L’apprentissage de l’orthographe lexicale (ou orthographe normée) constitue un défi de taille pour les élèves. Si à un phonème (un son) correspondait un graphème (une lettre ou un groupe de lettres), cet apprentissage serait relativement simple. Or, le code orthographique du français est compliqué : il existe environ 130 graphèmes pour transcrire seulement 36 phonèmes (Catach, 2008). Les correspondances entre les phonèmes et les graphèmes sont donc complexes et l’enseignement de ces correspondances joue un rôle majeur dans l’apprentissage de l’écrit. Toutefois, d’autres propriétés des mots doivent également être considérées.
Les propriétés des mots
Les mots ont trois types de propriétés : les propriétés phonologiques, morphologiques et visuelles. Les propriétés phonologiques font référence aux graphèmes qui transmettent de l’information phonologique (sonore). Les propriétés morphologiques réfèrent aux graphèmes qui transmettent du sens (le t dans le mot lait qui permet de faire des mots de même famille) alors que les propriétés visuelles se rapportent aux graphèmes qui donnent une « couleur » propre à chacun des mots, en l’absence d’indices phonologiques ou morphologiques indiquant leur présence (par exemple, le son [o] qui peut s’écrire de différentes façons, soit o, au ou eau; la lettre muette s qui n’est pas porteuse de sens dans le mot jamais; la transformation du n en m devant b dans le mot chambre).
Le principal problème des élèves en orthographe lexicale est la non-maitrise des propriétés visuelles des mots. En effet, dans une étude menée sur l’orthographe lexicale auprès d’élèves du primaire, Daigle, Costerg, Plisson, Ruberto et Varin (2016) font ressortir que près des trois quarts des erreurs d’orthographe lexicale s’expliquent par l’absence de prise en compte des propriétés visuelles. Il est donc important de sensibiliser les enfants aux trois types de propriétés des mots, en particulier aux propriétés visuelles, mais comment le faire correctement?
L’enseignement de l’orthographe lexicale : quatre avenues intéressantes
Il est important au départ de rappeler que l’enseignement de l’orthographe lexicale exige que les mots ciblés soient connus à l’oral. Autrement dit, il faut que les élèves en saisissent le sens. Par ailleurs, afin que les élèves soient sensibilisés aux propriétés visuelles des mots, les mots sélectionnés doivent contenir des aspects visuels spécifiques (par exemple, une lettre muette non porteuse de sens ou une double consonne). Pour faciliter cette sélection, l’outil interactif de recherche pour l’enseignement de l’orthographe d’usage au primaire du ministère de l’Éducation, du Loisirs et du Sport (MELS) est très utile.
Pour enseigner de façon efficace l’orthographe lexicale, l’enseignant gagne à tenir compte de quatre avenues : les dispositifs d’enseignement à l’oral, l’exposition régulière et fréquente à l’écrit, les dispositifs visant à poser des hypothèses sur l’orthographe ainsi que l’enseignement explicite des propriétés des mots, notamment des propriétés visuelles. Nous présentons ici les trois premières avenues. Nous élaborerons sur la quatrième avenue, à savoir l’enseignement explicite, dans un second billet.
1) Les dispositifs d’enseignement à l’oral
Des activités telles que le « privilège orthographique » peuvent être mises en place dans la classe. Dans cette activité, un élève a la possibilité de poser quelques questions à la classe, après une réussite. En fonction de l’objet d’enseignement ciblé, différentes questions peuvent être proposées. Voici quelques questions visant à travailler les propriétés visuelles des mots :
(Plisson & Daigle, 2015).
2) L’exposition régulière et fréquente à l’écrit
Plusieurs études ont montré qu’une exposition régulière et fréquente à l’écrit favorise l’émergence de connaissances liées aux propriétés phonologiques, morphologiques et aussi visuelles des mots chez les élèves, et ce, sans même qu’ils aient bénéficié d’un enseignement explicite de ces propriétés (Daigle, Demont, & Berthiaume, 2009; Nation, Angell, & Castles, 2007; Wright & Ehri, 2007). Autrement dit, la pratique de la lecture ou de l’écriture constitue un dispositif d’auto-apprentissage de l’orthographe lexicale. Ainsi, les enseignants gagnent à intégrer à leur enseignement de l’orthographe la pratique autonome et fréquente de la lecture et de l’écriture afin de multiplier les contacts avec le code orthographique. Pour ce faire, ils peuvent mettre en place des conditions propices à la lecture et à l’écriture autonome dans leur classe. Il peut s’agir d’aménager un coin bibliothèque ou réserver du temps à la lecture et à l’écriture dans l’horaire de la semaine. Il est aussi possible de créer des contextes qui font en sorte que les mots à travailler sont lus plus fréquemment par les élèves que les mots qui ne sont pas à l’étude (Daigle, Ammar, Berthiaume, Montésinos-Gelet, Ouellet, & Prévost, 2015).
