Les difficultés émotionnelles et comportementales : quel lien avec le langage?

07/06/2017 13:06:06

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Il est bien documenté qu’un nombre élevé d’enfants présentant des difficultés émotionnelles et comportementales ont aussi de faibles compétences langagières et des difficultés d’apprentissage. Aider les jeunes qui présentent des difficultés multiples constitue un immense défi, tant pour les parents que pour les intervenants. Souvent, certains déficits passent inaperçus, ce qui entraîne un tableau partiel de la situation et mène à des interventions qui ne sont pas optimales. Nous abordons cette semaine le lien entre les difficultés émotionnelles et comportementales, et les difficultés langagières et d’apprentissage. Nous traiterons des pistes d’action qui peuvent être explorées la semaine prochaine.

 

Difficultés multiples et portraits complexes

 

Enfants en difficulté émotionnelle et comportementale

Parmi les enfants d’âge scolaire recevant des services pour leurs difficultés émotionnelles et comportementales, 71 % présentent des difficultés langagières significatives selon une revue d’études réalisée par Benner, Nelson et Epstein (2002). Une concomitance aussi élevée des troubles du langage et des problématiques psychiatriques a été observée chez les enfants de moins de 6 ans évalués à la Clinique psychiatrique de la petite enfance de l’Hôpital Rivière-des-Prairies, à Montréal. En effet, près de 3 enfants sur 4, soit 73 % des enfants référés à cette clinique, présentaient des diagnostics incluant au moins un trouble du langage, dont le plus fréquent était le trouble du langage mixte expressif/réceptif (Smolla et al., 2015). Ces enfants sont aussi fréquemment confrontés à d’autres enjeux neurodéveloppementaux, tel le trouble du développement de la coordination, qui serait présent dans 40 à 90 % des cas (Hill, 2001).

 

Enfants en difficulté langagière

À l’inverse, les enfants vivant avec un trouble du langage présentent aussi souvent des difficultés émotionnelles et comportementales. L’étude de McCabe (2005) réalisée auprès d’enfants présentant un trouble spécifique du langage (SLI) a conclu qu’à l’âge préscolaire, les enfants avec les déficits langagiers les plus importants avaient significativement plus de problèmes comportementaux et de moins bonnes compétences sociales que les enfants sans problème de langage. C’était vrai pour les enfants présentant des déficits de la compréhension, de l’expression et de la pragmatique, mais pas pour les enfants présentant uniquement des difficultés d’articulation. Plusieurs études longitudinales rapportent également un impact marqué des difficultés langagières sur la qualité des relations sociales à l’adolescence (Durkin & Conti-Ramsden, 2010) ainsi qu’un impact significatif sur la participation sociale à l’âge adulte (Clegg, Hollis, Mawhood, & Rutter, 2005).

 

Enfants en difficulté dapprentissage

Dès l’âge scolaire, les difficultés d’apprentissage doivent aussi être considérées dans l’analyse des liens entre les déficits de langage et les difficultés émotionnelles et comportementales vécues par les jeunes. La nature spécifique des troubles de langage et des troubles de lecture est elle-même questionnée. Par exemple, des chercheurs australiens ont documenté que la moitié des enfants identifiés comme ayant un trouble spécifique de la lecture aurait pu être identifiés comme ayant un trouble spécifique du langage, et inversement (McArthur, Hogben, Edwards, Heath, & Mengler, 2000). Selon Tomblin, Zhang, Buckwalter, & Catts (2000), environ 50 % des enfants vivant avec un trouble de langage auraient des difficultés de lecture, et la présence de ces difficultés serait l’élément prédisant le mieux la présence de problèmes de comportements externalisés parmi les enfants en trouble langagier. Dans la population générale, les difficultés en lecture auraient aussi été associées avec la présence de comportements antisociaux et de problèmes de conduite (Maughan, Pickles, Hagell, Rutter, & Yule, 1996). Certains facteurs peuvent tout de même favoriser une meilleure évolution des jeunes aux prises avec ce type de difficultés, notamment l’offre d’aménagements pédagogiques adaptés à leurs besoins (Parsons, Schoon, Rush, & Law, 2011).

 

Difficultés cachées

 

Malheureusement, tant pour les parents que pour les intervenants qui côtoient ces enfants, certaines problématiques demeurent ardues à identifier, ce qui peut empêcher la mise en place de services adéquats, ou rendre les interventions moins efficaces.

 

Les difficultés comportementales qui prennent toute la place

Dans une méta-analyse de 22 études, Hollo, Wehby et Oliver (2014) ont relevé que 81 % des enfants consultant pour des difficultés comportementales et émotionnelles à l’âge scolaire (entre 5 et 13 ans) présenteraient un déficit langagier non identifié. Selon ces auteurs, les problématiques émotionnelles et comportementales prennent souvent tellement de place qu’elles peuvent éclipser d’autres types de difficultés nécessitant une intervention. Ils recommandent une évaluation systématique et approfondie du langage de tous les enfants présentant des difficultés émotionnelles et comportementales.

Parmi les premières études ayant documenté cette question, celles de Cohen (Cohen et al., 1993; Cohen & Horodezky, 1998) soulignaient que les taux de déficits langagiers non suspectés étaient invariables d’un groupe d’âge à l’autre, le passage à l’école n’ayant pas garanti leur identification chez les élèves plus âgés. Ignorer le trouble du langage semblait avoir eu certaines conséquences néfastes sur le fonctionnement des enfants. Dans l’échantillon de patients consultant en clinique externe de psychiatrie à Toronto, tous les jeunes présentant des déficits langagiers avaient des symptômes du trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité, mais ceux dont les déficits du langage étaient non suspectés présentaient, selon les parents, les comportements délinquants les plus graves. Ils étaient aussi perçus par leurs enseignants comme les plus agressifs. D’un autre côté, les enfants de 4 à 6 ans dont les déficits langagiers étaient diagnostiqués étaient mieux perçus par leurs parents sur le plan du comportement, comparativement à ceux dont les déficits étaient non suspectés ou qui avaient un langage normal.

