améthyste, balbutier, chronophage, disette, exquis, facétieux, givre, hiéroglyphe, ignare, jujube, kapout, lilliputien, marmonner, nanane, onyx, pisse-minute, quartz, ronronner, salsifis, tiré par les cheveux, usurper, vachement, wow!, xérès, yark!, zigzaguer
Qu’ont en commun tous ces mots? Ils font tout simplement partie de la liste (changeante!) des mots que j’aime. Faites l’exercice, vous constaterez que vous avez vous aussi votre propre florilège. Chacun et chacune d’entre nous entretient ainsi un rapport personnel au monde des mots. Il en est de même pour les élèves. Et on peut tabler sur ce lien affectif pour soutenir et stimuler l’enrichissement du vocabulaire. C’est la proposition audacieuse de plusieurs chercheurs et chercheuses qui ont développé le concept de Word consciousness : une disposition positive à apprendre les mots, à les apprécier et à les utiliser habilement (Barger, 2006; Graves & Watts-Taffy, 2008; Scott & Nagy, 2009). Cette disposition lexicale, ou « rapport aux mots », peut être déclinée en trois composantes (Lavoie, Bélanger, & Tremblay, 2017) :
L’objectif de ce billet est de montrer comment la composante affective du rapport aux mots peut servir de porte d’entrée pour développer plus spécifiquement les différentes facettes de la connaissance lexicale (composantes cognitive et métacognitive).
Découvrir les facettes de la connaissance lexicale par l’observation et par le jeu
Le choix des mots qui composent la liste en exergue a été fait de façon plutôt spontanée : j’adore les mots, et il ne m’en faut pas beaucoup pour ajouter un « candidat » à mon palmarès. Cependant, chacun d’entre eux se qualifie sur la base d’un ou de plusieurs critères qui correspondent à autant d’éléments de la connaissance lexicale: forme, sens, usage (Polguère, 2016; I. S. P. Nation, 2001). Ces éléments ont d’ailleurs déjà été bien détaillés dans un billet de Berthiaume et Brossard (2017) publié sur ce blogue. Dans ma sélection personnelle, le premier critère est lié à la forme des mots, mais celui-ci est subjectif – quelqu’un d’autre aurait pu commencer par parler des mots qui désignent des « choses » qu’il aime (chocolat, mer, montagne, coucher de soleil, givre). Si vous faites l’exercice avec des enfants, c’est sans doute sur la base de ce critère qu’ils choisiront les mots. Dans ce cas, on parle du référent d’un mot, soit la « chose » du monde que ce mot désigne, et non des propriétés plus formelles que je vais présenter maintenant.
La forme
Sur le plan de la forme, on distingue la prononciation (la forme orale) – qui explique mon choix de jujube, lilliputien, marmonner et nanane, par exemple – et l’orthographe (la forme écrite) – qui justifie ma sélection de mots comme améthyste, hiéroglyphe, onyx ou salsifis.
Pour exploiter le rapport affectif des élèves envers la forme écrite des mots, on peut dresser avec eux des listes de mots dont l’orthographe nous intrigue (salsifis, mirepoix, doigt), nous pose des difficultés (parallèle, accueil, chrysanthème, hypoténuse, ecchymose), etc. On peut faire de même avec les mots dont la sonorité nous attire (balbutier, carambolage, susurrer) ou nous fait rire (bobette, kapout, cafouillage, ratatouille, yark!), en vue de l’écriture d’un poème ou d’une chanson, par exemple. Les œuvres d’un écrivain comme Yak Rivais (par exemple Les sorcières sont N.R.V.) pourraient être présentées aux élèves aussi bien pour les faire rire que pour leur montrer comment on peut s’amuser avec la matérialité des mots. Cette attention envers la forme peut également s’actualiser dans l’analyse morphologique (chronophage = chrono- + -phage), qui fait cette fois appel à une autre composante de la connaissance lexicale, le sens. Chrono- signifie « temps » et –phage « manger »; une activité chronophage, c’est donc une activité qui demande beaucoup de temps!
