L’apprentissage des fractions et des nombres décimaux implique des difficultés qui leur sont inhérentes (voir le billet Pourquoi l’apprentissage des fractions et des nombres décimaux est-il si difficile?). Bien connaitre ces difficultés permet d’adapter les enseignements faits en classe et ceux faits individuellement aux enfants présentant davantage de difficultés.
Lortie-Forgues, Tian et Siegler (2015) ont réalisé un état des lieux de la littérature actuelle sur la compréhension et la manipulation des fractions et des nombres décimaux. Le présent billet traite des variations culturelles dans l’apprentissage des fractions et des nombres décimaux, ainsi que de certaines interventions d’aide mises en place dans leur apprentissage.
Les variations culturelles dans l’apprentissage des fractions et des nombres décimaux
Deux types de facteurs sont principalement en cause dans les variations individuelles sur le plan du développement des connaissances et des procédures relatives aux fractions et aux nombres décimaux.
Lortie-Forgues, Tian et Siegler (2015) identifient d’une part des facteurs liés à l’éducation. Ils expliquent par exemple que dans les programmes américains, les mathématiques sont moins valorisées alors que cette matière est vue comme essentielle (tout comme la lecture) en Chine. En ce sens, plusieurs études montrent une supériorité mathématique des enfants chinois par rapport aux enfants américains. Également, les étudiants universitaires en enseignement des mathématiques sont meilleurs en Chine qu’au Canada anglophone et en Belgique. Une corrélation significative est d’ailleurs mise en évidence entre les connaissances des enseignants et la manière dont ils enseignent à leurs élèves (Depaepe et al., 2015). Le programme scolaire américain recommande l’apprentissage par la compréhension conceptuelle des procédures, mais il est difficile de savoir comment cela est mis en place dans les classes. À ce propos, Garet et al. (2011) observent que les enseignants insistent davantage sur la mémorisation des procédures que sur la compréhension conceptuelle des fractions et des nombres décimaux. Dans les livres mathématiques américains, la procédure de division des fractions est la moins traitée, alors que l’analyse des livres coréens révèle que la division est traitée autant, voire plus que la multiplication des fractions.
Lortie-Forgues et ses collègues (2015) établissent d’autre part des facteurs liés aux connaissances préalables de l’apprenant. En effet, les connaissances arithmétiques sur les nombres entiers prédisent les performances arithmétiques sur les fractions et les nombres décimaux. Une relation a aussi été mise en évidence entre les habiletés d’accès à la magnitude (i.e., le sens du nombre, le sens des quantités) des fractions et la capacité arithmétique sur les fractions. Les habiletés à utiliser les fractions et les nombres décimaux dépendent en grande partie de la compréhension conceptuelle des procédures et des habiletés cognitives générales telles que la mémoire de travail et les fonctions exécutives.
Les interventions d’aide dans l’apprentissage des fractions et des nombres décimaux
Depuis quelques années, des interventions d’aide dans l’apprentissage des fractions et des nombres décimaux sont développées et leur efficacité est évaluée (Lortie-Forgues et al., 2015).
Par exemple, Fuchs et ses collaborateurs (Fuchs et al., 2013 et 2014) développent une intervention avec des enfants de 4e année du primaire à risque de dyscalculie. L’intervention a pour objectif d’augmenter les connaissances de la magnitude des fractions. Les activités sont diverses, comme la comparaison de fractions, la mise en ordre de fractions, le placement de fractions sur une ligne numérique, l’addition et la soustraction de fractions. Les résultats montrent une amélioration dans toutes les habiletés relatives aux fractions, et cette amélioration est supérieure à celle observée dans le groupe contrôle qui suivait l’enseignement classique.
Rittle-Johnson et Koedinger (2009) ont quant à eux développé une intervention avec des enfants de 6e année du primaire qui vise à améliorer l’arithmétique avec des nombres décimaux. Le groupe contrôle suit le livre de mathématiques et apprend d’abord valeur positionnelle, puis l’arithmétique. Le groupe expérimental suit pour sa part un enseignement concomitant de la valeur positionnelle et de l’arithmétique. Les résultats montrent que le groupe expérimental obtient des gains supérieurs en addition et en soustraction de nombres décimaux par rapport au groupe contrôle.
