Nous sommes conscients, comme éducateurs, enseignants ou orthophonistes, de l’importance de soutenir de façon précoce et préventive le développement langagier et l’éveil à l’écrit des enfants. Mais lorsqu’il est question, pour mieux soutenir les enfants dans ces aspects, de décider comment se former (ou former, selon notre rôle), nous disposons de peu d’informations pour éclairer nos choix. Notre seule option se limite, la plupart du temps, à organiser une formation d’une soirée ou d’une journée sur le développement du langage.
Or j’ai récemment entendu parler d’une croyance populaire qui m’a fait me questionner. On prétend que, lorsque nous assistons à une formation, nous ne retenons qu’un certain pourcentage de ce que nous y avons entendu et compris, et nous appliquons dans la pratique qu’une fraction de ce que nous avons retenu. Est-ce réellement le cas? Et si c’était vrai, est-ce que, à la suite d’une formation, nous parvenons bel et bien à faire des changements dans les pratiques éducatives, et ce, de façon suffisante pour faire une différence pour le développement langagier des enfants? Et surtout, quelles autres options s’offrent à nous?
Des chercheurs se sont penchés sur ces questions : plusieurs revues systématiques des écrits ont été réalisées à ce sujet (entre autres Peeters et al., 2015; Schatcher, 2015; Zaslow et al., 2010), de même qu’une méta-analyse effectuée par Markusson-Brown et ses collaborateurs (2017). Dans ce billet, j’explorerai avec vous quelques réflexions qui en ressortent.
Est-ce qu’une formation sur le développement langagier et sur l’éveil à l’écrit est efficace?
Pour mesurer l’efficacité d’une activité de développement professionnel, on regarde généralement trois types de changements : de nouvelles connaissances ont-elles été acquises par les participants? Y a-t-il eu des changements dans leurs pratiques éducatives? Et, finalement, y a-t-il des effets sur le développement du langage des enfants et leurs habiletés liées à l’éveil à l’écrit?
Pour ce qui est de la formation traditionnelle d’une ou plusieurs journées, la réponse est assez claire et unanime dans le monde de la recherche : les formations, lorsqu’offertes de façon isolée, n’amènent pas de changements significatifs, ni sur les connaissances, ni sur les pratiques éducatives, ni sur le développement langagier des enfants (Markusson-Brown et al., 2017; Peeters et al., 2015; Zaslow et al., 2010), et ce, même en augmentant le nombre d’heures de formation (Markusson-Brown et al., 2017). D’ailleurs, le lien entre de nouvelles connaissances théoriques acquises et des changements dans les pratiques n’est pas clairement démontré; ce qui revient à dire que même si on a appris plein de nouvelles choses intéressantes dans une formation, ce n’est pas si évident de les mettre en œuvre auprès des enfants dans notre quotidien.
Cependant, l’étude de Markusson-Brown et ses collaborateurs (2017) démontrent que cette même formation peut être très efficace lorsqu’elle est combinée à une ou plusieurs autres modalités de développement professionnel. Nous parlerons alors d’un dispositif de développement professionnel.
Un dispositif de développement professionnel?
Différentes modalités de développement professionnel s’avèrent très prometteuses pour amener des changements dans les pratiques en soutien au développement langagier, par exemple l’accompagnement dans le groupe (coaching), la vidéorétroaction et les communautés de pratique (ou groupes de discussions sur les pratiques).
Notamment, la méta-analyse de Markusson-Brown et ses collaborateurs (2017) confirme les effets positifs des dispositifs incluant de l’accompagnement individualisé dans les groupes (coaching). Ils rapportent des effets sur la qualité structurelle du milieu (p. ex. la quantité de livres disponibles dans le local), sur la qualité des interactions dans le groupe ou la classe, très corrélée au développement langagier (voir le billet de Stéphanie Duval pour une définition de la qualité des interactions), de même que sur plusieurs habiletés langagières et d’éveil à l’écrit des enfants, notamment, le vocabulaire réceptif, la connaissance alphabétique et la conscience phonologique. Sans surprise, plus on augmente le nombre d’heures d’accompagnement et la durée de cette modalité dans le temps (p. ex. des rencontres étalées sur deux ans), plus les effets sur les pratiques éducatives sont importants.
