Je vous ai expliqué la semaine dernière ce qu’est la compétence métaorthographique. En résumé, elle peut être définie comme la capacité à recourir consciemment à ses connaissances orthographiques pour produire et pour réviser l’orthographe des mots. J’ai également mentionné que cette compétence a été peu étudiée à ce jour et demeure peu connue des enseignants. Il existe tout de même certaines études qui ont évalué la compétence métaorthographique et quelques moyens de la développer chez les élèves. Je vous les présente brièvement dans ce billet.
Évaluer la compétence métaorthographique
Les chercheurs qui ont eu pour objectifs de décrire et d’évaluer la compétence métaorthographique des élèves ont principalement utilisé des tâches de repérage d’erreurs (Morin, 2004; Varin, Daigle, Berthiaume, & Ruberto, 2013), de correction d’erreurs (Morin, 2004; Varin et al., 2013) et d’explicitation des connaissances orthographiques (aussi appelés commentaires métagraphiques, Cogis & Ros, 2003; David 2008; Hoefflin, Cherpillod, & Favrel, 2000). Chacune de ces trois tâches, pour être réussie, nécessite un accès plus ou moins conscient à ses connaissances orthographiques, ce qui permet ainsi de témoigner de différents degrés de compétence métaorthographique. Plus précisément, les études qui ont comparé la performance d’apprenants à ces trois tâches ont observé que la tâche de repérage était mieux réussie que la tâche de correction qui, à son tour, était mieux réussie que la tâche d’explicitation (Morin, 2004; Varin et al., 2013). Ces résultats s’expliqueraient par le fait que la capacité à repérer correctement une erreur orthographique peut s’appuyer sur une simple intuition (et donc pour des raisons qui ne peuvent être expliquées) alors que la capacité à verbaliser la raison pour laquelle un mot contient une erreur requiert nécessairement un accès conscient aux connaissances orthographiques en jeu. En ce sens, la capacité à verbaliser ses connaissances témoignerait du plus haut niveau d’expertise métaorthographique.
La nature des tâches soumises de même que la nature des unités orthographiques influenceraient la compétence métaorthographique. En effet, les propriétés orthographiques qui sont enseignées explicitement (et qui, pour la plupart, relèvent de règles ou de régularités) seraient consciemment plus accessibles aux élèves, ces derniers ayant des mots pour en parler. C’est principalement le cas des propriétés phonologiques et morphologiques. D’une part, en début d’apprentissage, les unités sonores qui composent les mots et la façon de les représenter à l’écrit font l’objet d’un enseignement explicite (p. ex. le son [u], qui est présent au début du mot oubli et à la fin du mot hibou, s’écrit avec les lettres o et u). D’autre part, les règles grammaticales qui justifient la présence de certaines lettres muettes porteuses de sens en fin de mots sont également enseignées explicitement (p. ex. on indique le pluriel d’une majorité de noms et d’adjectifs en ajoutant un s muet à leur fin, comme dans fleurs et amis). Il en va de même pour d’autres lettres muettes qui permettent d’établir des liens avec des mots d’une même famille (p. ex. les d muets à la fin des mots chaud et froid qui servent à former d’autres mots de la même famille – chaude et chaudement; froide et froidure).
Dans l’ensemble, les erreurs qui relèvent des propriétés phonologiques et morphologiques s’avèrent mieux repérées, corrigées et explicitées par les élèves des 2e et 3e cycles du primaire que celles qui relèvent des propriétés visuo-orthographiques (Varin et al., 2013). Ce constat renforce donc l’idée exprimée dans un précédent billet rédigé par Élodie Gingras (La meilleure façon d’enseigner l’orthographe d’usage, 14 mars 2016), selon laquelle il est souhaitable d’enseigner explicitement les propriétés visuo-orthographiques des mots pour aider les élèves à écrire les mots sans erreur, puisque ce sont ces propriétés qui causent habituellement le plus de problèmes.
Développer la compétence métaorthographique
Dans la perspective d’améliorer la compétence des élèves à orthographier correctement les mots, il s’avère pertinent de les amener à réfléchir sur les différentes unités orthographiques (phonologiques, morphologiques et visuo-orthographiques) qui composent les mots écrits et, plus précisément, de les encourager à repérer, à corriger, mais surtout à expliciter les motifs menant à la correction de leurs erreurs, puisque la capacité à verbaliser ses connaissances est associée au plus haut niveau de compétence métaorthographique. Cette compétence est, rappelons-le, liée à la capacité à produire l’orthographe correcte des mots. De surcroit, la verbalisation apparait comme une façon efficace pour l’enseignant d’évaluer les connaissances orthographiques des élèves et de cerner ce qui est consciemment maitrisé de ce qui ne l’est pas.
