Le trouble développemental du langage (TDL) : le comprendre mieux

15/01/2020 13:00:00

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*Le contenu de ce billet est largement inspiré de l’article «Le trouble développemental du langage (TDL): mise à jour interdisciplinaire», paru dans la revue Neuropsychologie clinique et appliquée (volume 3, automne 2019).  

Le projet CATALISE, présenté dans le précédent billet de ce dossier, a permis d’arriver à un consensus sur le TDL (Bishop et collab., 2017). Nous en résumons ici les grandes lignes. 

Des critères d’inclusion

- Le TDL affecte les habiletés à comprendre et à s’exprimer à l’aide du langage. Le TDL s’observe à l’oral, mais aussi dans les autres modalités, dont la lecture et l’écriture. Le TDL peut nuire à différentes composantes du langage, incluant l’expression ou la compréhension des sons, des phrases ou du discours, le vocabulaire et l’accès lexical, le traitement et la mémoire verbale, ainsi que la pragmatique et l’ajustement au contexte de communication. Au quotidien, le langage sert à communiquer, à apprendre et à réfléchir. Le TDL peut toucher toutes ces habiletés, y compris le langage autorégulatoire (quand on se parle dans sa tête). Toutefois, les personnes aux prises avec un TDL ont des forces et des difficultés différentes selon les individus, et celles-ci peuvent également changer au fil du temps.

- Les difficultés apparaissent habituellement en bas âge, persistent à long terme et ont des conséquences sur la vie quotidienne, sociale et scolaire des personnes atteintes. Plusieurs études ont documenté que le TDL est associé à des répercussions négatives qui persistent durant l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte, dans des domaines aussi variés que la réussite scolaire, la socialisation, la santé mentale, l’accès à l’emploi et l’autonomie (Conti-Ramsden et Botting, 2008; Elbro, Dalby et Maarbjerg, 2011; St Clair, Pickles, Durkin et Conti-Ramsden, 2011). À cet égard, les connaissances actuelles font ressortir que les besoins des enfants présentant un TDL justifient des interventions qui portent sur leurs habiletés langagières, mais également sur leur développement global et leur épanouissement personnel (Clegg, Hollis, Mawhood et Rutter, 2005; Toseeb, Pickles, Durkin, Botting et Conti-Ramsden, 2017). 

Les apprentissages scolaires sont affectés par le TDL, car ils passent habituellement par le langage, et ce, dans presque toutes les matières. La compréhension d’un contexte historique ou d’une situation mathématique, l’élaboration d’une réponse pour soutenir un raisonnement éthique ou l’explicitation en étapes d’une procédure scientifique sont des exemples d’activités d’apprentissage sollicitant des habiletés langagières. 

La socialisation est aussi influencée par le TDL. Les interactions avec les pairs nécessitent des habiletés conversationnelles, la capacité à traiter rapidement et efficacement les informations entendues, à comprendre des blagues et des sous-entendus, à trouver les mots et les phrases adéquates pour transmettre ses idées, à organiser son discours, à raconter, à respecter les règles de l’échange, et bien plus encore. Un bon langage autorégulatoire est aussi utile pour s’organiser dans les activités, pour gérer ses émotions ou pour planifier une tâche complexe.

Les jeunes ayant des capacités de lecture mieux préservées, de bonnes compétences sociales et démontrant un haut sentiment d’autoefficacité seraient confrontés à moins d’impacts néfastes dans leur vie. De même, l’identification précoce du TDL, une prise en charge appropriée, un bon soutien parental et la disponibilité d’aménagements pédagogiques adaptés en milieu scolaire favoriseraient des trajectoires plus positives (Botting, Bean-Ellawadi et Williams, 2016; Parsons, Schoon, Rush et Law, 2011). 

- Le TDL n’a pas de cause connue. Si une condition biomédicale est établie (p. ex., un syndrome de Down, la neurofibromatose, un trouble auditif ou visuel, une paralysie cérébrale, un trouble du spectre de l’autisme, une déficience intellectuelle, de l’épilepsie), il est possible que l’individu ait un trouble du langage. Dans ce cas, on parlera de «trouble du langage associé à X». Selon l’étude de Norbury et ses collaborateurs (2016), ce serait le cas d’environ 2,34 % des enfants dans la population.

