Y a-t-il un lien entre le langage et les fonctions exécutives?

30/01/2019 14:00:00

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Les fonctions exécutives constituent un construit complexe impliquant des compétences telles que le contrôle de l’attention, l’inhibition du comportement et la mémoire de travail. Elles s’avèrent toutes importantes pour poser volontairement des actions orientées vers un objectif (Gooch et coll., 2016; Zelazo et Mülller, 2002). Chez l’enfant, comme il a été mentionné dans des billets précédents (Fonctions exécutives et réussite éducative; Attention et régulation du comportement:fonctions exécutives), les fonctions exécutives sont considérées comme essentielles, notamment pour la préparation à l’école (Bierman, Nix, Greenberg, Blair et Domitrovich, 2008; Shaul et Schwartz, 2014), l’apprentissage en classe (Blair et Razza, 2007), les compétences sociales (Moriguchi, 2014) et la réussite éducative (Diamond et coll., 2007).

Parallèlement, un grand nombre d’études ont également démontré que de solides habiletés langagières constituent un important facteur prédisposant à la réussite éducative du jeune enfant (p. ex., Heaviside et Farris, 1993; Justice, Kaderavek, Fan, Sofka et Hunt, 2009; Pianta, Cox et Snow, 2007; Podhajski et Nathan, 2005). Ainsi, il n’est pas surprenant que des chercheurs s’intéressent de plus en plus aux liens entre les habiletés langagières et les fonctions exécutives des enfants (p. ex., Gooch, Hulme, Nash et Snowling, 2014; Müller, Jacques, Brocki et Zelazo, 2009).

Bien que la nature de la relation entre le langage et les fonctions exécutives ne soit pas encore bien définie dans les écrits scientifiques, quelques hypothèses sont actuellement avancées. L’une d’entre elles serait que l’utilisation du langage par les enfants pourrait faciliter ou soutenir leur performance lors de la réalisation de tâches de fonctions exécutives. En effet, dans un certain nombre d’études expérimentales, il a été démontré que les jeunes enfants qui ont un langage plus développé seraient plus susceptibles de l’utiliser pour comprendre et accomplir les tâches de fonctions exécutives (Kirkham, Cruess et Diamond, 2003; Zelazo, Reznick et Piñon, 1995). À l’inverse, il a aussi été rapporté que les enfants présentant des difficultés langagières obtenaient des résultats plus faibles à ce genre de tâches (Carlson, Davis et Leach, 2005; Muller, Jacques, Brocki et Zelazo, 2009).

Pour expliquer ces résultats, il a entre autres été avancé que les habiletés langagières des enfants soutiendraient leur performance aux tâches de fonctions exécutives, notamment par l’entremise du «self-talk», qui consiste à se parler à soi-même lorsqu’une tâche est exécutée (p. ex., Fernyhough et Fradley, 2005; Lidstone, Meins et Fernyhough, 2012). Ainsi, les enfants qui posséderaient un «discours interne» ou un «langage intériorisé» plus efficace utiliseraient leurs habiletés langagières pour, par exemple, mieux planifier leurs actions, les corriger en cours de route ou résoudre des problèmes. D’autres chercheurs soutiennent, pour leur part, que le langage des enfants serait un précurseur fondamental au développement des fonctions exécutives (Zelazo et Frye, 1998). Ils estiment entre autres que les compétences langagières des enfants seraient liées à leurs fonctions exécutives compte tenu du fait qu’elles contribuent à la formation d’une représentation mentale des problèmes ou des conflits à résoudre (Zelazo et Frye, 1998).

Dans les dernières années, pour vérifier cette hypothèse, certains chercheurs se sont intéressés aux liens entre langage et fonctions exécutives d’un point de vue développemental, à l’aide de devis longitudinaux. Kuhn et ses collaborateurs ont notamment exploré la relation entre les gestes utilisés précocement par les enfants pour communiquer (à l’âge de 15 mois), les compétences langagières (mesurées à 2 et 3 ans) et les compétences ultérieures dans des tâches de fonctions exécutives (mesurées à 4 ans) auprès d’un très grand échantillon d’enfants (Kuhn et coll., 2014). L’équipe de chercheurs a constaté que les compétences langagières précoces des enfants avaient des effets à la fois directs et indirects sur le développement des fonctions exécutives.