Toutefois, selon ces chercheurs, avant de se questionner sur l’intensité et la durée optimales, il serait plus important de combiner ces différentes modalités entre elles dans un dispositif de développement professionnel. En proposant à la fois de la formation, de l’accompagnement dans le groupe et la formation d’une communauté de pratique, on serait en mesure d’offrir aux éducateurs, enseignants et participants des occasions variées d’être en contact avec les meilleures pratiques en soutien au développement langagier et, surtout, de réfléchir à la mise en œuvre de ces pratiques. On fournirait aussi différentes occasions de les ajuster à la réalité de chaque contexte éducatif en petite enfance et à chaque enfant. Enfin, on parviendrait à engager les participants dans un processus d’apprentissage plus actif. Une diversité de modalités de développement professionnel permettrait aussi de s’adapter aux différentes façons d’apprendre de chaque participant.
Dans la pratique…
Toutefois, si cette recommandation est facile à écrire sur papier, elle n’est pas si simple à transposer en décisions qui permettent de sélectionner les activités de développement professionnel appropriées. En effet, sur un continuum qui s’étend entre l’offre d’une journée de formation isolée et l’organisation d’un dispositif de développement professionnel de 450 heures, étalé sur 3 ans (et qui ferait froncer les sourcils de plus d’un gestionnaire), il existe un monde de possibilités et de choix pour les formateurs/accompagnateurs en petite enfance. Schachter (2015) recense par exemple 35 dispositifs dits efficaces, mais distincts en terme de durée, d’intensité et de modalités retenues.
Si les études scientifiques n’offrent pas encore de recette, elles commencent tout de même à suggérer certaines lignes directrices dont il faut tenir compte. Peeters et ses collègues (2015), dans une recension des écrits réalisée en Europe pour le compte d’Eurofound, mettent entre autres en lumière l’importance du caractère réflexif des activités de développement professionnel et de la participation active du personnel éducateur dans le processus d’amélioration des pratiques éducatives. Les éducateurs et les enseignants, en apprenant à observer les enfants et à observer leurs pratiques, peuvent entre autres développer une meilleure sensibilité, et donc ajuster leurs pratiques à chaque enfant.
Une question en suspens
Une question demeure en suspens : pourquoi est-ce si difficile de changer les pratiques en soutien au développement langagier des enfants? Cette question apparait d’autant plus pertinente lorsque l’on constate que les techniques proposées pour soutenir le développement langagier des enfants apparaissent, à première vue, assez simples à mettre en place : par exemple, poser des questions ouvertes, se mettre à la hauteur de l’enfant, reformuler ses phrases, etc.
Dans les faits, il s’agit toutefois de pratiques complexes à intégrer, encore plus au travers de la gestion d’un groupe en petite enfance, où les besoins de chaque enfant sont différents. Par exemple, pour reformuler la phrase d’un enfant, et ainsi l’amener à complexifier son langage, l’éducatrice doit d’abord créer un contexte propice aux conversations, prendre le temps de se joindre à son jeu et d’écouter ce qu’il y dit, observer son niveau langagier pour enfin reformuler sa phrase en respectant sa zone proximale de développement, tout cela en maintenant une relation sensible et chaleureuse avec lui et en s’assurant que les autres enfants sont occupés durant ce temps à des activités constructives…
En somme, il demeure plus facile de faire des changements dans les activités proposées ou dans l’environnement physique que de modifier ses propres pratiques dans les interactions avec les enfants.
En conclusion
Pour conclure, autant pour soutenir le développement langagier des enfants que pour proposer des activités de développement professionnel à ce sujet, il semble que ce n’est pas tant ce qu’on fait qui compte, mais surtout comment on le fait.
Références
Markussen-Brown, J., Juhl, C. B., Piasta, S. B., Justice, L. M., Bleses, D., & Højen, A. (2017). The effects of language- and literacy-focused professional development on early educators and children: A best-evidence meta-analysis. Early Childhood Research Quarterly, 38, 97-115.
Peeters, J., Cameron, C., Lazzari, A., Peleman, B., Budginaite, I., Hauari, H., & Siarova, H. (2015). Early childhood care: working conditions, training and quality of services – A systematic review. Dublin: European Foundation for the Improvement of Living and Working conditions (Eurofound).
Schachter, R. E. (2015). An Analytic Study of the Professional Development Research in Early Childhood Education. Early Education and Development, 26(8), 1057-1085. doi:10.1080/10409289.2015.1009335
Zaslow, M., Tout, K., Halle, T., Whittaker, J. V., Lavelle, B, & Trends, C. (2010). Toward the identification of features of effective professional developmental for early childhood educators: Literature review. Washington, DC: U.S. Department of Education. Repéré à https://www2.ed.gov/rschstat/eval/professional-development/literature-review.pdf