Selon un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 2015), afin de faire face aux défis du 21e siècle, les enfants doivent maîtriser un ensemble d’habiletés cognitives, sociales et émotionnelles. Sur le plan social, ces habiletés ont des répercussions diverses, notamment sur la persévérance à l’école, sur l’intégration au marché du travail, sur la prévention de problèmes de santé mentale et sur le niveau socioéconomique. Sur le plan personnel, les habiletés sociales et émotionnelles influencent le développement d’amitiés et de relations de qualité. Le fait d’avoir des amis et des relations de qualité est associé à de nombreux bénéfices (Rubin, Begle et McDonald, 2012) :
• Amélioration du sentiment de camaraderie ;
• Validation de l’identité personnelle ;
• Soutien à l’estime de soi ;
• Contribution à la sécurité émotionnelle ;
• Offre d’un contexte de découverte personnelle, d’aide et de guidance ;
• Présence d’alliés fiables pour l’enfant en cas de problèmes (par exemple, rôle de protection contre le rejet ou l’intimidation scolaire).
L’intervention à faire auprès d’un jeune qui a des difficultés sociales sera différente selon qu’il s’agit d’un déficit des habiletés ou d’un déficit de performance (Gresham, 2017). Un déficit d’habileté constitue un comportement que le jeune n’a pas appris ou qui ne fait pas encore partie de son répertoire comportemental, alors qu’un déficit de performance correspond à un comportement que le jeune manifeste, mais à un niveau insatisfaisant, soit par manque de motivation, soit parce qu’il n’a pas eu l’occasion de l’expérimenter. Un déficit d’habileté sera corrigé d’abord par l’entrainement explicite en vue de développer cette habileté (démonstration, modelage et pratique), puis par le renforcement auprès du jeune lorsqu’il utilise celle-ci. Un déficit de performance pourra être réduit en améliorant la compréhension des interactions sociales et de leurs conséquences positives comme négatives en incitant le jeune à manifester le comportement ciblé lorsque la situation s’y prête ou encore en utilisant une procédure de renforcement pour augmenter l’apparition du comportement souhaité.
Les programmes d’entrainement des habiletés sociales (PEHS) sont généralement reconnus comme des traitements efficaces pour améliorer les comportements sociaux des jeunes (Bowen, Desbiens, Gendron et Bélanger, 2014 ; Gresham, 2017 ; Verret, Massé et Picher, 2016). Ils peuvent également jouer un rôle important dans la prévention de la violence à l’école (Bottiani, Heilbrun et Bradshaw, 2018). Les programmes qui mettent l’accent sur des habiletés sociales avancées comme la coopération, les interactions sociales positives et la résolution de conflits sociaux obtiennent de meilleurs résultats quant à l’amélioration des comportements sociaux des jeunes. Les spécialistes recommandent que ces programmes soient implantés de manière préventive et universelle (par exemple pour tous les élèves d’une classe), que ces activités soient incluses dans le curriculum régulier et que, pour les jeunes présentant des problèmes d’adaptation, ces enseignements s’accompagnent de soutien individuel, d’objectifs individualisés et d’un plan de modification de comportement incluant le renforcement des habiletés visées (Schoenfeld, Rutherford, Gable et Rock, 2008). La mise à niveau des connaissances et la mise en pratique se sont révélées efficaces pour procéder à cet entrainement (Bowen et autres, 2014 ; Gresham, 2017 ; Verret et Massé, 2017 ; Verret, Massé et Picher, 2016).
La mise à niveau des connaissances est une bonne façon de vérifier les acquis des enfants quant à l’habileté visée et d’ajuster le contenu à enseigner en fonction de leurs besoins. Elle permet également de se donner un vocabulaire commun et des repères concrets concernant les comportements à modifier et ceux qui sont à adopter. Plusieurs étapes peuvent être suivies pour effectuer cette mise à niveau.