 

Les déficits langagiers moins faciles à identifier

Le langage est constitué de plusieurs composantes, à l’oral et à l’écrit, dont l’articulation des sons n’est que la pointe de l’iceberg. Pour pouvoir communiquer et réfléchir de façon efficace par le langage, il faut maîtriser à la fois la forme (la production des sons et des phrases), le contenu (le vocabulaire, le sens et les idées) et l’utilisation (l’organisation du discours, la communication pragmatique tenant compte de l’intention et de l’interlocuteur). Pour être un communicateur et un apprenant compétent, il faut non seulement être capable de s’exprimer, mais également de comprendre (les consignes, les concepts abstraits, les liens sémantiques, les règles du discours, les inférences, etc.) et de s’ajuster au contexte. Les parents et les intervenants peuvent observer ces difficultés sans nécessairement les attribuer à des déficits langagiers.

Par exemple, selon une étude prospective de jumeaux dans la population générale (Hayiou-Thomas, Dale, & Plomin, 2014), les parents inquiets pour le langage de leurs enfants âgés de 4 ans le sont majoritairement pour des problèmes d’élocution (57,3 %) ou de langage expressif (21,6 %), mais très peu (1,2 %) pour la compréhension du langage. Les difficultés de compréhension verbale, du fait qu’elles sont moins visibles, plus subtiles et, à la limite, méconnues, peuvent passer inaperçues (Smolla et al., 2015). À l’âge préscolaire, l’enfant présentant ces difficultés parvient à suivre la routine en déduisant, par des indices non verbaux et des éléments contextuels, le sens des demandes qui lui sont faites. Lorsqu’il est plus âgé, il peut avoir acquis suffisamment de connaissances pour comprendre une conversation usuelle, sans pour autant être en mesure d’extraire les éléments importants d’un texte ou arriver à saisir des abstractions langagières et l’humour au deuxième degré, par exemple. Ceci peut avoir des conséquences fâcheuses, car il est bien documenté que les enfants ayant des difficultés de compréhension ont un pronostic plus sévère que ceux ayant seulement des difficultés d’expression (APA, 2015).

 

Références

American Psychiatric Association. (2015). DSM-5 : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (5e éd.) (version internationale) (Washington, DC, 2013). Traduction française par M. A. Crocq & J. D. Guelfi. Issy-les-Moulineaux, France : Elsevier Masson SAS.

Benner, G. J., Nelson, J. R., & Epstein, M. H. (2002). Language Skills of Children with EBD: A Literature Review. Journal of Emotional and Behavioral Disorders, 10(1), 43-56.

Clegg, J., Hollis, C., Mawhood, L., & Rutter, M. (2005). Developmental language disorders – a follow-up in later adult life. Cognitive, language and psychosocial outcomes. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 46(2), 128-149. doi: 10.1111/j.1469-7610.2004.00342.x

Cohen, N. J., Davine, M., Horodezky, N. B., Lipsett, L., & Isaacson, L. (1993). Unsuspected Language Impairment in Psychiatrically Disturbed Children: Prevalence and Language and Behavioral Characteristics. Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, 32(3), 595-603.

Cohen, H. J., & Horodezky, N. B. (1998). Language impairments and psychopathology. Journal of the American Academy of Child Adolescent Psychiatry, 37(5), 461–462.

Durkin, K., & Conti-Ramsden, G. (2010). Young people with specific language impairment: A review of social and emotional functioning in adolescence. Child Language Teaching and Therapy, 26(2), 105-121.

Hayiou-Thomas, M. E., Dale, P. S., & Plomin, R. (2014). Language impairment from 4 to 12 years: prediction and etiology. Journal of Speech, Language, and Hearing Research, 7(3), 850-864. doi: 10.1044/2013_JSLHR-L-12-0240

Hill, E.L. (2001). Non-specific nature of specific language impairment: a review of the literature with regard to concomitant motor impairments. International Journal of Language & Communication Disorders, 36(2), 149-171.

Hollo, A., Wehby, J. H., & Oliver, R. M. (2014). Unidentified Language Deficits in Children with Emotional and Behavioral Disorders: A Meta-Analysis. Exceptional Children, 80(2), 169-186.

Maughan, B., Pickles, A., Hagell, A., Rutter, M., & Yule, W. (1996). Reading problems and antisocial behaviour: developmental trends in comorbidity. Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, 37(4), 405-418.

McArthur, G. M., Hogben, J. H., Edwards, V. T., Heath, S. M., & Mengler, E. D. (2000). On the “specifics” of specific reading disability and specific language impairment. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 41(7), 869-874.

McCabe, P. C. (2005). Social and behavioral correlates of preschoolers with specific language impairment. Psychology in the School, 42(4), 373,387.

Parsons, S., Schoon, I., Rush, R., & Law, J. (2011). Long-term Outcomes for Children with Early Language Problems: Beating the Odds. Children & Society, 25(3), 202-214.

Smolla, N., Béliveau, M.-J., Noël, R., Breault, C., Lévesque, A., Berthiaume, C., & Martin, V. (2015). La pertinence de l’inquiétude parentale pour le développement langagier du jeune enfant référé en psychiatrie. Revue québécoise de psychologie, 36(3), 235-263.

Tomblin, J. B., Zhang, X., Buckwalter, P., & Catts, H. (2000). The association of reading disability, behavioral disorders, and language impairment among second-grade children. Journal of Child Psychology and Psychiatry, and Allied Disciplines, 41(4), 473-482.

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