C’est maintenant une idée bien connue des enseignants : celui qui apprend doit être en mesure de lier les nouveaux savoirs enseignés à des connaissances qu’il possède déjà, à ses connaissances antérieures. Mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire quand il s’agit d’apprendre des notions grammaticales?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les connaissances grammaticales des élèves ne se construisent pas uniquement à l’école! En effet, dès qu’il apprend à parler, l’enfant acquiert implicitement des connaissances grammaticales : par exemple, très tôt il apprend que la structure de la phrase est sujet + prédicat (le chat dormait) et non pas prédicat + sujet (*dormait le chat). Les enfants construisent également leurs connaissances grammaticales « [à travers] leur expérience d’écriture à l’école et ailleurs, leurs observations personnelles de l’écrit, les “trucs” expliqués par diverses personnes, etc. » (Nadeau & Fisher, 2006, p. 100). Ces connaissances sont tantôt exactes, tantôt non. Certaines sont fortement ancrées, d’autres beaucoup moins. Une chose est certaine: peu importe qu’elles soient justes ou fausses, solides ou fragiles, elles sont bien présentes chez les élèves et ne peuvent pas être ignorées. Un enseignement efficace doit favoriser leur mise en relation avec les nouveaux savoirs, ce qui permet aux élèves de confirmer, de nuancer ou même de rejeter certaines de leurs connaissances antérieures (Gauvin, 2011; Gauvin & Boivin, 2013).
Ce billet tentera de répondre à deux questions : (1) Comment peut-on vraiment tenir compte des connaissances grammaticales antérieures des élèves ? et (2) Pourquoi est-il important de le faire tout au long de l’enseignement ?
Comment vraiment tenir compte des connaissances antérieures des élèves?
S’il semble évident pour tout enseignant qu’il est essentiel de tenir compte des connaissances antérieures des élèves dans l’enseignement de nouveaux savoirs, et ce, peu importe la discipline scolaire, expliquer ce que cela signifie concrètement n’est pas si aisé… Voici trois éléments qui nous semblent essentiels pour parvenir à réellement tenir compte des connaissances antérieures des élèves.
Pour entendre ce que les élèves savent, il faut d’abord et avant tout créer un espace pour qu’ils expriment leurs connaissances en classe. En effet, donner la parole aux élèves en guidant la consultation de leur mémoire donne accès aux connaissances déjà construites. Une séance d’activation des connaissances sur une notion précise (Que sais-tu sur…?) permet de tirer de l’oubli les connaissances des élèves : leurs savoir-que sont aisément verbalisés. L’observation d’exemples en contexte permet aussi aux élèves de se rappeler leurs connaissances dans l’action, leurs savoir-faire.
Prenons l’exemple de l’enseignement du sujet grammatical à la fin du primaire ou au début secondaire. Au début de la séquence d’enseignement, une activation des connaissances amène l’enseignant à savoir ce que les élèves ont construit comme connaissances sur le sujet. Cette activation de connaissances consiste essentiellement à poser les questions « Qu’est-ce qu’un sujet? » et « Comment peut-on identifier le sujet dans une phrase? » Par la suite, amener les élèves à observer des exemples et à verbaliser ce qui caractérise le sujet aide l’enseignant à voir quelles connaissances, exactes ou non, sont réellement mobilisées par les élèves en contexte.
Évidemment, il ne suffit pas d’entendre ce qu’ont à dire les élèves; il faut aussi comprendre ce qu’ils comprennent eux-mêmes afin de déterminer la prochaine action didactique qui les fera progresser. Reprenons l’exemple de l’enseignement du sujet grammatical. Si, en observant un exemple où le sujet est un GN, un élève dit : « Le sujet est un GN », que comprend-il exactement? Que dans le cas de cet exemple précis, le sujet est un GN (mais qu’il pourrait se réaliser autrement dans d’autres contextes; en pronom, par exemple)? Ou que le sujet est toujours un GN (ce qui signifie que l’élève cherche systématiquement un GN comme sujet)? Inviter l’élève à préciser ce qu’il veut dire (le sujet peut être un GN ou le sujet est toujours un GN) nous permet de juger si sa connaissance est exacte ou non et de déterminer la suite à donner à l’expression de cette connaissance. Il ne faut donc pas perdre de vue ce que nous disent les élèves à propos de leurs connaissances et, surtout, ce qu’ils ne nous disent pas!