1) La justification. Cette étape est essentielle à la motivation des enfants à changer : s’ils ne voient pas l’importance de l’habileté visée pour l’intégration et l’acceptation sociales et en quoi ce qu’ils font actuellement est inapproprié, ils ne seront pas motivés à apprendre une nouvelle façon de faire (Smith, Jordan, Flood et Hansen, 2010). Pour y parvenir, l’entraineur peut d’abord présenter le concept social visé et questionner les enfants afin de découvrir leur niveau de connaissances sur le sujet. Il peut les amener à décrire les comportements inappropriés en lien avec cette habileté et à réfléchir aux conséquences négatives qui s’y rattachent. Enfin, par ses interrogations ou ses commentaires, l’entraineur doit amener les enfants à prendre conscience de l’importance de l’utilisation de l’habileté visée.
2) La description des comportements sociaux attendus. Cette étape demande d’expliquer aux enfants les comportements appropriés qui sont attendus pour acquérir l’habileté visée afin de leur enseigner clairement comment il faut s’y prendre. On utilise des scénarios sociaux qui décrivent les différentes actions que les enfants doivent faire lorsqu’ils maîtrisent l’habileté visée.
3) Le modelage de la séquence comportementale. Le modelage permet à l’animateur de démontrer l’habileté à apprendre dans le cadre de mises en situation illustrées concrètement ou de jeux de rôles.
4) Les exercices d’intégration des connaissances. L’animateur peut faire faire de courts exercices qui aideront les enfants à assimiler les connaissances relatives à l’habileté sociale visée. Par exemple, pour l’habileté « attirer positivement l’attention », on pourrait faire un exercice pour les aider à distinguer les situations où il est approprié ou non d’interrompre une personne.
5) L’objectivation des connaissances à acquérir. L’objectivation des connaissances permet de revenir sur les acquis et de faire ressortir les points importants à retenir. Celle-ci peut se faire sous forme de discussion, au cours de laquelle on pourra en outre insister sur le pourquoi, le quand et le comment exécuter l’habileté. L’objectivation aide aussi à consolider un vocabulaire commun pour tous.
Les activités de mise en pratique favorisent le maintien et le transfert des apprentissages (Bowen et autres, 2014). Cette mise en pratique consiste à créer un contexte ludique où les participants pourront mettre à profit leurs nouvelles connaissances et obtenir de la rétroaction de l’animateur. Trois types d’activités sont habituellement utilisés pour la mise en pratique, soit les jeux de rôles, les activités ou les jeux coopératifs et les mises en situation concrètes. Dans tous les cas, il importe d’expliquer l’activité et son but relativement à l’habileté à travailler, il faut diriger l’activité par rapport à l’objectif, donner des rétroactions en ce qui a trait à l’habileté et faire un retour sur la pratique et le transfert de l’habileté (Gendron et Chabot, 2008).
On distingue deux types de pratiques, soit la pratique dirigée et la pratique autonome (Bissonnette, Gauthier et Castonguay, 2017).
Dans la pratique dirigée, les apprenants exercent l’habileté visée sous la supervision étroite de l’entraineur en courtes étapes successives. L’entraineur peut donner de la rétroaction au fur et à mesure que les apprenants s’exécutent, de manière à prévenir l’apprentissage d’erreurs et de souligner les comportements corrects adoptés.
Dans la pratique autonome, les apprenants s’exercent seuls avec un soutien minimal ou inexistant de la part de l’entraineur. Ce dernier reste davantage en arrière-plan et offre de la rétroaction aux jeunes après deux ou trois essais. La pratique autonome suit normalement la pratique dirigée.
