Les approches ludiques rendent les apprentissages plus agréables pour les élèves et permettent généralement l’atteinte des mêmes objectifs que ceux visés par les approches plus traditionnelles. Dans ce billet, nous montrons l’intérêt d’exploiter le jeu en contexte scolaire, notamment afin de soutenir l’apprentissage de l’orthographe lexicale des élèves.
Le jeu en contexte scolaire
Il existe plusieurs définitions du jeu. Pour les besoins de ce billet, le jeu sera considéré comme une activité à caractère ludique connue pour être agréable, attrayante et motivante (Bédard, 2010). Les enfants s’engageraient d’ailleurs naturellement et spontanément dans le jeu (Chouinard & Archambault, 2010). En ce sens, appliqué au contexte scolaire, le jeu permettrait de répondre à plusieurs besoins observés par différents chercheurs (pour une recension, voir Bédard & Brougère, 2010) et acteurs des milieux scolaires. Parmi ces besoins, notons, d’une part, celui associé à l’engagement des élèves dans leurs apprentissages (Leach & Sugarman, 2005; Wassermann, 1992). En effet, le jeu est un renforçateur naturel : il n’est souvent pas nécessaire de prévoir une récompense pour susciter l’engagement des élèves dans une situation de jeu, et ce, même si celui-ci a une visée pédagogique. De plus, les élèves seraient plus enclins à s’engager dans un jeu, car, comme joueurs, ils se doivent d’être actifs. Finalement, comme l’objectif d’un jeu n’est généralement pas de démontrer ses apprentissages, mais plutôt de s’amuser, le jeu serait moins menaçant qu’une situation d’apprentissage plus traditionnelle. Cela favoriserait l’expression et l’engagement de certains enfants plus timides ou anxieux.
D’autre part, le jeu permet de répondre à certains besoins de l’enseignant, notamment ceux d’exploiter différents dispositifs pour répondre aux diverses particularités de ses élèves et de susciter l’interaction entre ses élèves. De plus, plusieurs jeux encouragent la réflexion et le développement de stratégies de résolution de problème, processus importants dans l’apprentissage des différents contenus scolaires (Frenkel & Deforge, 2014; Leuba, 2013).
Étant donné les nombreux avantages qu’il est possible d’associer au jeu, il importe de se demander pourquoi il n’est pas plus exploité en salle de classe. Rieber (2001, cité dans Chouinard & Archambault, 2010) pose l’hypothèse qu’il est plus facile de formuler les applications du jeu que de les appliquer concrètement en salle de classe. Dans la suite de ce billet, nous aborderons donc des pistes pour exploiter le jeu dans un contexte d’apprentissage de l’orthographe lexicale.
Le jeu pour soutenir l’apprentissage : le cas de l’orthographe lexicale
Les données recueillies en milieu francophone sont très claires : un grand nombre d’élèves éprouve des difficultés en orthographe lexicale (Fayol & Jaffré, 2014; MELS, 2010). Le code orthographique du français est effectivement complexe. Afin que les élèves développent leur compétence orthographique, ils doivent développer leurs connaissances sur les différentes propriétés du code (phonologique, morphologique et visuelle) et apprendre à réfléchir sur celles-ci (pour plus de précisions sur le sujet, voir notamment les billets présentés par Joëlle Varin les 20 et 27 juillet 2016). Se représenter l’orthographe comme un processus de résolution de problème permet de voir le jeu comme un dispositif d’enseignement et d’apprentissage pertinent.
Depuis les années 2000, quelques jeux ont été commercialisés afin de soutenir les élèves francophones dans leur apprentissage du code orthographique (p. ex. L’As des lettres, Mission Orthographe?!, Colima-sons, Orthographe sans papier ni crayon). Bien que ces jeux soient faciles d’utilisation, attrayants et résistants, ils présentent certaines limites. En effet, certains de ces jeux n’abordent pas toutes les propriétés du code orthographique. Des propriétés du code sont également parfois confondues (p. ex., il n’y a pas toujours de distinction entre des lettres muettes non porteuses de sens et celles porteuses de sens). De plus, les jeux n’abordent pas tous les mots dont l’orthographe devrait être connue par les élèves du primaire selon leur cycle scolaire, ni tous les mots que l’enseignant souhaite travailler avec eux.
