La capacité à reconnaître et à produire correctement des mots écrits repose sur le développement de bonnes représentations orthographiques (Ouellette et Sénéchal, 2017). Comme les performances en reconnaissance et en production de mots écrits dépendent de la qualité des représentations orthographiques emmagasinées en mémoire (Daigle et Montésinos-Gelet, 2013), il semble important de définir ce qu’est une représentation orthographique.
Les représentations orthographiques
La représentation orthographique est une représentation mentale d’un mot inscrite en mémoire sous sa forme orale (p. ex., les phonèmes [tabl]) et sous sa forme écrite (les graphèmes table). Afin que le mot soit enregistré en mémoire, un sens devra lui être attribué (Daigle et Montésinos-Gelet, 2013).
La forme écrite du mot est une combinaison d’informations phonologiques, morphologiques et visuelles qui interagissent lors du traitement d’un mot (Ferrand, 2007). Ces informations relèvent du code orthographique du français. Les propriétés phonologiques font référence aux graphèmes qui transmettent des informations liées aux sons, alors que les propriétés morphologiques renvoient aux graphèmes qui se rapportent au sens. Les propriétés visuelles, qui se distinguent à la fois des propriétés phonologiques et morphologiques, donnent une «couleur» spécifique aux mots écrits.
Les propriétés visuelles
Certains graphèmes, appelés visuogrammes, donnent un aspect visuel et spécifique aux mots écrits (Daigle et Montésinos-Gelet, 2013). Ces informations dépendent de différents phénomènes de nature sublexicale (à l’intérieur du mot) et de nature lexicale ou supralexicale (ensemble du mot ou séquences de mots).
Les phénomènes sublexicaux incluent:
Les phénomènes lexicaux et supralexicaux renvoient aux phénomènes suivants:
La majorité des erreurs en orthographe lexicale s’explique par l’absence de prise en compte des propriétés visuelles des mots, et les deux types d’erreurs les plus fréquentes sont liées aux lettres muettes non porteuses de sens et à la multigraphémie (Daigle, Costerg, Plisson, Ruberto et Varin, 2016). Nous présentons ici comment travailler de façon spécifique les lettres muettes non porteuses de sens. Nous nous pencherons sur la multigraphémie, à savoir les phonèmes pouvant être transcrits de plusieurs façons, dans un second billet.
Quelques idées d’activités
Avant tout, il est important de rappeler que, pour enseigner l’orthographe des mots et notamment les propriétés visuelles, les mots doivent être connus à l’oral. Autrement dit, l’enfant doit associer un sens aux mots qui seront abordés. Lorsqu’on travaille les lettres muettes non porteuses de sens, il faut également s’assurer que les mots ciblés contiennent un ou des visuogrammes.
1) Les questions à l’oral: poser des questions à l’oral permet de développer les représentations orthographiques en mémoire. Ces questions peuvent s’insérer dans la routine de la classe et peuvent être posées par l’enseignante ou par un élève. Voici quelques exemples de questions ou consignes:
2) Le bingo (version adaptée): l’enseignante donne les consignes et l’enfant mets ses jetons en fonction des consignes fournies, ces dernières visant toutes à mettre l’accent sur les lettres muettes non porteuses de sens. Lorsque l’enfant obtient une rangée de jetons (diagonale, verticale ou horizontale), il gagne la partie. Voici quelques exemples de consignes:
3) Le Rapido visuo (dérivé du Jungle Speed): ce jeu de cartes comprend des paires formées de mots contenant la même particularité orthographique mise en évidence (surlignage ou couleur) (p. ex., la lettre muette non porteuse de sens e dans broche et armoire ou encore la lettre muette h dans habitat et hypothèse). Le premier joueur retourne une carte, puis le deuxième joueur retourne une autre carte. Si les deux cartes retournées possèdent la même caractéristique, une compétition est lancée entre les deux joueurs qui doivent dire (ou écrire) un autre mot qui possède cette même caractéristique (p. ex., feuille ou hérisson). Si la réponse donnée par le joueur le plus rapide est bonne, il conserve la paire de cartes. Si la réponse est erronée, l’autre joueur a un droit de réplique. Il conserve les cartes si sa réponse est bonne et les replace si sa réponse est erronée. Si les deux cartes retournées ne contiennent pas la même particularité, elles sont replacées dans le jeu et les deux joueurs (ou deux autres joueurs) retournent une carte.
4) Les charades: l’enseignante propose une charade ou demande aux élèves d’en construire une en respectant la consigne suivante: l’un des éléments contenus dans la charade doit être lié aux lettres muettes non porteuses de sens. Par exemple,
5) Les phrases à trous: l’enseignante lit des phrases trouées, dans lesquelles les trous correspondent à des mots contenant une lettre muette non porteuse de sens. Par exemple,
Les phrases sont prononcées deux fois. L’enseignante peut adapter l’activité en fonction des besoins des élèves en mettant ou non entre parenthèses le nombre de lettres que contient le mot manquant. Pour les élèves ayant plus de difficultés, un choix de lettres muettes non porteuses de sens peut également être proposé (p. ex., h, s, t et e).
Toutes ces activités permettent de faire prendre conscience à l’élève de la présence de lettres muettes non porteuses de sens dans certains mots. C’est cette prise de conscience et la réutilisation des mots travaillés en contexte de lecture et d’écriture qui favoriseront le développement de bonnes représentations orthographiques et leur stockage en mémoire.
Références
Catach, N. (2008). L’orthographe française. L’orthographe en leçons: un traité théorique et pratique (3e éd.). Paris, France: Armand Colin.
Daigle, D. et Montésinos-Gelet, I. (2013). Le code orthographique du français: ses caractéristiques et son utilisation. Dans D. Daigle, I. Montésinos-Gelet et A. Plisson (dir.), Orthographe et populations exceptionnelles: perspectives didactiques (p. 29-52). Québec, Québec: Presses de l’Université du Québec.
Daigle, D., Costerg, A., Plisson, A., Ruberto, N. et Varin, J. (2016). Spelling errors in French-speaking children with dyslexia: phonology may not provide the best evidence. Dyslexia, 22(2), 137-157.
Ferrand, L. (2007). Psychologie cognitive de la lecture. Reconnaissance des mots écrits chez l’adulte. Bruxelles, Belgique: De Boeck Supérieur.
Ouellette, G. et Sénéchal, M. (2017). Invented spelling in kindergarten as a predictor of reading and spelling in Grade 1: A new pathway to literacy, or just the same road, less known? Developmental Psychology, 53(1), 77–88.
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