Il est depuis longtemps établi qu’un milieu familial qui offre à l’enfant plusieurs occasions de côtoyer l’écrit a un effet positif sur le développement de son langage, et plus tard, sur son apprentissage de la lecture et de l’écriture. Parmi les différentes expériences avec l’écrit que l’enfant peut vivre à la maison, celle de partager des moments de lecture avec ses parents est particulièrement bénéfique pour sa motivation à apprendre à lire, ses habiletés de littératie émergente (telles que la connaissance du principe alphabétique ou de la conscience phonologique) et ses habiletés de lecture ultérieures (Bennett, Weigel et Martin, 2002; Bus, van IJzendoorn et Pellegrini, 1995; de Jong et Leseman, 2001).
Or, les premières expériences de lecture du jeune enfant peuvent grandement varier d’une famille à une autre. Par exemple, certains enfants bénéficient de peu de temps d’échanges avec leurs parents et ont un environnement familial qui les met peu en contact avec l’écrit. Au contraire, d’autres évoluent dans un environnement familial littéraire riche et ont la chance de vivre de nombreux échanges avec leurs parents autour des livres (Provencher, 2014; Marcella, Howes et Fuligni, 2014).
Un fait demeure moins connu: la simple interaction entre l’enfant et son parent autour d’un livre ne suffit pas, c’est aussi la nature des liens affectifs qu’il entretient avec cet adulte qui influence les bienfaits qu’il en tirera. Par exemple, la qualité de l’attachement entre le parent et l’enfant est intimement liée à la qualité des échanges lors des moments de lecture (Bus et van IJzendoorn, 1988). De plus, un style parental favorable et des pratiques éducatives positives sont associés à des interactions de plus grande qualité lors des moments de lecture. Ces aspects favorisent également le développement langagier de l’enfant (Dexter et Stacks, 2014). Inversement, le stress parental diminue l’impact positif des moments de lecture partagés entre le parent et l’enfant (Deniz Can et Ginsburg-Block, 2016).
La relation entre un lien affectif positif et les bénéfices de la lecture partagée
Mais pourquoi ne suffit-il pas, pour le parent, de présenter et de lire un livre avec son enfant pour que celui-ci en tire des bénéfices? Pourquoi faut-il en plus un climat familial favorable et bienveillant? Des projets de recherche sont en cours pour élucider la question. Les émotions sont dans la mire des chercheurs. Étrangement, même si elles sont impliquées dans tout apprentissage, elles ont longtemps été les grandes absentes des modèles d’apprentissage en didactique des langues (Swain, 2013). Pourtant, il est naturel de supposer qu’une émotion négative (comme l’anxiété) puisse être associée à l’absence d’apprentissage, et qu’une émotion positive (comme la joie) puisse être liée à un engagement soutenu qui favorise l’apprentissage. C’est précisément ce que Fredrickson et Losada (2013) ont stipulé dans la théorie d’expansion et construction.
Plus en détail, Fredrickson et Losada ont théorisé le rôle majeur des émotions positives à court et à long terme dans le processus d’apprentissage. Leur théorie, de même que d’autres approches mettant en valeur l’importance de l’affectivité[1] dans l’apprentissage (p. ex., Armand, Lory et Rousseau, 2013; Swain, 2013; Arnold, 2006), ont été transposées de plusieurs façons en éducation. Il s’agit de penser aux travaux sur l’importance du bien-être des élèves en classe d’accueil (Papazian-Zohrabian, 2015-2020), au rôle soutenant des relations affectives (proximité, amitié) au sein de la classe et à leur impact sur l’apprentissage (Rodríguez, Plax et Kearney, 1996), à l’importance de l’affect et des émotions en apprentissage des langues secondes (Zuniga et Rueb, 2018), ou au rôle des sentiments dans l’apprentissage du vocabulaire (Tremblay, 2018). En fait, tout semble indiquer que les émotions positives, favorisées par un climat ouvert et bienveillant, catalysent les apprentissages langagiers en contexte familial et en contexte scolaire. Alors, à l’école comme à la maison, pourquoi ne pas faire des moments de lecture, des moments pour permettre l’apprentissage de l’écrit, mais aussi pour instaurer un climat ouvert et bienveillant qui favorisera tous les apprentissages?
