Un matin de janvier, dans un service de garde, l’éducatrice demande à Simon:
«Ton lacet est détaché?
— Oui, répond Simon.
— Moi aussi, ça m’arrive parfois. C’est pour ça que j’aime bien les espadrilles à velcro.
— “Ceuse-là à velcro sontaient” trop grandes au magasin.
— Et seulement celles à lacets étaient de ta pointure!»
Nul besoin de vous dresser un long tableau pour expliquer l’importance qu’ont, pour le développement langagier, ces petites conversations quotidiennes d’un enfant avec son éducatrice au cours d’une journée en service de garde. Ces interactions entre l’éducatrice et les enfants offrent un espace dans lequel ils peuvent créer de nouvelles phrases, jouer avec de nouvelles expressions, apprendre de nouveaux mots… Ces moments jouent donc un rôle essentiel dans le développement de leurs habiletés de langage et de communication, outils indispensables d’apprentissage et de socialisation.
Évident, direz-vous?
Pas autant qu’on pourrait le penser. En effet, en observant à la loupe les interactions entre les éducatrices et les enfants lors d’activités typiques d’une journée en service de garde, on se rend compte que les stratégies qui peuvent soutenir le langage des enfants ne sont pas employées si fréquemment.[1] Par exemple, on se met à la hauteur des enfants pour leur parler, mais pas tout le temps; on reformule les phrases des enfants en y ajoutant de nouveaux mots, mais pas si souvent; on pose parfois des questions ouvertes pour susciter la conversation, mais surtout avec les enfants qui parlent le plus. C’est donc dire qu’il est possible de faire d’autres pas de l’avant pour que nos services de garde soient encore plus propices au développement du langage et de la communication des enfants. Ou, si j’ose emprunter l’expression anglophone, pour les rendre encore plus communication friendly!
Au cours des dernières années, de nombreuses recherches se sont intéressées à l’utilisation de ces stratégies de soutien au développement langagier des enfants par les éducatrices en service de garde. Afin de vous aider à mieux comprendre où en sont les recherches à ce sujet, je vous présente l’une d’elles, réalisée par Piasta et ses collègues (2012). Ces chercheurs ont mis à l’essai un dispositif de formation pour le personnel éducateur[2] d’un programme préscolaire aux États-Unis, qui vise à soutenir ce qu’ils nomment la «sensibilité conversationnelle» (conversational responsivity) des éducatrices.
Une étude intéressante
Piasta et ses collègues ont réparti dans deux groupes, de manière aléatoire, 49 éducatrices travaillant auprès d’enfants d’âge préscolaire. Le premier groupe a suivi une formation de 3 jours portant sur la sensibilité conversationnelle. Elles ont ainsi été conscientisées à l’importance d’être à l’écoute des enfants, de suivre leurs centres d’intérêt et d’utiliser ce qu’ils disent ou veulent dire pour prolonger les échanges, reformuler leurs phrases, y ajouter des mots. Les stratégies enseignées sont divisées en deux catégories?: d’une part, des stratégies qui facilitent la communication (ex.: être chaleureux et à l’écoute, utiliser des questions afin de poursuivre la conversation) et, d’autre part, des stratégies qui soutiennent le développement langagier (ex.: mettre l’accent sur les mots importants, parler d’évènements passés et futurs). Au cours de l’année suivante, les chercheurs ont offert aux éducatrices des rétroactions écrites sur des vidéos de leurs interactions avec les enfants dans le groupe. Ce dispositif de formation est en fait une version courte – et moins chronophage, selon les chercheurs – du programme Learning Language et Loving it du Centre Hanen. Le second groupe, quant à lui, faisait office de groupe témoin.
Pour vérifier les effets de la formation, les chercheurs ont analysé de courts extraits vidéo d’interactions entre les éducatrices et les enfants lors d’une activité de pâte à modeler; lorsqu’une stratégie était utilisée, un point était accordé. Ils ont aussi analysé la longueur des phrases et la diversité des mots produits par les enfants durant ces conversations.
Les constats des chercheurs sont les suivants:
En conclusion
L’étude de Piasta et ses collègues rappelle que soutenir le développement du langage des jeunes enfants n’est pas sorcier. En effet, il s’agit d’être à l’écoute des enfants et d’utiliser le plus fréquemment possible des stratégies naturelles, adaptées à ce qu’ils nous disent. Toutefois, il n’est pas si simple pour les éducatrices en service de garde de modifier leurs interactions avec les enfants, même en suivant une formation. Il est donc essentiel de poursuivre la réflexion quant aux actions pouvant être menées pour soutenir au mieux, dans les services de garde, le développement langagier des enfants, surtout pour ceux qui en ont le plus besoin. On peut même se demander, dans la foulée de la certification «Ami des bébés» pour les hôpitaux: à quand une certification «Ami de la communication» pour les services de garde?
Références
Bouchard, C., Bigras, N., Cantin, G., Coutu, S., Blain-Brière, B., Eryasa, J., Charron, A. & Brunson, L. (2010). Early childhood educators’ use of language-support practices with 4-year-old children in child care centers. Early Childhood Education Journal, 37(5), 371-379.
Chen, J. J., & de Groot Kim, S. (2014). The quality of teachers’ interactive conversations with preschool children from low-income families during small-group and large-group activities. Early Years: An International Journal of Research and Development, 34(3), 271-288.
Girolametto, L., & Weitzman, E. (2002). Responsiveness of child care providers in interactions with toddlers and preschoolers. Language, Speech, and Hearing Services in Schools, 33(4), 268-281.
Pence, K. L., Justice, L. M., & Wiggins, A. K. (2008). Preschool teachers’ fidelity in implementing a comprehensive language-rich curriculum. Language, Speech and Hearing Services in School, 39(3), 329-341.
[1] Plusieurs études peuvent être consultées à ce sujet, dont Bouchard et al. (2010), au Québec; Girolametto et al. (2002), en Ontario; Chen et al. (2014) et Pence et al. (2008), aux États-Unis.
[2] Aux États-Unis, dans le programme Head Start, on parle plutôt d’enseignants, mais les termes « éducatrice » et « personnel éducateur » sont conservés ici pour ne pas trop mélanger les cartes. Le féminin a également été privilégié.
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