Comment favoriser l'apprentissage des correspondances graphèmes-phonèmes?

03/02/2021 13:00:00

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En tant qu’enseignant, orthopédagogue ou orthophoniste, on sait qu’il faut enseigner aux élèves les correspondances entre les lettres écrites (les graphèmes) et les sons (les phonèmes) afin qu’ils parviennent à fusionner les sons et décoder les mots du français pour enfin automatiser leur lecture. L’opération est tellement rapide pour nous qu’il est facile d’oublier que cet apprentissage est complexe. Pourquoi en est-il ainsi? Et y a-t-il des moyens de le simplifier? Voici quelques explications!

La complexité de l’apprentissage des correspondances graphèmes-phonèmes

Commençons par une précision importante : on parle souvent indistinctement de correspondances graphèmes-phonèmes (CGP) et de correspondances phonèmes-graphèmes (CPG). En fait, l’élève qui lit doit faire le lien entre les graphèmes (les lettres écrites sur la page) et les phonèmes (les sons correspondants). L’élève qui écrit doit plutôt faire le lien entre les phonèmes (les sons qu’il s’imagine) et les lettres pour les écrire. Mais est-ce que cela ne revient pas au même? Pas exactement. En français, les CGP sont globalement plus simples que les CPG. Par exemple, le graphème eau se lit toujours /o/, mais pour écrire le son /o/, on peut écrire eau, au, o, ot, etc. Bref, il est plus facile pour les élèves francophones de maitriser la lecture que l’orthographe des mots, au-delà du fait qu’ils doivent aussi automatiser des gestes moteurs lorsqu’ils écrivent.

Que ce soit en lecture ou en écriture, lorsque les correspondances sont toujours les mêmes, les élèves les apprennent plus facilement. Par exemple, f se lit pratiquement toujours /f/. On peut dire que cette correspondance est régulière, transparente ou encore consistante. Il est intéressant de noter que les correspondances peuvent être plus ou moins régulières en fonction de la position du graphème dans le mot. Par exemple, s en début de mot se prononce toujours /s/. En milieu de mot, il se prononce la moitié du temps /s/ et l’autre moitié, /z/. En fin de mot, s ne se prononce souvent pas, sauf dans certains cas (ex.: ours, autobus). Ainsi, il est possible d’analyser la régularité ou la transparence d’une correspondance pour un graphème de façon très détaillée ou de manière plus générale.

Soulignons au passage que l’on peut même analyser l’ensemble du degré de transparence d’une langue par rapport à une autre. Globalement, en lecture, les CGP de la langue française sont moins transparentes que celles de l’espagnol, mais davantage que celles de l’anglais. Cela a un impact sur la durée que peuvent prendre les petits élèves pour apprendre à lire.

Comment simplifier la vie des élèves lors de l’apprentissage des correspondances graphèmes-phonèmes en lecture?

Au-delà du niveau de régularité des correspondances, il est aussi intéressant de tenir compte de leur fréquence dans les mots lorsqu’on les enseigne. Par exemple, même si gn sonne toujours /gn/ dans une syllabe, cette correspondance n’est pas fréquente et la graphie est aussi plus complexe.  

Certains chercheurs se penchent sur la question de la progression pédagogique pertinente pour l’enseignement des CGP. C’est le cas de Sprenger-Charolles (2017) qui a entre autres suggéré une progression en se basant sur des statistiques concernant l’orthographe du français. Elle a utilisé une base de données incluant des mots contenus dans des manuels scolaires. Bien sûr, la progression qu’elle propose est un exemple et ne doit pas être considérée comme une recette à appliquer, mais sa suggestion a le mérite de s’appuyer sur les constats présentés précédemment. À partir de ce que la chercheuse préconise, voici l’ordre d’apprentissage des CGP qui apparait être le plus pertinent jusqu’à maintenant:

Dans un premier temps, présenter: 

  • les voyelles orales a, i, o, u, é, ou, eu et e (en fin de mot après une consonne comme dans le); 
  • les consonnes « qui s’allongent »: f, j, l, r. Le s peut être présenté en début de mot.

Au début, il est pertinent de présenter ces graphèmes dans des mots d’une syllabe.

Dans un deuxième temps, présenter: 

  • les consonnes p, m, d, v et ensuite b, n, ch et t (sauf dans des mots avec -tion);
  • les mots fréquents même si les correspondances ne sont pas régulières, comme elle et les
  • des lettres muettes fréquentes en fin de mot qui ont déjà été présentées (ex.: e, s, t).

Il est aussi possible de présenter tous les graphèmes dans des mots courts qui comptent des suites de consonnes comme br, pl, etc.

Dans un troisième temps, présenter: 

  • les voyelles nasales an, on, in et un;
  • les différentes façons d’écrire é et è (ai, è, ê);
  • le graphème qu.

Enfin, aborder:

  • les confusions phonologiques (ex.: t-d, f-s);
  • les confusions phonologiques et visuelles (ex.: b-d, p-b);
  • les confusions visuelles (ex.: n-u, p-q);
  • les consonnes plus rares et/ou moins transparentes g et z.

En résumé

Tout enseignement de la lecture passe par l’enseignement des correspondances graphèmes-phonèmes. Plus les correspondances sont régulières, plus elles sont faciles à apprendre par les élèves. Il apparait donc pertinent d’enseigner celles qui sont les plus régulières et aussi les plus fréquentes en premier, tout en gardant en tête que les élèves ont plus de facilité à prendre conscience d’une consonne qui s’allonge que d’une consonne comme p ou b

Référence

Les données et les exemples de ce billet sont tous tirés de l’article suivant:

Sprenger-Charolle, L. (2017). Une progression pédagogique construite à partir des statistiques sur l’orthographe du français (d’après Manulex-Morpho): pour les lecteurs débutants et atypiques. A.N.A.E. 148, 247-256. 

Il est à noter qu’Anaïs Deleuze explore le sujet plus en détail dans une série de capsules vidéos réalisées par les Éditions Passe-Temps. 

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