Le jeu comme contexte pour soutenir le développement et les apprentissages des enfants : valorisé, mais méconnu et sous-utilisé | Partie 1

29/03/2017 10:55:12

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Le jeu constitue l’approche privilégiée dans une majorité de programmes éducatifs destinés aux enfants de 0-5 ans (OCDE, 2012). En favorisant l’intérêt, l’engagement actif, la motivation intrinsèque, l’autonomie et l’attention des enfants, le jeu encourage leurs explorations, stimule leur développement global et leur offre un contexte signifiant d’apprentissage (Hirsh-Pasek, Golinkoff, Berk, & Singer, 2009). Ainsi, privilégier une approche par le jeu en service de garde et en maternelle respecte la façon dont les enfants de cet âge se développent et apprennent.

 

L’approche par le jeu

Alors que la valeur pédagogique du jeu est bien reconnue dans les programmes éducatifs, les indications sur les façons d’appliquer la ligne directrice « jouer pour se développer et apprendre » sont souvent plus évasives. Les ambiguïtés finissent par engendrer plusieurs interprétations quant à la façon de mettre en pratique l’idée du jeu pour accompagner le développement et les apprentissages des enfants (Moyles, Adams, & Musgrove, 2002).

Les différentes façons d’utiliser le jeu au quotidien sont souvent situées sur un continuum basé, d’une part, sur la présence de jeux et, d’autre part, sur l’engagement de l’enfant et de l’adulte (Bouchard, Charron, Bigras, Lemay, & Landry, 2014; Hirsh-Pasek et al., 2009; Miller & Almon, 2009). Parmi plusieurs positions sur ce continuum, il est plus souvent question de trois approches éducatives, soit le jeu libre, le jeu accompagné et l’instruction directe. Voici comment Hirsh-Pasek et ses collègues (2009) détaillent ces trois approches.

Lorsque l’adulte privilégie le jeu libre, il offre aux enfants du matériel stimulant qui incite à l’exploration et à la découverte autonome. Il organise un environnement basé sur leurs intérêts et leurs besoins, de manière à encourager les activités qui favorisent leur développement global. Les enfants ont plusieurs occasions de choisir et mener leurs propres jeux; l’adulte intervient peu, sinon pour répondre à leurs demandes et gérer les conflits. Cela dit, même si l’adulte a des intentions ou des objectifs pédagogiques, il n’est pas assuré que les enfants les atteindront en explorant librement. De plus, certains peuvent errer, sans trop s’investir dans le jeu (Bouchard et al., 2014).

Lorsque l’adulte valorise l’instruction directe, aussi bien dire qu’il n’y a pas de jeu puisque ses interventions prennent plus souvent la forme d’enseignements : l’adulte est celui qui initie et dirige la vaste majorité des activités. Afin de motiver les enfants, les activités intègrent parfois des accessoires et des personnages amusants, mais le contrôle demeure entre les mains de l’adulte. Les enfants ont réellement très peu d’occasions de jouer activement et sont plutôt passifs dans les activités proposées où l’adulte leur pose des questions auxquelles ils doivent fournir « la bonne réponse ». Cette approche permet à l’adulte d’atteindre des intentions ou des objectifs pédagogiques, mais ne sollicite pas nécessairement l’intérêt, l’engagement actif, la motivation intrinsèque et l’autonomie des enfants à l’égard de ses apprentissages, ce qui peut même générer de l’anxiété et limiter la confiance en soi (Bouchard et al., 2014).

L’adulte qui mise sur le jeu accompagné se trouve à mi-chemin entre les deux. Il reconnait la valeur pédagogique du jeu, ce qui se traduit par de longues périodes ininterrompues au cours desquelles les enfants peuvent entreprendre et diriger leurs propres jeux. L’adulte suit alors les initiatives des enfants et intervient au moment opportun dans leurs jeux, à l’aide de différentes stratégies, de manière à atteindre ses intentions ou ses objectifs pédagogiques (il sera question de ces stratégies dans un deuxième du billet, qui sera publié le 5 avril 2017).

Chacune de ces approches éducatives est associée à des bénéfices sur le développement et les apprentissages des enfants (pour une recension, voir Hirsh-Pasek et al., 2009). Les recherches récentes associent toutefois une approche centrée sur l’enfant et ses jeux, combinée à un accompagnement de qualité de l’adulte, à des gains plus importants pour les enfants (Bonawitz et al., 2011; Fisher, Hirsh-Pasek, Newcombe & Golinkoff, 2013). Et pour cause, l’approche du jeu accompagné présente à la fois les avantages du jeu libre et de l’instruction directe, en supplantant leurs faiblesses respectives. En effet, à l’instar du jeu libre, le jeu accompagné donne aux enfants l’occasion de choisir et de diriger leurs jeux, ce qui leur offre un contexte authentique et signifiant de développement et d’apprentissage tout en contribuant à leur motivation, ce qui manque généralement à l’approche d’instruction directe (Weisberg, Hirsh-Pasek, & Golinkoff, 2013). En même temps, l’adulte qui accompagne les enfants dans leurs jeux peut attirer leur attention sur des éléments afin d’atteindre ses intentions ou ses objectifs pédagogiques, comme c’est possible de le faire avec l’instruction directe, mais pas systématiquement avec le jeu libre (Weisberg et al., 2013). Pour toutes ces raisons, l’approche du jeu accompagné semble à privilégier.