Si une partie du savoir des élèves est construite, une autre partie est en construction; leurs connaissances sont donc en mouvance et ils ont besoin d’être guidés pour les valider et peut-être préciser celles qu’ils sont en train de construire (Barth, 2004). Ainsi, lorsqu’une connaissance exprimée est exacte, le but de l’enseignement sera de valider cette connaissance, de la consolider. Par contre, lorsqu’une connaissance exprimée est imprécise ou inexacte, le but de l’enseignement sera d’amener les élèves à tester les limites de cette connaissance pour qu’ils la remettent en question et cherchent une connaissance plus productive, plus opérationnelle.
Voyons un autre exemple. Si, lors d’une observation, des élèves soutiennent que le sujet peut se trouver à différents endroits dans la phrase, ce qui est exact, l’enseignant voudra que ses prochaines interventions permettent de valider cette connaissance tout en la précisant pour la rendre plus opérationnelle : le sujet peut se trouver à différents endroits dans une phrase, mais il est toujours en position initiale dans la phrase de base. Pour y arriver, il peut notamment faire observer aux élèves des phrases au sujet inversé, puis les phrases de base correspondantes. Si, par contre, des élèves mentionnent que le sujet est toujours au début de la phrase, ce qui est inexact, il faudra d’abord ébranler cette connaissance en en montrant les limites avant de penser faire des liens avec la nouvelle connaissance. L’enseignant peut présenter des exemples où le sujet n’est pas en début de phrase afin que les élèves arrivent à la conclusion que cette connaissance n’est pas fiable et qu’ils s’ouvrent à en construire une plus opérationnelle.
Quelques méthodes d’enseignement de la grammaire qui favorisent la prise en compte des connaissances antérieures
Les méthodes d’enseignement qui utilisent des techniques inductives sont de bonnes options pour travailler à partir des connaissances des élèves. En effet, les élèves y sont appelés à faire des observations, à émettre des hypothèses, à les vérifier, etc.; toutes des actions au cours desquelles l’enseignant accède à leurs connaissances. La démarche active de découverte (Chartrand, 1995; Nadeau & Fisher, 2006), les dictées innovantes développées par Nadeau et Fisher, de même que la médiation sociocognitive des apprentissages (Barth, 2013a, 2013b et 2004) en sont de bons exemples.
Dans le prochain billet (Beaulne et Gauvin), la médiation sociocognitive des apprentissages sera présentée et exemplifiée à l’aide d’une séquence didactique portant sur la notion de sujet.
En résumé…
Une séquence d’enseignement débute bien souvent par une phase de préparation durant laquelle se réalise une activation des connaissances. Celle-ci consiste souvent à inviter les élèves à se rappeler ce qui a été vu lors de la leçon précédente. Cela permet aux élèves de se remettre en tête les notions dont il a été question et de se préparer à faire des liens avec ce qui va suivre. Bien que cette activation des connaissances soit souhaitable, elle ne consiste souvent qu’en une forme d’introduction au prochain enseignement. Ainsi, l’enseignant n’a accès à certaines connaissances de ses élèves que lors de cette introduction. Or les connaissances des élèves sont en évolution tout au long de l’enseignement : il apparait productif, donc, de les faire s’exprimer tout au long de la séquence d’enseignement. Éclairé sur ce que savent ses élèves à différentes étapes de leur apprentissage, l’enseignant peut, comme le propose Gauvin (2011), ajuster continuellement son enseignement aux connaissances exprimées afin de mieux guider la déconstruction des connaissances peu opérationnelles et la (re)construction des nouvelles connaissances.
Références
Barth, B.-M. (2004). Le savoir en construction. Paris : Retz / S.E.J.E.R.
Barth, B.-M. (2013a). Élève chercheur, enseignant médiateur. Donner du sens aux savoirs. Paris : Retz et Montréal : Chenelière Éducation.
Barth, B.-M. (2013b). L’apprentissage de l’abstraction (2e éd.). Paris : Retz / S.E.J.E.R.
Chartrand, S.-G. (1995). Apprendre la grammaire par une démarche active de découverte. Dans S.-G. Chartrand (Éd.), Pour un nouvel enseignement de la grammaire (pp. 195-221). Montréal : Les Éditions Logiques.
Gauvin, I. (2011). Interactions didactiques en classe de français : enseignement/apprentissage de l’accord du verbe en première secondaire (Thèse de doctorat inédite). Université de Montréal, Québec. Repéré à https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/5281/gauvin_isabelle_2011_these.pdf?sequence=2&isAllowed=y
Gauvin, I., & Boivin, M.-C. (2013). Identifier le verbe : l’élaboration des connaissances par les élèves en classe. Revue des sciences de l’éducation, 39(3), 547-570.
Nadeau, M., & Fisher, C. (2006). La grammaire nouvelle. La comprendre et l’enseigner. Montréal : Gaëtan Morin éditeur.
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