3) Les dispositifs visant à poser des hypothèses sur l’orthographe
Des dispositifs comme les orthographes approchées, la dictée 0 faute, la dictée du jour, la négociation graphique et le recours aux commentaires métagraphiques préconisent une démarche qui favorise la verbalisation (commentaires donnés par un élève sur ses propres productions orthographiques) et un traitement de l’écrit à la manière de résolutions de problèmes. Ces dispositifs d’enseignement explicite de l’orthographe constituent des approches susceptibles d’amener les élèves du primaire et du secondaire à prendre conscience des particularités des mots à apprendre, notamment des propriétés visuelles, et à les manipuler (Daigle & Bastien, 2015; Plisson & Daigle, 2015). La réflexion menée par les élèves (seuls ou en équipes) sur ces particularités favoriserait la mémorisation de l’orthographe spécifique des mots (Montésinos-Gelet, & Morin, 2006; Morin, 2002; Charron, 2006). Par ailleurs, ces dispositifs permettent également aux enseignants d’avoir accès aux représentations que les élèves ont sur la langue et, par le fait même, de mieux adapter les interventions.
Références
Catach, N. (2008). L’orthographe française. L’orthographe en leçons : un traité théorique et pratique (3e éd.). Paris : Armand Colin.
Charron, A. (2006). Pratiques d’orthographes approchées d’enseignantes de maternelle et leurs répercussions sur la compréhension du principe alphabétique chez les élèves (Thèse de doctorat inédite). Université de Montréal, Montréal, QC.
Daigle, D., Ammar, A., Berthiaume, R., Montésinos-Gelet, I., Ouellet, C., & Prévost, N. (2015). L’enseignement de l’orthographe lexicale et l’élève en difficulté : développement et mise à l’essai d’un programme d’entraînement. Rapport de recherche – Programme actions concertées. FRQSC.
Daigle, D., & Bastien, M. (2015). Enquête sur les pratiques d’enseignement de l’orthographe lexicale et sur les besoins de formation au primaire. Montréal : Université de Montréal.
Daigle, D., Costerg, A., Plisson, A., Ruberto, N., & Varin, J. (2016). Spelling errors in French-speaking children with dyslexia: phonology may not provide the best evidence. Dyslexia, 22(2), 137-157.
Daigle, D., Demont, É., & Berthiaume, R. (2009). Sensibilité à la légalité morphologique et visuo-orthographique en lecture chez des élèves du CP au CM1. Dans N. Marec-Breton, A.-S. Besse, F. De La Haye, N. Bonneton-Botté, & E. Bonjour (Éds), L’apprentissage de la langue écrite : approche cognitive (pp. 93-105). Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
Montésinos-Gelet, I., & Morin, M.-F. (2006). Les orthographes approchées : une démarche pour soutenir l’appropriation de l’écrit au préscolaire et au primaire. Montréal : Chenelière éducation.
Morin, M.-F. (2002). Le développement des habiletés orthographiques chez des sujets francophones entre la fin de la maternelle et de la première année du primaire (Thèse de doctorat inédite). Université Laval, Québec, QC.
Nation, K., Angell, P., & Castles, A. (2007). Orthographic learning via self-teaching in children learning to read English: Effects of exposure, durability, and context. Journal of Experimental Child Psychology, 96(1), 71-84.
Plisson, A., & Daigle, D. (2015). L’enseignement de l’orthographe lexicale au secondaire : pourquoi et comment? Québec français, 174, 90–91.
Wright, D., & Ehri, L. C. (2007). Beginners remember orthography when they learn to read words: The case of doubled letters. Applied Psycholinguistics, 28(1), 115-133.
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