Pourquoi l’apprentissage des fractions et des nombres décimaux est-il si difficile?

08/06/2016 12:48:22

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Les fractions et les nombres décimaux sont cruciaux pour le développement des habiletés mathématiques qui mènent à la réussite scolaire et, plus tard, à l’efficacité dans de nombreuses professions. Ces habiletés sont aussi essentielles au quotidien. Nous en avons en effet continuellement besoin et nous les utilisons souvent sans même nous en rendre compte.

Lortie-Forgues, Tian et Siegler (2015) ont réalisé un état des lieux de la littérature actuelle sur la compréhension et la manipulation des fractions et des nombres décimaux. Pour cela, ils ont abordé quatre points essentiels pour comprendre les connaissances que nous avons des fractions et des nombres décimaux, leur développement, et l’utilisation que nous en faisons. Le présent billet traite du développement des connaissances et des habiletés relatives aux fractions et aux nombres décimaux ainsi que des difficultés inhérentes qui leur sont associées. Le prochain billet traitera des variations culturelles dans l’apprentissage des fractions et des nombres décimaux, et de certaines interventions possibles pour favoriser cet apprentissage.

 

Le développement des connaissances et des habiletés relatives aux fractions

Lortie-Forgues et ses collègues (2015) nous rappellent d’abord que le système scolaire américain recommande que l’apprentissage des fractions se fasse graduellement en 4e, 5e et 6e années (ce qui correspond aux 4e, 5e et 6e années de primaire au Québec), d’abord avec l’addition et la soustraction de fractions ayant des dénominateurs communs, suivi de la multiplication et de la division de ces fractions. Ils proposent aussi que le lien avec la résolution de problèmes impliquant un rapport, une proportion ou un taux, par exemple, soit enseigné en 7e et 8e années (correspondant aux 1re et 2e secondaire au Québec). En comparaison, au Québec, si la majeure partie des attentes concernant les connaissances et l'utilisation des fractions se situe en 5e année du primaire selon le Programme de formation de l’école québécoise, les apprentissages commencent dès la 1ere année du primaire selon la Progression des apprentissages (par exemple, reconnaître des fractions se rapportant à des éléments du quotidien).

Quelques études se sont attardées au développement des connaissances et des habiletés procédurales avec les fractions, au-delà des attentes des programmes scolaires. Dans la récente étude de Siegler et Pike (2013), notamment, des enfants américains de la 6e année à la 8e année (6e année du primaire à 2e secondaire au Québec) ont eu à résoudre des opérations avec des fractions. Les résultats montrent que les jeunes de 6année réussissent 41 % des opérations alors que les élèves de 8e année en réussissent 57 %. Globalement, les enfants sont meilleurs dans les additions et les soustractions que dans les multiplications et que les divisions. En addition et en soustraction, ils sont meilleurs quand le dénominateur est commun entre les deux fractions. En multiplication, étonnamment, ils sont aussi meilleurs quand le dénominateur est commun entre les deux fractions. De manière générale, les erreurs sont principalement liées à la généralisation des règles valables pour les nombres entiers que les enfants appliquent aux fractions, telles qu’ajouter les numérateurs et les dénominateurs. D’autres erreurs sont souvent liées à la généralisation des règles d’une autre opération arithmétique sur les fractions, comme conserver le dénominateur commun en multiplication (règle en addition et en soustraction) alors qu’il doit aussi être multiplié.

 

Le développement des connaissances et des habiletés relatives aux nombres décimaux

En ce qui concerne l’enseignement des nombres décimaux dans le système scolaire américain, il doit commencer en 5e année avec les quatre opérations et des nombres à deux chiffres après la virgule. L’apprentissage se poursuit en 6e année, où sont introduits des nombres à plus de deux chiffres après la virgule, puis en 7e année (1re secondaire au Québec), avec l’enseignement de la résolution de problèmes impliquant des transcodages entre des fractions et des nombres décimaux.

Dans l’étude de Hiebert et Wearne (1985), des enfants de la 5e à la 9e année (5e année du primaire à 3e secondaire au Québec) ont eu à résoudre des opérations comportant des nombres décimaux. Les élèves de 5année ont réussi 20 % des additions, 21 % des soustractions et 30 % des multiplications, alors que ceux en 9e année ont réussi 80 % des additions, 82 % des soustractions et 75 % des multiplications. Les jeunes sont généralement meilleurs pour résoudre les additions et les soustractions quand les deux opérandes ont le même nombre de décimales. Ils sont aussi meilleurs pour multiplier un entier et un nombre décimal que deux nombres décimaux entre eux.

