Compter « avec les yeux »

09/03/2023 13:00:00

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Lorsque les jeunes enfants apprennent à compter, une grande importance est accordée à l’apprentissage de la chaine numérique verbale et aux habiletés de comptage séquentiel. Et s’il y avait une autre façon de compter, tout aussi importante, sinon plus, soit de «compter avec les yeux» en ayant recours à un comptage plus global? Cela se fait en développant les habiletés de subitisation et de groupitisation.

La subitisation est la capacité de percevoir de façon instantanée de 1 à 3 éléments (Dehaene, 2003). Il est en effet possible de compter ces petites quantités de façon globale, sans passer par un comptage séquentiel, c’est-à-dire sans énumérer les objets un à un. La subitisation permet de compter «avec les yeux» plutôt qu’«avec le doigt»!

Lorsque les quantités à compter augmentent, ce sont les habiletés de groupitisation qui entrent en jeu. La groupitisation (traduction libre de groupitizing) est la capacité de compter plus rapidement les quantités lorsqu’elles sont organisées en petits lots contenant chacun de 1 à 3 éléments (Starkey et McCandliss, 2014).  Cette capacité permet le recours à un comptage global, soit un traitement en bloc des figures, sans passer par un comptage séquentiel, comme lorsque l’on compte les points sur un dé. Une quantité est associée à des «patrons» qui deviendront de plus en plus familiers. Cette forme de traitement de la quantité est aussi appelée subitisation conceptuelle (Clements, 1999). Il s’agit de trouver le total d’une collection à partir de la composition ou de la décomposition d’une constellation et de se construire une représentation mentale de cette constellation. 

Les habiletés de subitisation et de groupitisation sont de plus en plus identifiées comme étant des prédicteurs importants de la réussite en arithmétique (Clements, 2019; Schindler et al., 2020). De plus, la groupitisation aide à développer l’abstraction du nombre et à acquérir des stratégies arithmétiques. Elle servira, par exemple, de support aux premières opérations additives lorsque les élèves auront à résoudre des expressions avec des termes manquants. Ils pourront s’appuyer sur les représentations mentales des quantités qu’ils auront construites. 

Quelques pistes pour favoriser le développement de la subitisation et de la groupitisation

• Pour développer les habiletés de subitisation et de groupitisation des élèves, les jeux proposant des configurations des quantités sont à favoriser, comme les jeux de cartes, les jeux de dés ou de dominos. Ces jeux exposent les élèves à différentes constellations. Il est toutefois important de leur permettre de jouer avec ces constellations, de les composer et de les décomposer visuellement. Par exemple, dans la figure 1, il est possible de voir sur la carte de gauche que 3 + 2 = 5, alors que sur celle de droite 2 + 2 = 4 et 4 + 1 = 5. Ce sont différentes décompositions visuelles de 5. Les cartes à points ou les boites de dix seront des supports intéressants à exploiter dans différentes activités.
• Plutôt que de poser la question «combien?» aux élèves, la question clé à poser est: «Que vois-tu?» Celle-ci amène les élèves à porter attention aux constellations. Au départ, l’accent ne doit pas être mis sur le total, mais plutôt sur les différentes décompositions visuelles du nombre. Par exemple, avec la figure 2, les élèves pourraient dire qu’ils ont vu une première pyramide avec un, deux et trois, et une deuxième pyramide, inversée celle-là, avec 2 et 1. Par la suite, ils arriveront à dire qu’il y a 9 points.

Le temps d’exposition aux différentes configurations doit aussi, à certains moments, être limité à moins d’une seconde, pour forcer les élèves à «compter avec leurs yeux» et pas seulement «avec leur doigt». En effet, même si une quantité est présentée dans une constellation, l’élève pourrait choisir d’utiliser un comptage séquentiel. En retirant rapidement de la vue les points à compter, on oblige les élèves à avoir une perception globale de la quantité puisqu’il est impossible d’énumérer un à un les éléments.  

Plus l’enfant sera habile à composer et décomposer une quantité de plusieurs façons, plus il sera en mesure d’acquérir une bonne «image mentale» des quantités, une bonne «photographie mentale» (Bergeron, 2003, p. 15), et plus facile se fera le passage vers l’abstraction du nombre (Brissiaud, 2005). Gardons l’œil ouvert!

Références

Bergeron, J.-L. (2003). Les cartes à points: Pour une meilleure perception des nombres. Les revues pédagogiques de la Mission laïque française, 50, 11‑20.

Brissiaud, R. (2005). Comment les enfants apprennent à calculer. RETZ.

Clements, D. H., Sarama, J. et MacDonald, B. L. (2019). Subitizing: The Neglected Quantifier. Dans A. Norton et M. W. Alibali (Éds), Constructing Number: Merging Perspectives from Psychology and Mathematics Education (pp. 13‑45). Springer International Publishing. https://doi.org/10.1007/978-3-030-00491-0_2

Clements, D. H. (1999). Subitizing: What is it? Why teach it? Teaching Children Mathematics, 5(7), 400‑405.

Dehaene, S. (2003). La Bosse des maths. Odile Jacob poche.

Lyons, M. et Bisaillon, N. (2018). Les incontournables du nombre. La revue de l’ADOQ [en collaboration avec Les Expertises didactiques Lyons inc.]. https://www.ladoq.ca/sites/default/files/ladoq_revue-incontournables-nombre.pdf

Schindler, M., Schovenberg, V. et Schabmann, A. (2020). Enumeration processes of children with mathematical difficulties: An explorative eye-tracking study on subitizing, groupitizing, counting, and pattern recognition. Learning Disabilities: A Contemporary Journal, 18(2), 193-211.

Starkey, G. S. et McCandliss, B. D. (2014). The emergence of “groupitizing” in children’s numerical cognition. Journal of Experimental Child Psychology, 126, 120‑137.

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