Références
Armand, F. Lory, M.-P. et Rousseau, C. (2013) «Les histoires, ça montre les personnes dedans, les feelings. Pas possible si pas de théâtre.» (Tahina). Ateliers d’expression théâtrale plurilingues en classe d’accueil, Lidil, 48, 37-55
Arnold, J. (2006). Comment les facteurs affectifs influencent-ils l’apprentissage d’une langue étrangère? Ela. Études de linguistique appliquée, 144(4), 407-425.
Bennett, K. K., Weigel, D. J. et Martin, S. S. (2002) Children’s acquisition of early literacy skills: examining family contributions. Early Childhood Research Quarterly, 17(3), 295-317. https://doi.org/10.1016/S0885-2006(02)00166-7
Bus, A. G. et van IJzendoorn, M. (1988). Mother-child interactions, attachment, and emergent literacy: a cross-sectional study. Child Development, 59(5), 1262-1272. doi:10.2307/1130489
Bus, A. G., van IJzendoorn, M. H. et Pellegrini, A. D. (1995). Joint book reading makes for success in learning to read: a meta-analysis on intergenerational transmission of literacy. Review of Educational Research, 65(1), 1-21. https://doi.org/10.3102/00346543065001001
De Jong, P. F. et Leseman, P. P. M. (2001). Lasting effects on home literacy on reading achievement in school. Journal of School Psychology, 39(5), 389-414. http://dx.doi.org/10.1016/S0022-4405(01)00080-2
Deniz Can, D. et Ginsburg-Block, M. (2016). Parenting stress and home-based literacy interactions in low-income preschool families. Journal of Applied Developmental Psychology, 46, 51-62.
(2014). A preliminary investigation of the relationship between parenting, parent-child shared reading practices, and child development in low-income families. Journal of Research in Childhood Education, 28(3), 394-410, DOI:10.1080/02568543.2014.913278
Fredrickson, B. L. et Losada, M. F. (2013). Positive affect and the complex dynamics of human flourishing: Correction to Fredrickson and Losada (2005). American Psychologist, 68(9), 822. http://dx.doi.org/10.1037/a0034435
(2014). Exploring cumulative risk and family literacy practices in low-income Latino families. Early Education and Development, 25(1), 36-55, DOI:10.1080/10409289.2013.780504
Papazian-Zohrabian, G. Trépanier, N., Kanouté, F. et Rousseau C. (2015-2020). Favoriser la réussite scolaire des élèves immigrants en développant leur bien-être psychologique et celui de leurs familles. Projet de recherche CRSH-Savoir.
Provencher, J. (2014). Impliquer les parents dans le développement en lecture de leurs enfants, c’est gagnant! Québec français, 172, 83-84.
Rodríguez, J. I., Plax, T. G. et Kearney. P. (1996). Clarifying the relationship between teacher nonverbal immediacy and student cognitive learning: affective learning as the central causal mediator. Communication Education, 45(4), 293-305.
Swain, M. (2013). The inseparability of cognition and emotion in second language learning. Language Teaching, 46(2), 195-207.
Tremblay, O. (2018). Pour l’amour des mots: enseigner le vocabulaire en partant du cœur! Blogue « Parlons apprentissage ».
Zuniga, M. et Rueb, A. (2018). Dans le flow: l’influence des tâches pédagogiques sur la qualité de l’expérience émotionnelle en classe de français de langue seconde. Dans F. Berdal-Masuy (dir.). Emotissage. Les émotions dans l’apprentissage des langues. Louvain-la-Neuve, Belgique: Presses universitaires de Louvain.
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[1] Le concept d’affectivité renvoie à l’ensemble des sentiments, émotions, croyances et attitudes qui conditionnent de manière significative le comportement d’un individu (Arnold, 2006).