 

Les difficultés inhérentes aux fractions et aux nombres décimaux

Lortie-Forgues et ses collaborateurs (2015) ont identifié sept sources de difficultés inhérentes aux fractions et aux nombres décimaux expliquant de faibles performances :

  • La notation des fractions et des nombres décimaux est particulière et différente de celle des nombres entiers. Il faut d’une part comprendre la fraction comme un nombre à lui seul et ne pas considérer chaque nombre comme des entiers. Il faut d’autre part comprendre les règles de la notation décimale, par exemple qu’ajouter un 0 après la virgule ou plusieurs chiffres après celle-ci n’augmente pas la magnitude du nombre (i.e., le sens du nombre, la quantité représentée).
  • L’accès à la magnitude des fractions et des nombres décimaux est difficile. Comprendre qu’il existe des nombres entre 0 et 1 et qu’un nombre est indéfiniment divisible n’est pas simple. Dans l’étude de Siegler et Pike (2013) sur les fractions, les jeunes de 8année (2secondaire au Québec) et même les étudiants postsecondaires réussissent seulement 70 % des comparaisons de celles-ci. Les meilleurs en comparaison de fractions ou en positionnement de fractions sur une ligne numérique (tâches évaluant l’accès à la magnitude) sont aussi les meilleurs en arithmétique des fractions. Pour ce qui est des nombres décimaux, seulement 43 % des jeunes de 9eannée (3e secondaire) réussissent à ordonner 0,09, 0,385, 0,3, et 0,1814, selon l’étude de Hiebert et Wearne (1985). Une corrélation entre l’accès à la magnitude d’un nombre décimal et la capacité de l’élève à faire de l’arithmétique avec les nombres décimaux est aussi mise en évidence.
  • Les procédures arithmétiques standards sur les fractions et les nombres décimaux sont opaques. Lorsqu’on interroge des jeunes, plusieurs questions sont soulevées et mises en évidence par ceux-ci : pourquoi avoir besoin d’un dénominateur commun pour l’addition et la soustraction, mais pas pour la multiplication et la division de fraction? Pourquoi traiter indépendamment les numérateurs et les dénominateurs dans la multiplication, mais pas dans l’addition de fractions? Pourquoi additionner deux nombres décimaux à deux décimales donne-t-il un résultat à deux décimales alors que les multiplier donne un résultat à quatre décimales?
  • Les relations entre les procédures arithmétiques sur les fractions et les nombres décimaux et celles sur les nombres entiers sont complexes. Pour les fractions, cela mène à des erreurs comme additionner indépendamment les numérateurs et les dénominateurs de deux fractions : 22 % des élèves de la 6e à la 8e année (2secondaire) font ce type d’erreur (Siegler & Pike, 2013). En ce qui a trait aux nombres décimaux, des erreurs sont observées dans les additions posées en colonne : les jeunes ont tendance à aligner les nombres à partir de la droite plutôt que de se fier à la virgule pour les aligner.
  • Les relations entre les procédures arithmétiques d’une opération à l’autre sur les fractions et les nombres décimaux sont complexes. Dans l’étude de Siegler et Pike (2013), par exemple, 55 % des réponses aux divisions de fractions et 46 % des réponses aux multiplications de fractions des élèves de la 6eà la 8e année (2e secondaire) comportaient des procédures pour l’addition. Dans celle de Hiebert & Wearne (1985) sur les nombres décimaux, 76 % des réponses des enfants de 6e année mettaient en évidence une procédure d’addition dans une multiplication, à savoir un alignement de chaque virgule des deux opérandes.
  • La direction des effets de multiplier et de diviser est différente selon la taille de la fraction et du nombre décimal. En effet, multiplier un nombre par une fraction positive entre 0 et 1 ou par un nombre décimal inférieur à 1 produit une diminution du nombre cible (5 x ½ = 2,5; 5 x 0,5 = 2,5) alors que multiplier ce nombre par une fraction positive supérieure à 1 ou par un nombre décimal supérieur à 1 produit une augmentation du nombre cible (5 x 3/2 = 7,5; 5 x 1,5 = 7,5). De même, diviser un nombre par une fraction positive entre 0 et 1 ou par un nombre décimal inférieur à 1 produit une augmentation du nombre cible (5 ÷ ½ = 10; 5 ÷ 0,5 = 10) alors que diviser ce nombre par une fraction positive supérieure à 1 ou par un nombre décimal supérieur à 1 produit une diminution du nombre cible (5 ÷ 3/2 = 10/3; 5 ÷ 1,5 = 3,33).

  • Enfin, le nombre de procédures arithmétiques sur les fractions et les nombres décimaux est élevé.

Toutes les difficultés inhérentes aux fractions et aux nombres décimaux présentées ci-dessus permettent de comprendre les nombreux problèmes que les enfants rencontrent lorsqu’ils découvrent ces nombres et ceux auxquels les enseignants font face lors de leur enseignement.

 

Références

Hiebert, J., & Wearne, D. (1985). A model of students' decimal computation procedures. Cognition and Instruction, 2(3 & 4), 175-205.

Lortie-Forgues, H., Tian, J., & Siegler, R. S. (2015). Why is learning fraction and decimal arithmetic so difficult? Developmental Review38, 201-221.

Siegler, R. S., & Pyke, A. A. (2013). Developmental and Individual Differences in Understanding of Fractions. Developmental Psychology, 49, 1994-2004.

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