Orthographier correctement les mots est une compétence reconnue comme étant complexe; elle relève d’une part de la qualité des représentations orthographiques construites et emmagasinées en mémoire par le scripteur, et d’autre part de sa capacité à recourir consciemment à ses connaissances du code orthographique (Apel, 2009; Daigle & Montésinos-Gelet, 2013). Comme les apprentis scripteurs sont fréquemment confrontés à la production de mots dont l’orthographe leur est incertaine ou inconnue, ils ne peuvent s’appuyer (du moins, pas uniquement) sur leurs représentations orthographiques enregistrées en mémoire pour écrire les mots. Par conséquent, ils doivent réfléchir aux différentes propriétés du code pour tenter de les orthographier. Cette compétence à recourir consciemment à ses connaissances orthographiques pour produire et pour réviser l’orthographe des mots est qualifiée de métaorthographique. Le présent billet vise à mieux définir cette compétence.
Qu’est-ce que la compétence métaorthographique?
Le terme métaorthographique est construit par analogie au terme métalinguistique. La compétence métalinguistique se définit comme la capacité à adopter une attitude réflexive sur la langue et sur les unités qui la constituent (Gombert, 1990). La compétence métaorthographique, quant à elle, consiste plus particulièrement en la capacité à manipuler les unités orthographiques qui composent les mots et à réfléchir sur celles-ci (Varin, Daigle, Berthiaume, & Ruberto, 2013).
La compétence métalinguistique est connue pour jouer un rôle non négligeable dans le développement des compétences à lire et à écrire (Gombert, 1991). Par exemple, des études qui ont porté sur la lecture et sur la place des habiletés métalinguistiques dans son acquisition ont montré que les compétences métaphonologique et métamorphologique (celles permettant de réfléchir sur les unités sonores et les unités de sens de la langue, respectivement, et de les manipuler) jouent un rôle de première importance dans la reconnaissance des mots écrits (notamment, Colé & Fayol, 2000; Kirby, Deacon, Bowers, Izenberg, Wade-Woolley, & Parrila, 2012; Melby-Lervåg, Lyster, & Hulme, 2012). En raison de l’accès conscient aux unités de la langue qu’elles sollicitent, ces compétences sont liées aux notions de conscience phonologique et de conscience morphologique. Cette dernière a d’ailleurs fait l’objet de récents billets écrits par Marie-Catherine St-Pierre qui souligne l’importance de la conscience morphologique dans le traitement des mots écrits (La conscience morphologique : un ingrédient actif dans l’apprentissage du langage écrit, première et deuxième partie).
À l’instar de la reconnaissance des mots en lecture, le niveau de compétence métalinguistique pourrait également rendre compte de l’habileté à produire l’orthographe correcte des mots en écriture. Une étude réalisée à ce sujet par notre équipe de recherche a effectivement mis en évidence que la capacité à orthographier les mots relèverait, du moins, en partie, de la compétence métaorthographique (Varin et al., 2013).
La manipulation des unités orthographiques qui composent les mots et la réflexion sur celles-ci seraient fortement sollicitées en contexte de révision de l’écrit (Daigle & Montésinos-Gelet, 2013). En effet, lors de la vérification de l’orthographe, le scripteur cherche à valider que les mots sont correctement orthographiés (en fonction de la norme) ou qu’ils sont plausibles (en fonction de ce qu’il connait des propriétés du code orthographique). Ces vérifications, qui sollicitent la conscience linguistique du scripteur, peuvent se fonder sur ses connaissances phonologiques (est-ce que le mot tel qu’il est écrit « sonne » bien?), ses connaissances morphologiques (est-ce que le mot doit être accordé?) ou ses connaissances visuo-orthographiques (est-ce que le mot tel qu’il est écrit m’apparait « beau »?). Ainsi, lorsqu’on demande aux élèves de réviser l’orthographe des mots, on fait appel à leur capacité à recourir consciemment aux connaissances qu’ils ont développées quant aux diverses propriétés du code orthographique et donc leur compétence métaorthographique.
Même si la compétence métaorthographique s’avère fréquemment sollicitée et indirectement évaluée en salle de classe, elle demeure peu connue des enseignants. Par ailleurs, elle a, à ce jour, été peu étudiée en contexte de recherche. Je présenterai ses applications en contexte scolaire la semaine prochaine.
Références
Apel, K. (2009). The acquisition of mental orthographic representations for reading and spelling development. Communication Disorders Quarterly, 31(1), 42-52. doi:10.1177/1525740108325553
Colé, P., & Fayol, M. (2000). Reconnaissance de mots écrits et apprentissage de la lecture : Rôle des connaissances morphologiques. Dans M. Kail, & M. Fayol (Éds), L’acquisition du langage : Le langage en développement au-delà de trois ans (pp. 151–182). Paris : Presses universitaires de France.
Daigle, D., & Montésinos-Gelet, I. (2013). Le code orthographique du français, ses caractéristiques et son utilisation. Dans D. Daigle, I. Montésinos-Gelet & A. Plisson (Éds). Orthographe et populations exceptionnelles : perspectives didactiques (pp. 11-32). Québec : Presses de l’Université du Québec.
Gombert, J.- E. (1990). Le développement métalinguistique. Paris : Presses universitaires de France.
Gombert, J.- E. (1991). Le rôle des capacités métalinguistiques dans l’acquisition de la langue écrite. Repères pour la Rénovation de l’Enseignement du Français, 3, 143-156.
Kirby, J. R., Deacon, S. H., Bowers, P. N., Izenberg, L., Wade-Woolley, L., & Parrila, R. (2012). Children’s morphological awareness and reading ability. Reading and Writing: An Interdisciplinary Journal, 25(2), 389–410. doi:10.1007/s11145-010-9276-5
Melby-Lervåg, M., Lyster, S. A. H., & Hulme, C. (2012). Phonological skills and their role in learning to read: a meta-analytic review. Psychological bulletin, 138(2), 322-352. doi:10.1037/a0026744
Varin, J., Daigle, D., Berthiaume, R., & Ruberto, N. (2013). La révision orthographique chez l’élève dyslexique. La compétence métaorthographique. Dans D. Daigle, I. Montésinos-Gelet, & A. Plisson (Éds), Orthographe et populations exceptionnelles : perspectives didactiques (pp. 201-220). Québec : Presses de l’Université du Québec.
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