Un dernier jeu à explorer pour travailler à la fois la forme et le sens? La création de mots nouveaux. Il s’agit de combiner des morphèmes ou des parties de mots, en s’inspirant par exemple du Bon gros géant de Roal Dahl (kidnatrapper, savourieux, ignominable, flanouiller) ou du vocabulaire de Claude Ponti, par exemple dans Mille secrets de poussins (explosiller, grimasque, s’empigoinfrer). On peut ensuite demander aux élèves comment ils ont construit leurs mots et pourquoi ils ont choisi de joindre telle ou telle partie de mots, en fonction du sens qu’ils souhaitaient exprimer.
Pour aiguiser l’intérêt envers le sens des mots, d’autres pistes encore peuvent être explorées.
Le sens
Tenir un carnet pour y noter les mots nouveaux rencontrés durant la lecture s’avère un bon moyen de soutenir l’apprentissage du vocabulaire et de retenir aussi bien la forme que le sens des mots. C’est d’ailleurs l’occasion de donner une place de choix aux expressions idiomatiques (avoir des fourmis dans les jambes, coup de foudre, passer la nuit sur la corde à linge, etc.). Les expressions figées doivent être considérées comme des mots à part entière, puisqu’elles ont un sens spécifique qui ne peut généralement pas être déduit à partir du sens des mots qui les composent. Tiré par les cheveux, qui figure dans ma liste, est une locution adjectivale qui signifie « peu plausible » et non pas « amené vers soi à partir des poils qui poussent sur la tête des humains »! Les expressions glanées dans le carnet pourraient par la suite être illustrées soit par un dessin, un collage ou une photo. L’idée est de personnaliser le carnet de mots pour qu’il devienne une sorte de journal intime dédié aux trouvailles lexicales.
Les mots dont on ignore le sens et que l’on désire apprendre peuvent être consignés dans ce carnet, mais on peut aussi se laisser aller à nos sentiments en notant nos mots coups de cœur, à la manière de la liste en exergue, ou, pourquoi pas, les mots mal aimés (bru, guenon, glauque). Les raisons peuvent être diverses : le sens exprimé par ces mots nous plait, nous déplait? La sonorité de ces mots, alliée à leur sens, semble inusitée, étonnante, intéressante, désagréable ou encore de mauvais gout?
Enfin, dans l’abécédaire du début, les mots facétieux, disette, ignare, usurper ont été choisis pour leur sens, sens que d’autres mots peuvent exprimer (blagueur, famine, ignorant, voler), mais pas exactement dans les mêmes contextes. Les mots de ma liste s’utilisent en effet principalement à l’écrit et certains sont de registre soutenu. Cet élément ouvre la porte à une autre facette de la connaissance lexicale, qui concerne la façon dont les mots prennent vie à l’intérieur des phrases et des textes.
L’usage
La combinatoire est une facette importante de la connaissance lexicale, parce qu’elle donne des indications quant à la façon d’utiliser les mots à l’écrit ou à l’oral. Chaque mot possède ainsi un certain nombre de propriétés qui conditionnent son comportement. Vous entendez le mot vachement dans une discussion? Votre interlocuteur vient sans doute de France et le contexte de parole est probablement familier. La provenance géographique de même que le registre sont deux éléments incontournables dans la maitrise des mots. Si disette est de registre soutenu, kapout, nanane, pisse-minute et yark, en plus d’être utilisés principalement au Québec, sont de registre familier.
La classe de mots à laquelle appartient un mot représente une autre information essentielle. Un exemple? Yark et wow sont des interjections (québécoises, de surcroit!). Leur particularité : la définition de leur sens passe par la caractérisation du contexte de parole dans lequel on peut les utiliser (yark s’utilise pour exprimer le dégout, alors que wow permet de marquer l’étonnement, l’admiration ou l’enthousiasme). Ce type de mots amuse d’ailleurs beaucoup les élèves et, au primaire, l’utilisation d’un album comme Aaah!bécédaire d’Elaine Turgeon et Martin Laliberté promet des moments de plaisir et de rigolade, tant en lecture qu’en écriture[1].