Il existe différents dispositifs d’enseignement qui suscitent la réflexion des élèves sur les propriétés de l’orthographe. En voici des exemples :
Les orthographes approchées
Lors d’une activité d’orthographes approchées, l’enseignant détermine un mot (ou une phrase) à écrire. Il invite d’abord chaque élève à l’écrire tel qu’il le pense. Puis, , l’enseignant encourage ses élèves (idéalement regroupés en petits groupes de 2 à 4 élèves) à verbaliser les réflexions et les stratégies qui ont guidé leur écriture. L’enseignant circule d’une équipe à l’autre et valorise ce qui est maitrisé, par exemple le choix de graphèmes phonologiquement plausibles pour représenter les phonèmes du mot, comme c’est le cas d’un élève qui écrit « cado » plutôt que « cadeau », puis suscite la réflexion en incitant les élèves à repérer leurs erreurs potentielles; il peut par exemple leur demander si une partie du mot pourrait être orthographiée différemment Finalement, lors du retour en grand groupe, la forme orthographique correcte du mot est trouvée (dans le dictionnaire, dans un roman que les élèves ont lu, etc.) et comparée aux orthographes qui ont été proposées par les élèves.
Pour en savoir plus : Montésinos-Gelet, I., & Morin, M.-F. (2006). Les orthographes approchées : une démarche pour soutenir l’appropriation de l’écrit au préscolaire et au primaire. Montréal : Chenelière Éducation.
Les ateliers de négociation graphique
Dans les ateliers de négociation graphique, l’enseignant compare avec un petit groupe d’ élèves (idéalement, ayant un niveau de compétence écrite similaire) différentes orthographes qu’ils ont produites pour un ou plusieurs mots donnés, par exemple lorsque, dans une dictée, ils ont écrit le mot fossile de quatre façons différentes : fossile, fosile, faucille et phossil. Les élèves de ce groupe sont amenés à débattre de l’orthographe qui leur apparait correcte en comparant les parties du mot qui sont écrites différemment. Les élèves doivent solliciter leurs connaissances du code écrit pour justifier leurs hypothèses et aboutir à un consensus. , Une mise en commun des connaissances et des stratégies utilisées dans chaque sous-groupe est finalement effectuée avec l’ensemble des élèves de la classe.
Pour en savoir plus : Haas, G., & Maurel, L. (2009). Les ateliers de négociation graphique. Langage & pratiques, 43, 70-80.
La dictée 0 faute
Comme son nom l’indique, l’objectif de la dictée 0 faute est que tous les élèves parviennent à remettre une dictée qui ne contient aucune erreur. Au départ, un texte est lu et dicté à l’ensemble de la classe. Par la suite, les élèves ont le droit de poser toutes les questions qu’ils ont concernant la manière d’orthographier les mots. L’enseignant encourage ses élèves à repérer leurs erreurs orthographiques potentielles en entourant les mots pour lesquels ils doutent de l’orthographe, à se questionner sur la correction appropriée à appliquer ainsi qu’à proposer une explication pour justifier leurs hypothèses de correction.
Pour en savoir plus : Nadeau, M., & Fisher, C. (2010-2013). Expérimentation de pratiques innovantes, la dictée 0 faute et la phrase dictée du jour, et étude de leur impact sur la compétence orthographique des élèves en production de texte (Rapport de recherche, programme actions concertées). Gouvernement du Québec : FQRSC. Repéré à http://www.frqsc.gouv.qc.ca/documents/11326/449040/PT_NadeauM_rapport+2014_Dict%C3%A9e+impact+orthographique.pdf/f2307696-6f26-4ea0-965f-433a9fbe0a54
http://www1.education.gouv.qc.ca/sections/prprs/index.asp?page=fiche&id=310
Références
Cogis, D., & Ros., M. (2003). Les verbalisations métagraphiques : un outil didactique en orthographe? L'orthographe, une construction cognitive et sociale : Les Dossiers des Sciences de l’Éducation, 9 89-98.
David, J. (2008). Les explications métagraphiques appliquées aux premières écritures enfantines. Pratiques. Linguistique, littérature, didactique, 139-140, 163-187.
Hoefflin, G., Cherpillod, A. & Favrel, J. (2000). Difficultés d’acquisition de l’orthographe et régulations métagraphiques. Travaux neuchâtelois de linguistique, 33, 145-158.
Morin, M. F. (2004). Les niveaux d’explicitation des connaissances sur la morphographie du nombre au début du primaire. Lidil. Revue de linguistique et de didactique des langues, 30, 55-72.
Varin, J., Daigle, D., Berthiaume, R., & Ruberto, N. (2013). La révision orthographique chez l’élève dyslexique. La compétence métaorthographique. Dans D. Daigle, I. Montésinos-Gelet, & A. Plisson (Éds), Orthographe et populations exceptionnelles : perspectives didactiques (pp. 201-220). Québec : Presses de l’Université du Québec.
La course mor«folle»logique des journalistes