Les programmes d’entrainement des habiletés sociales seraient plus efficaces lorsqu’ils stimulent les processus d’autorégulation de l’enfant (Bowen et autres, 2014 ; Gresham et Elliott, 2014). Ce n’est pas parce qu’un enfant sait ce qu’il doit faire qu’il le fera au quotidien. L’enfant doit d’abord voir qu’il peut en tirer un bénéfice ou éviter quelque chose de désagréable. Une fois motivé, il doit avoir l’occasion de s’exercer. C’est par l’expérience qu’on acquiert de nouveaux comportements, ce qui nécessite la répétition des comportements à acquérir. La mise en pratique est un des éléments clés de l’entrainement des habiletés sociales : on obtient de meilleurs résultats sur les plans du transfert et du maintien à long terme des apprentissages lorsqu’on met en pratique les habiletés dans différentes situations au cours du programme. Les jeunes doivent donc appliquer régulièrement les habiletés apprises à la maison ou à l’école. Ils doivent aussi être renforcés par leur entourage lorsqu’ils utilisent les comportements désirés.
Références
Bottiani, J. H., Heilbrun, A. et Bradshaw, C. P. (2018). Models of health promotion and preventive intervention. Dans M. J. Mayer et S. R. Jimerson (dir.), School safety and violence prevention : Science, practice and policy (p. 71-94). Washington, DC : American Psychological Association.
Bissonnette, S., Gauthier, C. et Castonguay, M. (2016). L'enseignement explicite des comportements : pour une gestion efficace des élèves en classe et dans l'école. Montréal, Québec : Chenelière Éducation.
Bowen, F., Desbiens, N., Gendron, M. et Bélanger, J. (2014). L’entrainement aux habiletés sociales. Dans L. Massé, N. Desbiens et C. Lanaris (dir.), Les troubles du comportement à l’école: prévention, évaluation et intervention (2e éd., p. 246-262). Montréal, Québec : Gaëtan Morin Éditeur.
Gendron, M. et Chabot, M.-H. (2008). Habiletés sociales 101 et 201: comment les intégrer dans ses pratiques éducatives et les enseigner aux élèves en difficulté de comportement en stimulant leur participation active. Actes de colloque du 2e congrès biennal du CQJDC. Récupéré à : http://cqjdc.org/wp/wp-content/uploads/2013/09/2.04.pdf
Gresham, F. M. (2017). Evidence-based interventions for social skill deficits in children and adolescents. Dans L. A. Theodore (dir.), Handbook of evidence-based interventions for children and adolescents (p. 365-376). New York, NY: Springer Publishing Co.
Gresham, F. M. et Elliott, S. N. (2014). Social skills assessment and training in emotional and behavioral disorders. Dans H. M. Walker et F. M. Gresham, Handbook of evidenced-based practices for emotional and behavioral disorders: Applications in school (p. 152-172). New York, NY: Guilford Press.
Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (2015). Skills for social progress: The power of social and emotional skills. Paris, France : OECD Skills Studies, OECD Publishing. Récupéré de : http://dx.doi.org/10.1787/9789264226159-en
Rubin, K. H., Begle, A. S. et McDonald, K. L. (2012). Peer relations and social competence in childhood. Dans V. Anderson et M. H. Beauchamp (dir.), Developmental social neuroscience and childhood brain insult: Theory and practice (p. 23-44). New York, NY : Guildford Press.
Schoenfeld, N. A., Rutherford, R. B., Gable, R. A. et Rock, M. L. (2008). Engage: A blueprint for incorporating social skills training into daily academic instruction. Preventing School Failure, 52(3), 17-27. doi : 10.3200/PSFL.52.3.17-28
Smith, A. J., Jordan, J. A., Flood, M. F. et Hansen, D. J. (2010). Social skills interventions. Dans D. W. Nangle, D. J. Hansen, C. A. Erdley et P. J. Norton (dir.), Practitioner's guide to empirically based measures of social skills (p. 99-115). New York. NY: Springer.
Verret, C. et Massé, L., avec la collab. de M. Lévesque (2017). Gérer ses émotions et s’affirmer positivement. Montréal, Québec : Chenelière Éducation.
Verret, C., Massé, L. et Picher, M.-J. (2016). Habiletés et difficultés sociales des enfants ayant un TDAH : état des connaissances et perspectives d’intervention. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 64(7), 445-454. doi: 10.1016/j.neurenf.2016.08.004