Plus précisément, l’utilisation des gestes (à 15 mois) prédisait les habiletés langagières des enfants à 2 et 3 ans, qui, à leur tour, annonçaient les fonctions exécutives des enfants à l’âge de 4 ans (Khun et coll., 2014). L’effet prédicteur sur les fonctions exécutives à 4 ans était entièrement médiatisé par les habiletés langagières de l’enfant. Ces résultats sont donc compatibles avec l’hypothèse voulant que le développement langagier soit lié aux fonctions exécutives. Ils mettent aussi en évidence l’importance de la communication gestuelle précoce chez les enfants (et ses liens avec les habiletés langagières pendant l’enfance) comme élément précurseur aux fonctions exécutives plus tard. Toutefois, il faut rappeler ici l’âge précoce des enfants (mesure des fonctions exécutives à 4 ans), les fonctions exécutives étant encore fortement en développement à cet âge. 

Plus récemment, Gooch et son équipe (2016) ont étudié les habiletés langagières et les fonctions exécutives de 243 enfants à l’âge de 4, 5 et 6 ans, en plus d’évaluer leurs habiletés comportementales et attentionnelles à 7 ans. Dans leur échantillon, les enfants à risque de dyslexie en raison d’antécédents familiaux ou à cause de difficultés langagières étaient comparés à des enfants au développement typique. Les chercheurs ont mis en évidence une forte corrélation entre les habiletés langagières et les fonctions exécutives à tous les temps de mesure. Leurs analyses ont aussi permis de montrer un degré considérable de stabilité développementale des habiletés langagières et des fonctions exécutives. Toutefois, l’influence des habiletés langagières sur les fonctions exécutives, et vice versa, a été jugée non significative (Gooch et coll., 2016). De plus, seules les fonctions exécutives (et non les habiletés langagières) ont prédit les habiletés comportementales et attentionnelles des enfants à l’âge de 7 ans (Gooch et coll., 2016). Ainsi, selon ces auteurs, bien que tant les habiletés langagières et les fonctions exécutives soient simultanément corrélées pendant l’enfance, et qu’elles présentent toutes deux une bonne stabilité temporelle/développementale, l’influence des habiletés langagières sur les fonctions exécutives ultérieures (et vice versa), ne serait pas significative.

Gooch et ses collaborateurs (2016) concluent que la nature des liens entre langage et fonctions exécutives n’est toujours pas encore bien définie à ce jour; il y aurait une forte corrélation simultanée entre les habiletés langagières et les fonctions exécutives, lesquelles démontreraient une stabilité longitudinale considérable pendant l’enfance. Mais le fait que seules les fonctions exécutives prédisent le comportement et l’attention plus tard  suggère que les fonctions exécutives et les habiletés langagières ont peut-être des origines distinctes, mais corrélées, et qu’aucune des deux compétences ne prédirait fortement l’autre longitudinalement. Il s’ensuit que, même si les déficits de fonctions exécutives soient fréquents chez les enfants présentant des difficultés langagières, chacun semblerait suivre un développement relativement distinct et que des lacunes dans chacune des compétences pourraient exiger des interventions différentes.

Bref, plusieurs autres études sont encore nécessaires pour bien comprendre la nature de cette relation complexe entre langage et fonctions exécutives!

Références

Bierman, K. L., Nix, R. L., Greenberg, M. T., Blair, C. et Domitrovich, C. E. (2008). Executive functions and school readiness intervention: Impact, moderation, and mediation in the Head Start REDI program. Development and Psychopathology, 20(3), 821-843. 