 

L’approche par le jeu dans la pratique

Partout dans le monde, il semble exister un écart entre, d’un côté, l’approche par le jeu telle qu’elle est prescrite dans les programmes éducatifs et, de l’autre côté, les pratiques éducatives adoptées au quotidien par le personnel éducateur et celui enseignant (Wood, 2007).

Plusieurs auteurs, la plupart américains, soulignent que les enfants ont peu sinon aucun moment pour jouer à la prématernelle (3-4 ans) et à la maternelle (4-5 ans). Les recherches montrent que, au cours d’une journée typique, les enfants passent plus de temps en activités en grand groupe dirigées par l’adulte et moins de temps en activités libres qu’ils ont choisies, commencées et menées (Ansari & Purtell, 2017; Bassok, Latham, & Rorem, 2016; Early et al., 2010; Powell, Burchinal, File, & Kontos, 2008).

De façon plus nuancée, Chien et ses collègues (2010) décrivent quatre différents types de classes se distinguant selon les activités proposées aux enfants de quatre ans et les interventions des enseignantes : 1) les classes de jeu libre (51 % de l’échantillon), dans lesquelles les enfants passent plus de temps dans des activités qu’ils ont choisies et d’autres qui favorisent la motricité globale, et moins de temps dans des activités de littératie ou de mathématiques; 2) les classes d’instruction individuelle (9 %), où prévalent les activités individuelles sollicitant la motricité fine, portant surtout sur les lettres et les sons; 3) les classes d’instruction collective (27 %), dans lesquelles les activités en grands et petits groupes sont plus fréquentes; 4) les classes d’accompagnement (13 %), où les enfants sont plus souvent engagés dans des activités qu’ils ont choisies et dans des interactions de qualité avec l’adulte qui étaye leurs apprentissages. Ces résultats permettent de constater que plusieurs enfants semblent passer leur temps en jeu libre ou en activité dirigée, mais que quelques-uns paraissent dans une approche de jeu accompagné.

En service de garde, des études indiquent que les enfants ont la possibilité de jouer, mais elles soulignent certaines limites dans l’accompagnement des adultes. En effet, les chercheurs ont noté de faibles niveaux de qualité du jeu symbolique dans les services de garde en installation sud-coréens (Sheridan, Giota, Han, & Kwon, 2009) et dans les services de garde du Québec (Japel, Tremblay, & Côté, 2005). Toujours au Québec, plusieurs résultats de nos travaux pointent aussi vers de faibles niveaux de qualité des pratiques des adultes qui valorisent et soutiennent le jeu des enfants de 18, 24, 36 et 48 mois (Bigras et al., 2010; Bigras, Lemay, Bouchard, & Eryasa, 2016; Lemay, Bigras, & Bouchard, 2016). Nos résultats indiquent qu’alors que le personnel éducateur fait place au jeu des enfants, très peu de ses interventions semblent destinées à soutenir leur développement et leurs apprentissages au travers de ce jeu, et cette situation est d’autant plus marquée en service de garde en milieu familial. En fait, lorsque la qualité de l’expérience offerte aux enfants dans les services de garde du Québec est analysée, il en ressort que les pratiques des adultes qui valorisent et soutiennent le jeu des enfants obtiennent les scores de qualité les plus faibles (Drouin, Bigras, Fournier, Desrosiers, & Bernard, 2004; Gingras, Lavoie, & Audet, 2015a, 2015b). Bref, en service de garde, les adultes font place au jeu des enfants, mais parfois sans faire davantage pour l’accompagner.

L’ensemble de ces résultats sous-tend qu’il reste encore à faire afin que le jeu des enfants de 0-5 ans soit bien compris et utilisé comme contexte authentique et signifiant de développement et d’apprentissage, en cohérence avec une approche par le jeu accompagné. Ainsi, il apparait important de continuer à se questionner. Comment mieux valoriser le jeu des enfants? Comment lui faire plus de place au quotidien? Comment intervenir dans le jeu des enfants pour les accompagner? Nous proposerons des éléments de réponses dans le prochain billet.

 

Références

Ansari, A., & Purtell, K. M. (2017). Activity settings in full-day kindergarten classrooms and children’s early learning. Early Childhood Research Quarterly, 38, 23-32. doi: http://dx.doi.org/10.1016/j.ecresq.2016.09.003

Bassok, D., Latham, S., & Rorem, A. (2016). Is kindergarten the new first grade? AERA Open, 2(1), 2332858415616358.

