Les propriétés visuelles des mots : le cas de la multigraphémie

11/12/2019 13:45:00

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Dans un précédent billet, nous avons défini la représentation orthographique ainsi que les propriétés visuelles des mots. Nous avons spécifié que la majorité des erreurs en orthographe lexicale s’explique par l’absence de prise en compte des propriétés visuelles des mots et que les deux phénomènes visuo-orthographiques qui causent le plus d’erreurs sont les lettres muettes non porteuses de sens et la multigraphémie (Daigle, Costerg, Plisson, Ruberto et Varin, 2016). Après avoir présenté des idées d’activités pour travailler les lettres muettes non porteuses de sens, nous proposons, dans ce billet, des activités pour favoriser le développement de meilleures représentations des mots contenant un ou des phonèmes multigraphémiques. 

La multigraphémie

En français, certains phonèmes peuvent être transcrits de différentes façons, ce sont des phonèmes multigraphémiques (Catach, 2005; Daigle et Montésinos-Gelet, 2013). Par exemple, le phonème [o] peut s’écrire o, au ou eau, et le phonème [p] peut être transcrit par le graphème p ou pp. L’élève doit d’abord prendre conscience de cette particularité du code orthographique du français. Ensuite, l’enseignante ou l’intervenante peut aborder certaines régularités. Elle peut enseigner le fait que certaines graphies sont plus fréquentes que d’autres (p. ex., le ss est plus fréquent que le ç pour représenter le phonème [s]) et que certaines graphies sont plus fréquentes selon leur position dans le mot (p. ex., pour le son [o], le graphème eau est plus fréquent que au en fin de mot). 

Le choix des mots à l’étude

Avant tout, lorsqu’on enseigne l’orthographe lexicale, il est important de s’assurer que les mots sont connus des élèves à l’oral. Ces derniers doivent être capables de les définir, donc de leur attribuer un sens. Les mots utilisés doivent également contenir la particularité ciblée, soit un ou des phonèmes multigraphémiques, et l’enseignante les choisit en fonction de plusieurs éléments: 

  • l’âge des élèves;
  • leur niveau scolaire;
  • le ou les phonèmes multigraphémiques ciblés;
  • le thème abordé dans la semaine ou dans le mois;
  • les prescriptions ministérielles (Programme de formation et Progression des apprentissages);
  • la complexité (longueur, fréquence, structure syllabique).

Les mots peuvent être sélectionnés dans le matériel pédagogique utilisé en classe, dans la littérature jeunesse, dans des bases de données (ÉQOL, Stanké et collab.; Lexique 3.83, New et Pallier; Manulex-infra, Peereman, Lété et Sprenger-Charolles) ou encore à partir de la liste orthographique du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES, 2019) en cliquant sur ce lien.

Quelques idées d’activités

Certaines activités peuvent être réalisées à l’oral, d’autres à l’écrit, et les élèves peuvent travailler en groupe-classe, en équipes ou de façon individuelle. 

1) Les questions à l’oral: poser des questions à l’oral (sans support écrit) permet de développer les représentations orthographiques stockées en mémoire. Ces questions peuvent s’insérer dans la routine de la classe et peuvent être posées par l’enseignante ou par un élève. Voici quelques exemples de questions ou consignes:

  • Épelle le mot accord à l’envers.
  • Épelle le mot américain à l’endroit.
  • Quel est le cinquième graphème dans le mot analyse?
  • Quel graphème correspond au phonème [o] dans le mot avocat?
  • Combien y a-t-il de phonèmes multigraphémiques dans le mot enfant?

2) Le Boogle (version adaptée): un premier joueur secoue le plateau puis chaque joueur cherche des mots pouvant être formés à partir de lettres adjacentes du plateau (horizontalement, verticalement ou en diagonale) et qui comprennent un ou plusieurs phonèmes multigraphémiques. Les mots doivent être de trois lettres au minimum, peuvent être au singulier ou au pluriel, conjugués ou non (le même dé ne doit pas être utilisé plusieurs fois pour le même mot). Les joueurs écrivent tous les mots qu’ils ont trouvés dans leur cahier de notes. Après les 3 minutes de recherche, ils doivent arrêter d’écrire et compter leurs points (1 mot = 1 point). Le deuxième joueur secoue le plateau et la partie se poursuit. Pour complexifier l’activité, l’enseignante pourrait demander aux élèves, pour chaque mot trouvé, d’écrire un autre mot qui contient le phonème multigraphémique ciblé (p. ex., écrire pantin si l’un des mots trouvés sur le plateau est branche). Les enfants devraient alors compter l’ensemble des mots trouvés.   

3) Le Scattergories: à partir d’un graphème déterminé au hasard (ou choisi par l’enseignante ∕ un élève), trouver le plus de mots possible qui débutent par ce graphème et qui respectent la consigne donnée. Le temps est limité (1 à 2 minutes). Voici quelques exemples de consignes: 

  • Mots qui possèdent un phonème multigraphémique;
  • Mots qui possèdent deux phonèmes multigraphémiques;
  • Mots qui contiennent une consonne qui est un phonème multigraphémique;
  • Mots qui contiennent le son [ɑ̃] écrit en;
  • Mots qui contiennent le son [o] écrit au.