Blair, C. et Razza, R. P. (2007). Relating effortful control, executive function, and false belief understanding to emerging math and literacy ability in kindergarten. Child Development78(2), 647-663. DOI: 10.1111/j.1467-8624.2007.01019.x

Carlson, S. M., Davis, A. C. et Leach, J. G. (2005). Less is more: Executive function and symbolic representation in preschool children. Psychological Science, 16(8), 609-616. 

Diamond, A., Barnett, W. S., Thomas, J. et Munro, S. (2007). Preschool program improves cognitive control. Science318(5855), 1387-1388.

Fernyhough, C. et Fradley, E. (2005). Private speech on an executive task: Relations with task difficulty and task performance. Cognitive Development, 20(1), 103-120.

Gooch, D., Hulme, C., Nash, H. M. et Snowling, M. J. (2014). Comorbidities in preschool children at family risk of dyslexia. Journal of Child Psychology and Psychiatry55(3), 237-246. DOI: 10.1111/jcpp.12139

Gooch, D., Thompson, P., Nash, H. M., Snowling, M. J. et Hulme, C. (2016). The development of executive function and language skills in the early school years. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 57(2), 180-187. DOI: 10.1111/jcpp.12458

Heaviside, S. et Farris, E. (1993). Public school kindergarten teachers’ views on children’s readiness for school. Washington, DC : U.S. Department of Education, Office for Educational Research and Improvement.

Justice, L. M., Kaderavek, J. N., Fan, X., Sofka, A. et Hunt, A. (2009). Accelerating preschoolers’ early literacy development through classroom-based teacher-child storybook reading and explicit print referencing. Language, Speech, and Hearing Services in Schools, 40(1), 67-85. DOI: 10.1044/0161-1461(2008/07-0098)

Kirkham, N. Z., Cruess, L. et Diamond, A. (2003). Helping children apply their knowledge to their behavior on a dimension-switching task. Developmental Science, 6(5), 449-476.

Kuhn, L. J., Willoughby, M. T., Wilbourn, M. P., Vernon-Feagans, L. et Blair, C. (2014). Early communicative gestures prospectively predict language development and executive function in early childhood. Child development, 85(5), 1898-1914.

Lidstone, J. S., Meins, E. et Fernyhough, C. (2012). Verbal mediation of cognition in children with specific language impairment. Development and Psychopathology, 24(2), 651-660.

Moriguchi, Y. (2014). The early development of executive function and its relation to social interaction: a brief review. Frontiers in psychology, 5, 388. DOI: 10.3389/fpsyg.2014.00388

Müller, U., Jacques, S., Brocki, K. et Zelazo, P. D. (2009). The executive functions of language in preschool children. Dans A. Winsler, C. Fernyhough et I. Montero (dir.), Private speech, executive functioning, and the development of verbal self-regulation (p. 53-68). New York, NY: Cambridge University Press. DOI: 10.1017/CBO9780511581533.005

Pianta, R. C, Cox, M. et Snow, K. (2007). School readiness and the transition to kindergarten in the era of accountability. Baltimore, MD: Brookes Publishing.

Podhajski, B. et Nathan, J. (2005). Promoting early literacy through professional development for childcare providers. Early Education and Development16(1), 1-5.

Shaul, S. et Schwartz, M. (2014). The role of the executive functions in school readiness among preschool-age children. Reading and Writing, 27(4), 749-768.

Zelazo, P. D. et Müller, U. (2002). Executive function in typical and atypical development. Dans U. Goswami (dir.), Blackwell Handbook of Childhood Cognitive Development (p. 445-469). Oxford: Blackwell Publishers Ltd.

Zelazo, P. D., Reznick, J. S. et Piñon, D. E. (1995). Response control and the execution of verbal rules. Developmental Psychology, 31(3), 508-517.

Zelazo, P. D. et Frye, D. (1998). Cognitive complexity and control: II. The development of executive function in childhood. Current Directions in Psychological Science, 7(4), 121-126.

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