Espy (2014) ont montré que les habiletés de planification et d’inhibition mesurées à l'âge de 4 ans étaient associées aux compétences à réaliser des situations d’apprentissage en mathématiques en 1re année du primaire. Pour leur part, Kroesbergen, van Luit, van Lieshout, van Loosbroek et van de Rijt (2009) ont dévoilé que la planification, la MdT et l’inhibition étaient reliées aux compétences en numératie chez les enfants de 5-6 ans, elles-mêmes prédictives de leur réussite éducative ultérieure. Par ailleurs, les enfants qui présentent de faibles capacités en MdT sont plus susceptibles de vivre des difficultés à retenir les consignes d’une situation, à opérer des calculs mentaux ainsi qu’à conserver en mémoire de l’information pertinente (Cosnefroy, 2010), éléments auxquels ils sont susceptibles de recourir lors de leur arrivée en classe primaire.

 

Les FE et l’émergence de la lecture

Outre le lien entre les FE et l’émergence de la mathématique, des chercheurs (notamment Im-Bolter, Johnson, & Pascual-Leone, 2006) ont montré que le niveau des FE chez les jeunes enfants s’avère un fort prédicteur du développement du langage. Notons que le développement du langage oral constitue la base sur laquelle repose le langage écrit. On remarque également une association positive et significative entre les habiletés liées aux FE et les stratégies de lecture chez les enfants (Van der Sluis, de Jong, & van der Leij, 2007; Welsh, Nix, Blair, Bierman, & Nelson, 2010). Par exemple, une étude menée aux États-Unis a démontré que le niveau d’habileté en flexibilité mentale des enfants âgés de 5 ans prédit leurs capacités de décodage et de reconnaissance des mots à la fin de la maternelle (Welsh et al., 2010). Plus récemment, Engel de Abreu et al. (2016) ont montré que le niveau de MdT s’avère prédictif des différences individuelles dans le rendement en lecture chez les enfants âgés de 6 à 8 ans. Ceci s’explique par le fait que les habiletés liées à la MdT permettent à l’enfant de retenir et de décoder des informations qui lui sont nécessaires lors de la compréhension en lecture (Engel de Abreu et al., 2016).

 

Les FE et les habiletés affectives et sociales

Différentes données de recherche (p. ex. Denham, Bassett, Sirotkin, & Zinsser, 2013; Ursache, Blair, & Raver, 2012) suggèrent que les FE pourraient influencer les habiletés socioaffectives de l’enfant, qui elles, influencent sa réussite éducative. Effectivement, les FE jouent un rôle important dans le développement des compétences sociales des jeunes enfants, en plus de contribuer à la théorie de l’esprit et à la régulation des émotions (Moriguchi et al., 2016). La théorie de l’esprit se définit comme étant la capacité de l’enfant à attribuer des états mentaux (p. ex. des pensées, des croyances, des sentiments, des désirs) aux autres et à lui-même. Pour sa part, la régulation des émotions (contrôle des émotions) consiste à l’habileté à agir sur ses propres émotions, dans l’optique de les ajuster aux demandes de l’environnement, afin d’assurer son bienêtre. En somme, les FE contribuent à favoriser les habiletés socioaffectives de l’enfant, ce qui l’amène à développer des interactions de qualité (p. ex. positives et chaleureuses) avec les pairs et les adultes, qui elles, en retour, facilitent l’apprentissage et la réussite éducative.

 

Conclusion

Les données présentées dans cet article mettent en évidence le rôle fondamental que jouent les FE dans le développement et l’apprentissage de l’enfant et, par extension, sa réussite éducative présente et ultérieure. Les habiletés liées aux FE chez les jeunes enfants prédisent non seulement la réussite éducative, elles seraient également associées au niveau de santé (p. ex. la santé mentale) et au statut socioéconomique au cours de l’âge adulte (Moriguchi et al., 2016)! Considérant l’importance de celles-ci pour la réussite et le bienêtre des enfants, dès leur entrée à l’école, il importe de réfléchir aux manières de les favoriser, tout en se souciant de l’approche privilégiée par les programmes éducatifs (p. ex. l’approche développementale à l’éducation préscolaire). Comment l’environnement éducatif peut-il contribuer au soutien des habiletés liées aux FE@f0

 

Références

Bierman, K. L., & Torres, M. (2016 ). Promoting the Development of Executive Functions Through Early Education and Prevention Programs. Dans J. A. Griffin, P. McCardle, & L. S. Freund (Éds), Executive Function in Preschool Age Children (pp. 299-326). Washington, DC: American Psychological Association.

Clark, C. A., Nelson, J. M., Garza, J., Sheffield, T. D, Wiebe, S. A., & Espy, K. A. (2014). Gaining control: changing relations between executive control and processing speed and their relevance for mathematics achievement over course of the preschool period. Frontiers in Psychology. Repéré à http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fpsyg.2014.00107/full

Cosnefroy, O. (2010). Âge d’entrée à l’école élémentaire, habiletés d'autorégulation en classe et devenir scolaire des enfants. Thèse de doctorat inédite, Université de Nantes, France.

Denham, S. A., Bassett, H. H., Sirotkin, Y. S., & Zinsser, K. (2013). Head Start preschoolers’ emotional positivity and emotion regulation predict their social-emotion behavior, classroom adjustment, and early school success. NHSA Dialog: The Research-to-Practice Journal for the Early Childhood Field 16(2), 18–33.

Engel de Abreu, P. M. J., Abreu, N., Nikaedo, C. C., Puglisi, M. L., Tourinho, C. J., Miranda, … Martin, R. (2014). Executive functioning and reading achievement in school: a study of Brazilian children assessed by their teachers as “poor readers”. Frontiers in Psychology. Repéré à http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fpsyg.2014.00550/full

Im-Bolter, N., Johnson, J., & Pascual-Leone, J. (2006). Processing Limitations in Children With Specific Language Impairment: The Role of Executive Function. Child Development, 77(6), 1822-1841. doi: 10.1111/j.1467-8624.2006.00976.x

Kroesbergen, E. H., van Luit, J. E. H., van Lieshout, E. C. D. M., van Loosbroek, E., & van de Rijt, B. A. M. (2009). Individual differences in early numeracy: The role of executive functions and subitizing. Journal of Psychoeducational Assessment, 27(3), 226-236. doi: 10.1177/0734282908330586

Moriguchi, Y., Chevalier, N., & Zelazo, P. D. (2016). Editorial: Development of Executive Function during Childhood. Frontiers in Psychology. Repéré à http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fpsyg.2016.00006/full

Simard, M., Tremblay, M., Lavoie, & Audet, N. (2013). Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle 2012. Portrait statistique pour le Québec et ses régions administratives. Québec : Institut de la statistique du Québec. Repéré à http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/sante/enfants-ados/developpementenfants-maternelle-2012.pdf

Ursache, A., Blair, C., & Raver, C. C. (2012). The promotion of self-regulation as a means of enhancing school readiness and early achievement in children at risk for school failure. Child Development Perspective, 6(2), 122–128. doi: 10.1111/j.1750-8606.2011.00209.x

van der Sluis, S., de Jong, P. F., & van der Leij, A. (2007). Executive functioning in children, and its relations with reasoning, reading, and arithmetic. Intelligence, 35(5), 427–449. doi: 10.1016/j.intell.2006.09.001

Welsh, J. A., Nix, R. L., Blair, C., Bierman, K. L., & Nelson, K. E. (2010). The development of cognitive skills and gains in academic school readiness for children from low-income families. Journal of Educational Psychology, 102(1), 43–53. doi: 10.1037/a0016738

Crédit photo: 123rf.com

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