Nous avons vu dans un premier billet comment le lecteur parvient à effectuer des inférences à partir d’un texte et les raisons pour lesquelles certains lecteurs n’y parviennent pas. Dans le présent billet et celui qui sera publié la semaine prochaine, nous verrons ce que l’intervenant peut faire concrètement pour aider les élèves à générer des inférences en lecture.
La compréhension constitue l’objectif ultime de l’activité de lecture. Cette habileté permet d’accéder à une étape importante du cheminement scolaire des élèves : le passage d’« apprendre à lire » à « lire pour apprendre » (Chall, 1983, cité dans St-Pierre, Dalpé, Lefebvre, & Giroux, 2010; Green & Roth, 2013). De plus, alors que de bonnes habiletés de langage oral permettent un bon développement des habiletés en langage écrit, l’inverse est aussi vrai. En effet, au fur et à mesure que le lecteur avance dans son parcours scolaire, la complexité croissante des textes favorise l’enrichissement de ses connaissances et de son vocabulaire de registre littéraire. On comprend donc aisément la nécessité d’intervenir auprès des jeunes qui présentent des difficultés de compréhension en lecture.
S’exercer à l’oral
Chez les élèves qui présentent des difficultés à faire des inférences en lecture, il peut être bénéfique de commencer par travailler les inférences à l’oral. En effet, la capacité à générer des inférences à l’oral est un fort indicateur de la capacité à faire des inférences en lecture (Lavigne, 2008, Kispal, 2008, cités dans Giasson, 2011). Pour effectuer des inférences à l’oral, l’intervenant doit lire le texte à l’élève et lui poser des questions oralement. Cela permet au jeune de mieux comprendre ce que l’on attend de lui lors d’une tâche d’inférence en lecture et de s’engager plus facilement dans le processus d’inférence puisqu’il n’a pas à lire lui-même le texte (Giasson, 2011). Cette façon de faire peut entre autres être utilisée auprès d’enfants qui présentent des difficultés en identification de mots ou en début d’apprentissage de la lecture. Ainsi, on n’a pas à attendre que l’identification des mots soit automatisée pour travailler l’habileté à effectuer des inférences. La stimulation de l’habileté à faire des inférences pendant la lecture de l’adulte a d’ailleurs déjà fait l’objet d’un billet précédemment.
Développer le vocabulaire compris
Par ailleurs, dans notre premier billet, nous avons parlé de l’importance d’avoir de bonnes habiletés langagières orales pour être en mesure de bien comprendre un texte. Souvenons-nous que d’après les résultats de l’étude de Lucas et Norbury (2015), la connaissance du vocabulaire constitue un des indicateurs les plus significatifs de la compréhension des inférences. Une étude de Nash et Snowling (2006, cités dans Lucas & Norbury, 2015) a d’ailleurs démontré que l’enseignement de nouveaux mots à des enfants qui avaient au départ un vocabulaire réceptif limité avait permis d’améliorer leurs performances en ce qui a trait aux inférences en lecture. Dans cette optique, Apprendre à comprendre est un bon exemple de programme qui vise l’amélioration du vocabulaire réceptif dans le but de faciliter la compréhension en lecture. Ce programme enseigne de façon structurée, interactive, intensive, systématique et graduée la signification des mots difficiles du texte et ce, avant que le jeune procède à la lecture (Roux, 2014). Beck, Perfetti et McKeown (1983, cités dans Stanké, 2006) soulignent aussi l’importance d’un enseignement explicite du vocabulaire contenu dans un texte puisque cela fournit au lecteur les connaissances nécessaires pour comprendre le texte. Stanké (2006) suggère que cet enseignement se fasse à l’aide d’organisateurs graphiques, qui consistent à relier le mot nouveau à d’autres termes faisant partie du même champ sémantique et à expliquer les liens entre les différents mots. Par exemple, si le mot incompris est « somnifère », l’intervenant peut le relier aux termes « insomnie » et « éveillé » ainsi qu’aux termes « sommeil », « dormir » et « nuit », qui sont bien connus de l’enfant, puis expliquer les liens entre tous ces mots.
