D’emblée, on conseille souvent d’utiliser des objets et de les manipuler pour favoriser l’apprentissage de concepts mathématiques. L’idée est intuitive, plaisante et largement répandue. Cependant, la question de connaitre l’efficacité de tels moyens d’enseignement des mathématiques ou de remédiation des difficultés mathématiques en est une qui a toute sa place et sa légitimité actuellement.
La manipulation d’objets est-elle efficace pour l’apprentissage de concepts mathématiques?
Carbonneau, Marley et Selig (2013) ont réalisé une revue de littérature systématique de type méta-analyse qui visait à déterminer l’efficacité de la manipulation d’objets dans l’apprentissage en mathématiques. Pour cela, ils ont sélectionné 55 études. Les résultats : l’ensemble de ces études montrent généralement un effet significatif des interventions menées avec la manipulation d’objets. Des constats intéressants sont ressortis :
Les auteurs concluent donc à une supériorité des interventions utilisant la manipulation d’objets par rapport à celles ne s’appuyant que sur l’abstraction symbolique.
Pourquoi la manipulation d’objets peut-elle aider à l’apprentissage de concepts mathématiques abstraits?
Carbonneau et Marley (2015) ont discuté des bénéfices qu’apportent les objets de manipulation à l’apprentissage en mathématiques. Selon eux, plusieurs raisons peuvent expliquer leur effet potentiel.
Premièrement, les théories développementales stipulent que l’objet de manipulation révèle la structure sous-jacente du concept et facilite la relation entre le concept abstrait et le phénomène concret. Comme les jeunes enfants seraient dépendants du monde physique et auraient besoin d’objets pour passer du monde physique au monde abstrait, les objets de manipulation leur permettraient de faire le lien entre un concept mathématique abstrait et le monde réel. Les plus vieux, eux, n’en auraient plus besoin.
Deuxièmement, les théories cognitives suggèrent que l’objet de manipulation permet à l’apprenant de porter son attention sur un stimulus pertinent de l’environnement et lui offre une représentation multimodale utile pour l’encodage et la récupération future. D’une part, l’encodage est considéré comme double, car la représentation du concept est à la fois verbale (avec des mots et des symboles) et visuelle (avec des images). Quand l’une des représentations est activée, l’autre le serait aussi. Ainsi, l’objet de manipulation propose une représentation visuelle qui, associée à la verbalisation, faciliterait l’apprentissage. D’autre part, la manipulation d’un objet crée une relation forte entre celui-ci et ses caractéristiques dans l’espace, mais également entre l’objet et les expériences motrices et perceptuelles de celui qui le manie, ce qui multiplie les canaux pour retenir et récupérer en mémoire un concept.
Troisièmement, les théories motivationnelles expliquent que s’engager physiquement dans une activité est motivant pour l’enfant et peut aider l’apprentissage. Les objets de manipulation donnent alors aux enfants l’opportunité de découvrir les concepts de manière informelle.
Recommandations dans la manipulation d’objets pour l’apprentissage de concepts mathématiques abstraits
À la suite de leur méta-analyse et de leurs explications concernant la façon dont la manipulation d’objets favorise l’apprentissage en mathématiques, Carbonneau et ses collègues (Carbonneau et al., 2013; Carbonneau & Marley, 2015) émettent quelques recommandations pour l’apprentissage :
En conclusion
Si les résultats des deux études présentées sont tout à fait encourageants, d’autres recherches actuelles convergent pourtant encore vers l’idée qu’il s’agit d’une croyance intuitive, largement répandue, mais dont les données probantes sont encore à obtenir. Pour bien préciser tout cela, de nouvelles recherches devront poursuivre l’étude du développement et de l’apprentissage en mathématiques chez l’enfant, et en particulier l’évaluation de l’efficacité de la manipulation d’objets. Il serait notamment pertinent de savoir dans quelles circonstances, avec quels objets, pour quels concepts et accompagné de quelles aides verbales l’apprentissage avec manipulation est efficace en mathématiques.
Références
Carbonneau, K. J., Marley, S. C., & Selig, J. P. (2013). A meta-analysis of the efficacy of teaching mathematics with concrete manipulatives. Journal of Educational Psychology, 105(2), 380-400. doi: 10.1037/a0031084
Carbonneau, K. J., & Marley, S. C. (2015). Instructional guidance and realism of manipulatives influence preschool children’s mathematics learning. The Journal of Experimental Education, 83(4), 495-513. doi: 10.1080/00220973.2014.989306
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