Enfin, l’étude de Moss et Case (1999) décrit une intervention auprès d’enfants de 4e année du primaire dont le but est d’améliorer la résolution de problèmes impliquant des fractions, des nombres décimaux et des pourcentages. Le groupe contrôle suit le cours classique d’arithmétique sur les nombres rationnels tandis que le groupe expérimental ne suit aucun enseignement sur les procédures arithmétiques. En revanche, les nombres décimaux sont introduits comme une portion d’une mesure continue : les enfants doivent identifier des nombres sur le matériel de mesure et résoudre des opérations arithmétiques grâce au matériel. Les résultats montrent que le groupe expérimental obtient des gains supérieurs au groupe contrôle.
Un point est commun à ces quatre études décrites : chacune des interventions met l’accent sur la magnitude (i.e., le sens du nombre) des fractions et des nombres décimaux plutôt que sur l’apprentissage de procédures.
En conclusion
Le développement des connaissances et des compétences arithmétiques relatives aux fractions et aux nombres décimaux est contraint par des difficultés inhérentes à ces nombres, mais il est aussi influencé par des facteurs éducationnels et d’autres concernant les connaissances préalables des enfants et leurs habiletés cognitives. Savoir cela aide à intervenir pour apporter une aide appropriée aux élèves afin d’améliorer leur compréhension de ces nombres. Par ailleurs, des interventions basées sur les aspects conceptuels des fractions et des nombres décimaux semblent plus efficaces que des interventions basées sur les procédures arithmétiques. En effet, en comprenant ce que représente une fraction ou un nombre décimal, les procédures sont certainement moins opaques. Un point important, selon moi, est de ne pas se contenter d’aborder la fraction comme une partie d’un tout (exemple classique de la pointe de tarte ou de la part de gâteau), mais bien comme un nombre en tant que tel. Les interventions probantes préconisent aussi l’utilisation du matériel concret ainsi que le rapport à la ligne numérique.
Références
Depaepe, F., Torbeyns, J., Vermeersch, N., Janssens, D., Janssen, R., Kelchtermans, G., & Van Dooren, W. (2015). Teachers' content and pedagogical content knowledge on rational numbers: A comparison of prospective elementary and lower secondary school teachers. Teaching and Teacher Education, 47, 82-92.
Fuchs, L. S., Schumacher, R. F., Long, J., Namkung, J., Hamlett, C. L., Cirino, P. T.,…, & Changas, P. (2013). Improving At-Risk Learners' Understanding of Fractions. Journal of Educational Psychology, 105, 683-700.
Fuchs, L. S., Schumacher, R. F., Sterba, S. K., Long, J., Namkung, J., Malone, A.,…, & Changas, P. (2014). Does working memory moderate the effects of fraction intervention? An aptitude–treatment interaction. Journal of Educational Psychology, 106, 499-514.
Garet, M. S., Wayne, A. J., Stancavage, F., Taylor, J., Eaton, M., Walters, K.,…, & Doolittle, F. (2011). Middle school mathematics professional development impact study: Findings after the second year of implementation (NCEE 2011-4024). Washington, DC: National Center for Education Evaluation and Regional Assistance, Institute of Education Sciences, U.S. Department of Education.
Lortie-Forgues, H., Tian, J., & Siegler, R. S. (2015). Why is learning fraction and decimal arithmetic so difficult? Developmental Review, 38, 201-221.
Moss, J., & Case, R. (1999). Developing Children's Understanding of the Rational Numbers: A New Model and an Experimental Curriculum. Journal for Research in Mathematics Education, 30(2), 122-147.
Rittle-Johnson, B., & Koedinger, K. (2009). Iterating between lessons on concepts and procedures can improve mathematics knowledge. British Journal of Educational Psychology, 79, 483-500.