Prendre conscience de l’utilité des inférences et verbaliser son raisonnement
Giasson (2011) ainsi que Hansen et Pearson (1993, cités dans Green & Roth, 2013) soulignent pour leur part l’importance de faire prendre conscience aux élèves de l’utilité de faire des inférences. On doit leur faire comprendre que les mots du texte ne donnent pas toujours toutes les réponses et que c’est en faisant des inférences qu’ils arriveront à répondre à toutes les questions. Pour ce faire, on peut d’abord entrainer les lecteurs à distinguer deux types de questions : les questions dont les réponses sont écrites mot pour mot dans un texte (réponses explicites) et les autres pour lesquelles on doit déduire les réponses (réponses implicites), appelées « questions casse-têtes » par Green et Roth (2013). Une fois que les lecteurs sont en mesure de reconnaitre une « question casse-tête », Green et Roth (2013) proposent de leur enseigner les stratégies suivantes pour être en mesure d’y répondre :
Au départ, l’intervenant peut donner le modèle concernant la façon d’utiliser ces stratégies en parlant à voix haute, ce que Green et Roth (2013) appellent self-talk. L’importance du modèle de l’intervenant est également appuyée par Giasson (2011). Au fil des lectures, l’intervenant laissera tomber graduellement ce support pour que le lecteur verbalise lui-même son raisonnement à voix haute. L’étude de Brown, Palinscar et Armbruster (1984, cités dans Green & Roth, 2013) a d’ailleurs démontré qu’il était possible d’améliorer l’habileté à faire des inférences chez des lecteurs en difficulté en leur donnant au départ systématiquement le modèle à voix haute, puis en leur transférant graduellement la responsabilité de verbaliser à voix haute leur raisonnement. Par exemple, l’intervenant peut d’abord fournir au lecteur un modèle complet à voix haute en mettant en évidence les indices tirés du texte et ceux tirés de ses connaissances, en effectuant l’inférence, puis en la justifiant. Il peut ensuite se contenter de mettre en relief les indices, puis demander à l’élève de faire l’inférence et de la justifier. L’intervenant peut aussi choisir de faire lui-même l’inférence, mais demander au lecteur quels indices dans le texte permettent de la faire. Finalement, l’intervenant peut laisser le lecteur effectuer lui-même la mise en relief des indices et des connaissances, l’inférence et la justification de cette dernière.
En somme, s’exercer à faire des inférences à l’oral, développer le vocabulaire réceptif et voir l’utilité des inférences tout en verbalisant son raisonnement sont toutes des stratégies utiles pour aider les élèves à faire des inférences en lecture. Nous vous présenterons d’autres stratégies la semaine prochaine.
Références
Giasson, J. (2011). La lecture. Apprentissage et difficultés. Montréal : Gaétan Morin Éditeur.
Green, L. B., & Roth, K. L. (2013). Increasing Inferential Reading Comprehension Skills: A Single Case Treatment Study. Canadian Journal of Speech-Language Pathology and Audiology, 37(3), 228-239.
Lucas, R., & Norbury, C. F. (2015). Making Inferences From Text: It’s Vocabulary That Matters. Journal of Speech, Language and Hearing Research, 58(4), 1224-1232.
Roux, C. (2014). Améliorer la compréhension en lecture d’élèves présentant un trouble du spectre de l’autisme de haut niveau : une évaluation expérimentale de l’efficacité de l’enseignement explicite (Thèse de doctorat inédite). Université du Québec à Montréal, Québec.
St-Pierre, M.-C., Dalpé, V., Lefebvre, P., & Giroux, C. (2010). Difficultés de lecture et d’écriture. Prévention et évaluation orthophonique auprès des jeunes. Québec : Presses de l’Université du Québec.
Stanké, B. (2006). La compréhension de textes. Rééducation orthophonique, 227, 45-54.
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