La mémoire de travail permet de garder temporairement active l’information pendant que celle-ci est traitée. Comme l’indique Simon Tobin dans un de ses billets, « c’est en quelque sorte le “bureau de travail” mental responsable, par exemple, de garder en mémoire les informations utiles lors d’une résolution de problème ». On lui a souvent attribué un rôle crucial dans le développement des apprentissages, en particulier dans les tâches complexes que représentent les mathématiques. Pourtant, il n’existe encore à ce jour aucun consensus quant au rôle exact de la mémoire de travail dans le développement des capacités mathématiques chez l’enfant.
Deux grandes conceptions s’opposent quant au fonctionnement de la mémoire de travail. D’un côté, le modèle de Baddeley la conçoit comme une capacité générale et transversale. Baddeley (1986) définit deux systèmes esclaves (la boucle phonologique et le calepin visuospatial) et le système central exécutif de coordination (l’administrateur central). D’autres l’envisagent comme une capacité spécifique à un domaine de compétence donnée : les compétences de la mémoire de travail dépendraient du domaine spécifique de connaissances. En ce sens, la mémoire à long terme et les connaissances dans un domaine particulier pourraient suppléer ou faciliter le traitement en mémoire de travail.
Peng, Namkung, Barnes et Sun (2015) ont réalisé une revue de littérature de type méta-analyse dans le but d’étudier la relation entre la mémoire de travail et les capacités mathématiques. Les auteurs n’ont pas limité leur recherche à une tranche d’âge en particulier, car ils souhaitaient étudier l’évolution de la relation entre les deux capacités cognitives en fonction de l’âge. De plus, Peng et ses collègues (2015) voulaient identifier les modérateurs possibles de la relation. Ainsi, ils ont cherché à savoir si les différents domaines de la mémoire de travail, les différentes compétences mathématiques et les caractéristiques de la population testée ont une influence sur la relation entre la mémoire de travail et les capacités mathématiques. En particulier, six compétences mathématiques ont été considérées dans la méta-analyse : les connaissances numériques de base, le calcul avec des nombres entiers, les fractions, la géométrie, l’algèbre, et la résolution de problèmes à énoncé verbal. Les auteurs se sont aussi intéressés à trois types de population : les personnes sans difficulté mathématique, les personnes présentant des difficultés mathématiques et les personnes ayant des difficultés mathématiques associées à d’autres déficits cognitifs. Ils ont ainsi répertorié et analysé 110 articles répondant à leurs critères et comportant les données de 27 860 participants.
Les résultats ont tout d’abord montré que la mémoire de travail et les capacités mathématiques sont significativement, mais modérément corrélées. Relativement à la question du lien spécifique, les auteurs ont établi qu’il n’y a pas de différence de relation entre les mathématiques et les différentes composantes de la mémoire de travail. En effet, les capacités mathématiques sont significativement et modérément corrélées aux composantes verbale, numérique, visuospatiale et composite de la mémoire de travail de manière similaire.
Si l’âge n’affecte pas la relation entre la mémoire de travail et les capacités mathématiques, le type de compétences mathématiques est un important modérateur. En effet, les plus fortes corrélations sont entre la mémoire de travail et le calcul ainsi qu’entre la mémoire de travail et la résolution de problèmes. En revanche, la plus faible corrélation est notée entre la mémoire de travail et les capacités en géométrie.
Les résultats mettent également en évidence un impact du type de personnes testées dans la relation entre la mémoire de travail et les mathématiques. En effet, la corrélation est significativement plus forte pour les personnes ayant des difficultés mathématiques associées à d’autres déficits cognitifs que pour les personnes sans difficulté mathématique ou les personnes présentant des difficultés mathématiques.
Conclusion
La méta-analyse de Peng et ses collègues (2015) met en lumière plusieurs résultats importants. Notamment, il existe une relation modérée entre les capacités mathématiques et la mémoire de travail, et ce, quelle que soit la composante et quel que soit l’âge. Le calcul et la résolution de problèmes à énoncé verbal sont les activités mathématiques les plus interdépendantes aux habiletés en mémoire de travail. Ces relations sont les plus fortes pour les personnes présentant des difficultés mathématiques associées à d’autres déficits cognitifs.
Selon les auteurs, ces résultats ont des implications pratiques pour l’intervention auprès d’enfants présentant des difficultés mathématiques. Les futures recherches consistant à développer et à implémenter des entrainements mathématiques devraient considérer les habiletés interindividuelles en mémoire de travail.
Références
Baddeley, A. D. (1986). Working memory. Oxford: Oxford University Press.
Peng, P., Namkung, J., Barnes, M., & Sun, C. (2015). A Meta-Analysis of Mathematics and Working Memory: Moderating Effects of Working Memory Domain, Type of Mathematics Skill, and Sample Characteristics. Journal of Educational Psychology, 108(4), 455-473. doi.org/10.1037/edu0000079
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