- Le TDL s’accompagne souvent d’autres difficultés ou troubles neurodéveloppementaux dont l’étiologie n’est pas claire, apparait complexe ou multifactorielle. Le consensus CATALISE inclut dans cette catégorie le TDAH, le trouble développemental de la coordination (TDC), les troubles spécifiques des apprentissages (p. ex., la dyslexie-dysorthographie), ainsi que les problèmes émotionnels et comportementaux. Les troubles de la parole qui touchent uniquement la réalisation motrice des sons (p. ex., la dyspraxie verbale, les troubles de l’articulation, la dysarthrie et le bégaiement) peuvent aussi être des troubles concomitants au TDL (Bishop et collab., 2017). La présence de l’une de ces difficultés n’empêche donc pas de conclure à un TDL.

Pas de critères d’exclusion 

Le consensus CATALISE propose de ne plus utiliser de critères d’exclusion pour définir les troubles du langage, car ils étaient parfois interprétés comme des critères de non-admissibilité aux services (Bishop et collab., 2017). Sur le terrain, il peut être utile de se rappeler les éléments suivants: 

- Il n’est pas nécessaire de documenter un écart entre les capacités intellectuelles verbales (p. ex., raisonnement à l’aide de mots) et non verbales (p. ex., raisonnement à l’aide d’images) pour conclure à la présence d’un TDL. Une étude récente a démontré que parmi les enfants qui ont un TDL, ceux ayant des habiletés non verbales sous la moyenne (sans atteindre le seuil de la déficience intellectuelle) ne se distinguaient pas de ceux ayant des habiletés non verbales dans la moyenne quant à l’ampleur des déficits langagiers, des difficultés scolaires ou des problèmes émotionnels ou comportementaux (Norbury et collab., 2016). Bien que les critères administratifs aient fréquemment fait du potentiel non verbal (tel qu’il est évalué en psychologie) un critère d’exclusion aux services professionnels et éducatifs alloués aux enfants ayant un TDL, il n’y aurait aucune raison évidente de le faire d’un point de vue scientifique.

- Le terme «difficultés de langage» remplace désormais «retard de langage».  Cette dernière formulation a été largement rejetée par les experts en raison de la confusion qu’elle entraine et de l’impossibilité de déterminer à l’avance s’il y aura rattrapage. Comme il faut que le professionnel prévoie que les atteintes vont persister dans le temps pour conclure à un TDL, le terme «difficultés de langage» sera privilégié dans certains cas. Cela pourrait arriver chez l’enfant très jeune, puisque les facteurs de persistance sont moins bien démontrés avant l’âge de 4 ans, ou encore chez l’enfant bilingue qui n’aurait pas été suffisamment exposé à la langue de scolarisation, mais posséderait les habiletés attendues dans une autre langue. 

- L’établissement d’un niveau de sévérité des atteintes langagières n’est plus requis pour qualifier un TDL dans une pratique basée sur les données probantes (OOAQ, 2018). La présence d’un TDL ne correspond pas nécessairement à l’obtention de résultats «sévèrement déficitaires» aux tests standardisés. En contexte franco-québécois, l’étude de Thordardottir et ses collaborateurs (2011) a révélé que, pour distinguer les enfants ayant un TDL de ceux n’en ayant pas, le meilleur seuil était au 16e rang centile (-1 écart-type) pour la majorité des mesures employées.

- Le niveau de sévérité des impacts fonctionnels du TDL doit être considéré (OOAQ, 2018). Les répercussions des atteintes langagières dans la vie de la personne peuvent être observées à la maison, à l’école, dans les activités de la vie quotidienne, dans les situations d’apprentissage ou de socialisation. Pour ce faire, un travail d’équipe entre le jeune, sa famille, les enseignants, les intervenants scolaires et les professionnels s’avère déterminant.