Bigras, N., Bouchard, C., Cantin, G., Brunson, L., Coutu, S., Lemay, L., . . . Charron, A. (2010). A comparative study of structural and process quality in center-based and family-based child care services. Child & Youth Care Forum, 39(3), 129-150. doi: 10.1007/s10566-009-9088-4

Bigras, N., Lemay, L., Bouchard, C., & Eryasa, J. (2016). Sustaining the support in four-year-olds in childcare services with the goal of promoting their cognitive and language development. Early Child Development and Care, 1-15. doi: 10.1080/03004430.2016.1202948

Bonawitz, E., Shafto, P., Gweon, H., Goodman, N. D., Spelke, E., & Schulz, L. (2011). The double-edged sword of pedagogy: Instruction limits spontaneous exploration and discovery. Cognition, 120(3), 322-330.

Bouchard, C., Charron, A., Bigras, N., Lemay, L., & Landry, S. (2014). Conclusion. Le jeu en jeu et ses enjeux en contextes éducatifs pendant la petite enfance. [Conclusion: Play and play issues in early childhood educationnal settings]. Dans C. Bouchard, A. Charron & N. Bigras (Éds.), Revue pour la Recherche en Éducation (Vol. Actes du colloque 514 de l'ACFAS 2013).

Chien, N. C., Howes, C., Burchinal, M., Pianta, R. C., Ritchie, S., Bryant, D. M., . . . Barbarin, O. A. (2010). Children’s classroom engagement and school readiness gains in prekindergarten. Child development, 81(5), 1534-1549.

Drouin, C., Bigras, N., Fournier, C., Desrosiers, H., & Bernard, S. (2004). Grandir en qualité 2003. Enquête québécoise sur la qualité des services de garde éducatifs. Montréal: Institut de la statistique du Québec.

Early, D. M., Iruka, I. U., Ritchie, S., Barbarin, O. A., Winn, D.-M. C., Crawford, G. M., . . . Pianta, R. C. (2010). How do pre-kindergarteners spend their time? Gender, ethnicity, and income as predictors of experiences in pre-kindergarten classrooms. Early Childhood Research Quarterly, 25(2), 177-193. doi: http://dx.doi.org/10.1016/j.ecresq.2009.10.003

Fisher, K. R., Hirsh-Pasek, K., Newcombe, N., & Golinkoff, R. M. (2013). Taking shape: Supporting preschoolers' acquisition of geometric knowledge through guided play. Child development, 84(6), 1872-1878.

Gingras, L., Lavoie, A., & Audet, N. (2015a). Enquête québécoise sur la qualité des services de garde éducatifs - Grandir en qualité 2014. Qualité des services de garde éducatifs dans les centres de la petite enfance (Vol. 2, pp. 212). Québec: Institut de la statistique du Québec.

Gingras, L., Lavoie, A., & Audet, N. (2015b). Enquête québécoise sur la qualité des services de garde éducatifs - Grandir en qualité 2014. Qualité des services de garde éducatifs dans les garderies non subventionnées (Vol. 3, pp. 157). Québec: Institut de la statistique du Québec.

Hirsh-Pasek, K., Golinkoff, R. M., Berk, L. E., & Singer, D. (2009). A mandate for playful learning in preschool: Applying the scientific evidence. New York: Oxford University Press.

Japel, C., Tremblay, R. E., & Côté, S. (2005). La qualité, ça compte! Résultats de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec concernant la qualité des services de garde. Choix, 11(4).

Lemay, L., Bigras, N., & Bouchard, C. (2016). Respecting but not sustaining play: early childhood educators’ and home childcare providers’ practices that support children’s play. Early Years, 1-16.

Miller, E., & Almon, J. (2009). Crisis in the Kindergarten. Why Children Need to Play in School. College Park, MD: Alliance for Childhood.

Moyles, J., Adams, S., & Musgrove, A. (2002). Study of pedagogical effectiveness in early learning (SPEEL). Research Report No 363. London: Department for Education and Skills.

OCDE. (2012). Petite enfance, grands défis III. Boîte à outils pour une éducation et des structures d’accueil de qualité: Éditions OCDE.

Powell, D. R., Burchinal, M. R., File, N., & Kontos, S. (2008). An eco-behavioral analysis of children's engagement in urban public school preschool classrooms. Early Childhood Research Quarterly, 23(1), 108-123.

Sheridan, S., Giota, J., Han, Y.-M., & Kwon, J.-Y. (2009). A Cross-Cultural Study of Preschool Quality in South Korea and Sweden: ECERS Evaluations. Early Childhood Research Quarterly, 24(2), 142-156.

Weisberg, D. S., Hirsh-Pasek, K., & Golinkoff, R. M. (2013). Guided play: Where curricular goals meet a playful pedagogy. Mind, Brain, and Education, 7(2), 104-112.

Wood, E. (2007). New directions in play: consensus or collision? Education 3-13, 35(4), 309-320. doi: 10.1080/03004270701602426

 

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