Voici d’autres propriétés de combinatoire à retenir, en vrac : les mots qui ne s’utilisent qu’au pluriel (funérailles, fiançailles); les mots dont le genre est difficile à maitriser (avion, hélicoptère, autobus) ou encore les verbes qui ne se conjuguent pas à tous les temps (pleuvoir, gésir, neiger, falloir).
Conclusion
Développer la sensibilité lexicale des élèves c’est un peu comme leur enseigner à regarder une œuvre d’art (couleurs, jeux de lumière, perspective), à écouter une chanson (mélodie, accords, arrangements, timbre de voix, rythme) ou à apprécier un plat (odeurs, saveurs, consistance). Cette attitude curieuse, combinée à des connaissances de plus en plus précises sur les différents aspects de la maitrise d’un mot, représente un passeport pour découvrir et enrichir le vocabulaire, aussi bien en quantité qu’en qualité. Enfin, faire voir les unités du lexique comme des objets de collection, se glisser dans la peau d’une sorte d’entomologiste lexical et « épingler » les mots pour les étudier – observer leur forme, comprendre leur contenu, etc. – permet aussi de développer la capacité à considérer la langue comme un objet d’étude en soi (et pas seulement comme un outil de communication).
Les travaux qui ont porté sur la question du rapport aux mots montrent que les enseignants ont un rôle clé à jouer comme ambassadeurs de sensibilité lexicale[2]. À votre tour maintenant de faire preuve de cœuriosité envers les mots et de partager votre lexicophilie!
*L’auteure tient à remercier chaleureusement Valérie Perron et Alain Polguère pour leurs commentaires sur une première version de ce billet.
[1] Des suggestions d’exploitation sont proposées sur le site des Éditions Druide : https://www.editionsdruide.com/livres/aaahbecedaire
[2] Selon l’étude de Champion, Hyter, McCabe et Bland-Stewart (2003), citée par Élodie Gingras (2016) dans un autre billet paru dans ce blogue, les enseignants ne consacreraient que 1 % de leur temps à la présentation de nouveaux mots ou à la discussion sur leur sens!
Références
Barger, J. (2006). Building word consciousness. The Reading Teacher, 60(3), 279-281.
Berthiaume, R., & Brossard, S. (2017, 30 aout). Enseigner le vocabulaire : un défi à relever! [Billet de blogue]. Repéré à https://parlonsapprentissage.com/enseigner-le-vocabulaire-un-defi-a-relever/
Dahl, R. (2013). Le bon gros géant. Paris : Gallimard.
Gingras, Élodie. (2016, 19 octobre). Comment enseigner le vocabulaire aux élèves et les aider à le developer. [Billet de blogue]. Repéré à https://parlonsapprentissage.com/comment-enseigner-le-vocabulaire-aux-eleves-et-les-aider-a-le-developper/
Graves, M. F. & Watts-Taffe, S. (2008). For the Love of Words: Fostering Word Consciousness in Young Readers. The Reading Teacher, 62(3), 185-193.
I. S. P. Nation. (2001). Learning vocabulary in another language. Cambridge: Cambridge University Press.
Lavoie, C., Bélanger, S., & Tremblay, O. (2017). Découvrir les mots et enrichir le langage. 24 activités pour les 4-7 ans. Montréal : Éditions CEC.
Ponti, C. (2005). Mille secrets de poussins. Paris : L’école des loisirs.
Polguère, A. (2016). Lexicologie et sémantique lexicale. Notions fondamentales (3e éd.). Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal.
Rivais, Y. (1988). Les sorcières sont N.R.V. Paris : L’école des loisirs.
Scott, J. A, & Nagy, W. E. (2009). Developing word consciousness. Dans M. Graves (Éd.), Essential readings on vocabulary instruction (pp. 106-117). Newark, DE : International Reading Association.
Turgeon, E., & Laliberté, M. (2017). Aaah!bécédaire. Montréal : Éditions Druide.
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