- L’intervention est essentielle à l’évolution. Un soutien adéquat permet aux personnes vivant avec un TDL d’augmenter leur qualité de vie, de tisser des liens d’amitié, d’apprendre et de contribuer à la société (RADLD, 2017). Cependant, l’intervention ne doit pas obligatoirement précéder l’identification du TDL. Les critères administratifs imposés dans certains milieux pour l’obtention d’un code de difficulté ne doivent pas être confondus avec les critères cliniques. 

Références

Bishop, D. V. M., Snowling, M. J., Thompson, P. A., Greenhalgh, T. et CATALISE-2 consortium. (2017). Phase 2 of CATALISE: A multinational and multidisciplinary Delphi consensus study of problems with language development: Terminology. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 58(10), 1068-1080. doi:10.1111/jcpp.12721

Botting, N., Bean-Ellawadi, A. et Williams, D. (2016). Language impairments in childhood – A range of profiles, a variety of reasons. Autism & Developmental Language Impairments, 1, 1-2. doi:10.1177/2396941516654609

Breault, C., Béliveau, M.-J., Labelle, F., Valade, F. et Trudeau, N. (2019). Le trouble développemental du langage (TDL): mise à jour interdisciplinaire. Neuropsychologie clinique et appliquée, 3, 46-63.

Clegg, J., Hollis, C., Mawhood, L. et Rutter, M. (2005). Developmental language disorders – A follow-up in later adult life. Cognitive, language and psychosocial outcomes. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 46(2), 128-149. doi:10.1111/j.1469-7610.2004.00342.x

Conti-Ramsden, G. et Botting, N. (2008). Emotional health in adolescents with and without a history of specific language impairment (SLI). Journal of Child Psychology and Psychiatry, 49(5), 516-525. doi:10.1111/j.1469-7610.2007.01858.x

Elbro, C., Dalby, M. et Maarbjerg, S. (2011). Language-learning impairments: a 30-year follow-up of language-impaired children with and without psychiatric, neurological and cognitive difficulties. International Journal of Language & Communication Disorders, 46(4), 437-448. doi:10.1111/j.1460-6984.2011.00004.x 

Norbury, C. F., Gooch, D., Wray, C., Baird, G., Charman, T., Simonoff, E., . . . Pickles, A. (2016). The impact of nonverbal ability on prevalence and clinical presentation of language disorder: evidence from a population study. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 57(11), 1247-1257. doi:10.1111/jcpp.12573

Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec. (2018). Fiche d’avancement de la pratique. Trouble développemental du langage. Repéré à http://www.ooaq.qc.ca/Envoi_aux_membres/2018-documents/Trouble%20developmental%20du%20langage_mai%202018.pdf?tm_source=Liste+Avec+Promo&utm_campaign=f51a6b1092-EMAIL_CAMPAIGN_2017_09_12&utm_medium=email&utm_term=033b1e90246-f51a6b1092-146698065

Parsons, S., Schoon, I., Rush, R. et Law, J. (2011). Long-term outcomes for children with early language problems: Beating the odds. Children & Society, 25, 202-214.  doi:10.1111/j.1099-0860.2009.00274.x

Raising Awareness of Developmental Language Disorder (RADLD). (2017). Three things you need to know about developmental language disorder (DLD). Repéré à https://radld.org/wp-content/uploads/2018/09/3a-DLD123-Info-sheet_HR.pdf

St Clair, M. C., Pickles, A., Durkin, K. et Conti-Ramsden, G. (2011). A longitudinal study of behavioral, emotional and social difficulties in individuals with a history of specific language impairment (SLI). Journal of Communication Disorders, 44(2), 186-199. doi:10.1016/j.jcomdis.2010.09.004

Thordardottir, E., Kehayia, E., Mazer, B., Lessard, N., Majnemer, A., Sutton, A., . . . Chilingaryan, G. (2011). Sensitivity and specificity of French language and processing measures for the identification of primary language impairment at age 5. Journal of Speech, Language, and Hearing Research, 54(2), 580-597. doi:10.1044/1092-4388(2010/09-0196)

Toseeb, U., Pickles, A., Durkin, K., Botting, N. et Conti-Ramsden, G. (2017). Prosociality from early adolescence to young adulthood: A longitudinal study of individuals with a history of language impairment. Research in Developmental Disabilities, 62, 148-159. 

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