L’identification de mots, c’est-à-dire la compétence à reconnaitre un mot écrit et à accéder à sa signification, est la pierre d’assise sur laquelle repose la compréhension de textes. L’enseignement de l’identification de mots en lecture peut devenir un casse-tête pour les enseignants de la maternelle et du primaire, car il comporte plusieurs volets. Ce billet et le suivant visent à les guider à travers les nombreux « morceaux » à placer de façon à faciliter l’apprentissage des élèves à chaque niveau scolaire. L’enseignement à la maternelle 4 ans et 5 ans est abordé dans ce billet et celui en 1re et 2e année du primaire dans le billet suivant.
Avant tout, il demeure essentiel de rappeler que la qualité de l’enseignement de la lecture dépend de deux facteurs principaux: l’enseignement explicite des connaissances et des habiletés exigées, ainsi que le caractère authentique des interactions avec l’écrit (Al Otaiba et al., 2008). En d’autres mots, il est important de situer les activités d’enseignement explicite de l’identification de mots dans des contextes authentiques de lecture pour favoriser la motivation à apprendre. De plus, il est généralement recommandé aux enseignants de fournir 90 minutes d’enseignement de la lecture et de l’écriture par jour dès le début de la scolarisation, incluant environ 10 minutes par jour d’entrainement à la conscience phonologique pendant l’année de maternelle 5 ans (Armbruster et al., 2001; National Reading Panel, 2000). Au Québec, le régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire prescrit même 9 heures par semaine (108 minutes par jour) d’enseignement du français en 1re et 2e année du primaire (gouvernement du Québec, 2021).
Jeter les bases de l’identification de mots pendant la maternelle 4 ans et 5 ans
Avant l’enseignement formel de la lecture en 1re année du primaire, les enseignants de maternelle 4 ans et 5 ans peuvent contribuer à prévenir des difficultés d’apprentissage de l’identification de mots en misant sur les connaissances et habiletés langagières et d’éveil à l’écrit reliées aux trois domaines suivants: (1) le nom et la calligraphie des lettres; (2) la conscience phonologique et le principe alphabétique; (3) le vocabulaire.
Le nom et la calligraphie des lettres
Dès l’âge de 4 ans, les jeunes enfants commencent généralement à apprendre à nommer et à tracer les lettres. Les connaissances et habiletés liées à ces deux cibles d’apprentissage se consolident jusqu’à la fin de la première année du primaire, ce qui fait en sorte qu’à l’entrée en 2e année, les élèves peuvent nommer toutes les lettres de l’alphabet en minuscule et en majuscule, ainsi qu’écrire la grande majorité d’entre elles de façon lisible et automatique (HW21 Community, 2014; ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2011). Il est avantageux pour les enseignants de combiner l’enseignement du nom des lettres et de leur calligraphie, car l’apprentissage de l’un facilite l’apprentissage de l’autre (Molfese et al., 2006).
Souvent, l’enseignement du nom des lettres est combiné à l’enseignement du son des lettres. Pourtant, les écrits scientifiques sont unanimes à ce sujet: l’apprentissage du nom des lettres précède celui du son des lettres (Blaiklock, 2004; De Abreu & Cardoso-Martins, 1998; Levin & Aram, 2004; Mason, 1980; Treiman et al., 1998; Worden & Boettcher, 1990). Plusieurs études démontrent que les enfants apprennent plus facilement le son des lettres lorsqu’ils maitrisent préalablement le nom des lettres (Cardoso-Martins et al., 2011; Evans et al., 2006; Levin et al., 2006; McBride-Chang, 1999; Piasta & Wagner, 2010; Share, 2004; Treiman et al., 1994; Treiman et al., 1998). Par exemple, les résultats de l’étude de Kim et al. (2010) révèlent que la probabilité de connaitre le son d’une lettre passe de 4 % quand les élèves ne connaissent pas le nom des lettres à 63 % quand les élèves connaissent le nom des lettres. En fait, avant la première année du primaire, plutôt que d’enseigner le nom et le son des lettres simultanément, il serait plus avantageux de miser sur l’apprentissage du nom et de la calligraphie des lettres, et d’initier les enfants au son des lettres par l’entremise du principe alphabétique, qui s’enseigne de pair avec la conscience phonologique.
La conscience phonologique et le principe alphabétique
L’enseignement de la conscience phonologique, c’est-à-dire la conscience des syllabes, des rimes et des sons dans les mots, est aussi essentiel à la prévention des difficultés de lecture chez les élèves de maternelle (Bus & van IJzendoorn, 1999; National Early Literacy Panel, 2008). Les élèves de 4 ans peuvent facilement apprendre à compter les syllabes d’un mot et à les dire séparément, ou encore former un mot à partir de syllabes nommées par l’enseignant. Ils peuvent aussi apprendre à détecter si deux mots riment ou non. À la maternelle 5 ans, ils sont plus aptes à apprendre à repérer un son dans un mot, à dire le premier son d’un mot, à séparer des syllabes en sons ou encore à former des syllabes à partir de sons dits par l’enseignant (Lefebvre et al., 2019).
L’enseignement de la conscience phonologique devient plus puissant pour prévenir les difficultés de lecture au primaire lorsqu’il est combiné à l’enseignement du principe alphabétique, incluant le son des lettres (Ehri et al., 2001). Ce principe stipule qu’il existe une relation étroite entre l’oral et l’écrit: les syllabes et les sons que l’on entend et que l’on prononce dans les mots peuvent aussi se lire et s’écrire grâce aux lettres de l’alphabet.
À la fin d’une tâche de conscience phonologique d’une syllabe, d’une rime ou d’un son, l’enseignant peut ajouter que la syllabe, la rime ou le son en question s’écrit avec une ou des lettres données. De cette façon, l’enfant saisit progressivement la relation entre l’oral et l’écrit et devient plus apte à apprendre le son des lettres, un apprentissage majeur qui se déroule pendant les deux premières années du primaire. En effet, de cette façon l’élève comprendra mieux d’où vient le son dont l’enseignant parle lorsque celui-ci enseigne le son des lettres. Sans conscience phonologique des sons, le jeune élève ne comprend pas toujours que le son des lettres est un son que l’on entend ou prononce dans les mots. L’enseignant peut donc exposer l’élève de maternelle aux sons des lettres dans les activités de conscience phonologique des sons, sans pour autant en exiger la maitrise.
Le vocabulaire
Il est également important d’enrichir le vocabulaire des élèves, car pour identifier un mot, il faut en connaitre le sens. De plus, un vocabulaire riche facilite l’apprentissage de la conscience phonologique (Metsala & Walley, 1998). Si les élèves parlent déjà la langue d’enseignement couramment, il est avantageux pour l’enseignant de se concentrer sur le vocabulaire enrichi des livres, c’est-à-dire les mots et expressions qu’on retrouve souvent à l’écrit, mais qu’on utilise rarement dans la conversation de tous les jours (Beck et al., 2013) – par exemple, le verbe bondir et les expressions comme dit-il à la fin des phrases lorsqu’un personnage parle. Pour les élèves qui apprennent la langue d’enseignement à l’école, il est important d’apprendre les mots courants du quotidien, sans pour autant négliger le vocabulaire enrichi des livres (Lindsey et al., 2003).
Références
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