Afin de pallier ces limites, l’enseignant peut décider d’ajouter à sa collection de jeux du matériel ludique qu’il se créera lui-même et qu’il pourra bonifier au fil des années. D’une part, l’enseignant peut adapter des jeux connus comme le bingo pour susciter la réflexion sur les propriétés des mots écrits. Par exemple, les chiffres présentés sur la traditionnelle carte de bingo peuvent être remplacés par des mots contenant différentes particularités orthographiques. L’enseignant, au lieu de nommer les mots, donne des consignes aux élèves afin qu’ils le découvrent eux-mêmes (p. ex., mets un jeton sur le mot qui contient le son [o] qui s’écrit de deux façons différentes. Réponses possibles : auto, astronaute, poteau). Pour les élèves plus âgés, le jeu Scattergories peut également être adapté. Dans ce jeu, le joueur doit trouver des mots qui commencent par une lettre choisie (p. ex. A) et qui répondent à diverses catégories données (p. ex. le nom d’une matière scolaire, le nom d’un objet qu’on retrouve sur une plage). L’enseignant peut remplacer les catégories indiquées par des énoncés qui susciteront la réflexion sur l’orthographe des mots (p. ex. un mot qui commence par la lettre donnée et qui se termine par un -s muet, non porteur de sens).
D’autre part, l’enseignant peut également se construire un boitier de questions travaillant chacune des propriétés du code orthographique : phonologique (p. ex., trouve deux mots qui commencent par le même son que le mot X), morphologique (p. ex., trouve deux mots de la même famille que le mot X) et visuelle (p. ex., trouve deux mots qui contiennent la séquence de lettres X-X-X)[1]. Ces questions peuvent ensuite être intégrées à un nombre quasi infini de jeux (p. ex., le bonhomme pendu, le tictacto). Dans le cas du tictacto, notamment, l’élève doit répondre correctement à une question pour pouvoir placer son X ou son O.
Somme toute, le jeu possède de nombreux avantages. Pour l’élève, il suscite l’engagement dans ses apprentissages et l’interaction avec ses pairs. Pour l’enseignant, il permet de varier son enseignement et de favoriser l’interaction entre ses élèves. Utilisé dans un contexte d’apprentissage de l’orthographe, le jeu permettrait aux élèves de se familiariser avec les différentes propriétés du code orthographique dans un contexte naturellement amusant. Pour ce faire, l’enseignant peut adapter des jeux connus ou se créer un boitier de questions.
Références
Bédard, J. (2010). Des définitions de sens commun de jeunes qui caractérisent le jeu et sa relation avec l’apprentissage. Dans J. Bédard & G. Brougère (Dirs), Jeu et apprentissage : quelles relations? (pp. 19-42). Sherbrooke, Québec : Éditions du CRP.
Bédard, J., & Brougère, G. (2010). Jeu et apprentissage : quelles relations? Sherbrooke, Québec : Éditions du CRP.
Chouinard, R., & Archambault, J. (2010). Motiver les élèves en intégrant les caractéristiques du jeu aux situations d’apprentissage. Dans J. Bédard & G. Brougère (Dirs), Jeu et apprentissage : quelles relations? (pp. 63-80) Sherbrooke, Québec : Éditions du CRP.
Daigle, D., Costerg, A., Plisson, A., Ruberto, N., & Varin, J. (2016). L’orthographe sans papier ni crayon : des centaines de questions pour apprendre l’orthographe par le jeu. Montréal : Chenelière Éducation.
de Brito, C., & Chaput, B. (2008). Colima-Sons. Pas de problème, je connais mes graphèmes! Montréal : Les Jeux de Bri-Bri.
Fayol, M., & Jaffré, J.-P. (2014). Apprendre et utiliser l’orthographe lexicale. Dans M. Fayol & J.-P. Jaffré (Dirs), Que sais-je? L’orthographe (pp. 55-89). Paris : Presses universitaires de France.
Frenkel, S., & Deforge, H. (2014). Métacognition et réussite scolaire : perspectives théoriques. Dans C. Gireaudeau & G. Chasseigne (Éds), Psychologie, éducation et vie scolaire (pp. 87-113). Paris : Éditions Publibook Université.
Gagné, N. (2000). L’As des lettres muettes. Québec : Les Éditions Passe-Temps.
Génération5 (Éd.). (2004). Mission orthographe! [série de logiciels]. Chambéry, France : Génération5.
Leach, G. J., & Sugarman, T. S. (2005). Play to win! Using games in library instruction to enhance student learning. Research Strategies, 20(3), 191-203.
[1] Les questions proposées sont tirées des boitiers de jeu L’orthographe sans papier ni crayon, publié aux éditions de la Chenelière Éducation. Chaque boitier contient des centaines de questions visant à favoriser l’apprentissage de l’orthographe des élèves du primaire.
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