4) Le bonhomme pendu: l’enseignante pose des questions pour donner la permission aux enfants de dire une lettre afin de tenter de trouver le mot qu’elle a en tête. Voici quelques exemples de questions: 

  • Comment s’écrit le son [o] dans le mot robot?
  • Y a-t-il un phonème multigraphémique dans le mot joue?
  • Quelles sont les différentes façons d’écrire le son [ɛ̃]?
  • Comment s’écrit le mot pomme?
  • Y a-t-il plus d’une façon d’écrire le son [t]?

5) La police des mots: l’enseignante propose une liste de mots contenant les sons [s] ou [o], par exemple. Il est important de s’assurer que les différentes manières de transcrire les sons sont présentes et que l’élève pourra détecter les régularités (le fait que certaines graphies sont plus fréquentes que d’autres et que certaines graphies sont plus fréquentes selon leur position dans le mot (p. ex., respectivement: assiette, glaçon, pâtisserie, blessure, façade, dessin, casserole, etc., et chapeau, robot, tuyau, marteau, bravo, bricolage, bureau, cerveau, animaux, anneau, automne, etc.). Des questions sont ensuite posées. En voici quelques exemples: 

  • Est-ce que vous remarquez quelque chose de particulier à l’intérieur de tous ces mots?
  • Est-ce que le son [o] s’écrit toujours de la même façon?
  • Est-ce que le son [s] s’écrit toujours de la même façon?
  • Est-ce qu’on retrouve le son [o] écrit au et o à n’importe quel endroit dans le mot?
  • Est-ce qu’on retrouve le son [o] écrit eau à n’importe quel endroit dans le mot? 

6) Le jeu de mémoire: l’enseignante prépare des cartes sur lesquelles elle met des mots qui comportent, par exemple, le son [ɛ] s’écrivant de différentes façons: fraise, rêve, mère, etc. Les cartes sont ensuite placées à l’envers, devant les élèves. L’objectif est de tourner les cartes pour trouver des paires de mots qui comportent le son [ɛ] s’écrivant de la même façon: fraise et saison, par exemple. Les paires correctement jumelées sont retirées et le jeu se poursuit jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de cartes à tourner. Pour ajouter une complexité supplémentaire, on peut demander aux élèves, une fois que toutes les paires de cartes ont été trouvées, d’écrire par eux-mêmes quelques mots qui comportent le son [ɛ] s’écrivant d’une façon en particulier. 

Une variante plus complexe serait de présenter sur les cartes des mots ainsi que des images illustrant d’autres mots qui ne sont pas écrits, mais qui comportent le son ciblé par l’enseignante. Ainsi, lorsque l’élève tourne les cartes, il doit réfléchir à la façon dont s’écrit le mot qui est illustré par une image et doit se demander s’il comporte, par exemple, le son [ɛ] écrit de la même façon que dans le mot qui est écrit: l’image d’une fraise et le mot saison. Si c’est le cas, il devrait écrire le mot illustré et le montrer à l’enseignante. Cela permet à l’élève d’expliquer le raisonnement qu’il a utilisé pour parvenir à écrire le mot, et à l’enseignante d’accéder aux réflexions de son élève afin de les valider, mais aussi de les corriger si celles-ci sont erronées. Si le mot est écrit correctement, la paire de cartes est retirée, mais, s’il y a une erreur, celle-ci est remise dans le jeu. 

Il est possible de réaliser cette activité en petits groupes d’élèves ou avec un seul élève qui travaille en orthopédagogie, par exemple. 

En conclusion

Toutes ces activités visent à faire prendre conscience à l’élève de la présence de phonèmes multigraphémiques dans certains mots. Il est important d’amener l’enfant à se questionner sur les mots qu’il produit et notamment à se demander si le mot contient ou non un son pouvant s’écrire de différentes façons. Si c’est le cas, il faut alors que l’élève soit capable de déterminer quels sont les choix possibles. Il sélectionnera ensuite le choix le plus plausible en fonction de ses connaissances du code orthographique et de la «beauté» du mot produit (si la représentation du mot en mémoire n’est pas suffisamment définie). 

Références

Catach, N. (2005). L’orthographe française. L’orthographe en leçons: un traité théorique et pratique (3e éd.). Paris, France: Armand Colin.

Daigle, D. et Montésinos-Gelet, I. (2013). Le code orthographique du français: ses caractéristiques et son utilisation. Dans D. Daigle, I. Montésinos-Gelet et A. Plisson (dir.), Orthographe et populations exceptionnelles: perspectives didactiques (p. 29-52). Québec, Québec: Presses de l’Université du Québec.

Daigle, D., Costerg, A., Plisson, A., Ruberto, N. et Varin, J. (2016). Spelling errors in French-speaking children with dyslexia: Phonology may not provide the best evidence. Dyslexia, 22(2), 137-157. 

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