Comprendre ce qu’on lit : une habileté essentielle
Ce billet fait suite à ceux intitulés « Quelles sont les premières étapes de l’apprentissage de la lecture? » et « Du décodage vers l’automatisation de la lecture ». On a expliqué dans ces billets que l’apprentissage du code alphabétique puis l’exposition autonome à la lecture entraînent la construction du lexique orthographique, ce qui favorise l’automatisation de la lecture. Cependant, lire n’est pas simplement décoder. L’objectif ultime de la lecture est d’accéder au sens, de comprendre ce qu’on lit.
La compréhension en lecture : qu’est-ce que c’est au juste?
Habituellement, la compréhension en lecture est définie simplement comme le produit de deux types d’habileté: le décodage et le langage oral (Hoover et Gough, 1990). De façon plus détaillée, comprendre ce qu’on lit, c’est construire une représentation mentale de la situation, en faisant interagir nos connaissances (p. ex., notre vocabulaire et nos connaissances antérieures), nos habiletés de traitement (p. ex., nos aptitudes de décodage) et nos ressources cognitives générales (p. ex., notre mémoire) (Perfetti et Stafura, 2014).
La compréhension en lecture n’est donc pas une entité unique facile à définir ou encore à évaluer. Au début du primaire, un enfant qui n’a pas eu de difficultés à apprendre à lire et dont la lecture est automatisée comprend généralement bien ce qu’il lit. Cependant, en vieillissant, il rencontrera des situations de plus en plus complexes. Si, par exemple, son vocabulaire et ses connaissances sur le monde sont limités, des difficultés de compréhension en lecture pourraient apparaître plus tardivement. À l’inverse, un enfant qui aurait de la difficulté à apprendre à lire donnera l’illusion de ne pas comprendre ce qu’il lit. Si un soutien lui est offert pour mieux maîtriser le code alphabétique et automatiser sa lecture, il pourrait pourtant révéler ses compétences de compréhension en lecture, jusque-là masquées par ses faibles habiletés de décodage.
Un enfant n’est donc pas « bon » ou « faible compreneur » de façon intrinsèque et irréversible, puisque la compréhension en lecture est le fruit d’interactions complexes entre diverses habiletés qui évoluent, elles-mêmes, dans le temps.
Les implications pédagogiques
●La compréhension en lecture est très difficile à évaluer: il ne s’agit pas d’une entité qui peut être clairement distinguée et les outils d’évaluation varient énormément. Castles, Rastle et Nation (2018) rappellent ainsi l’importance pour les enseignants de savoir ce qu’est la compréhension en lecture et ce que mesurent les évaluations qu’ils proposent, en ayant conscience notamment des connaissances impliquées. En effet, un enfant qui n’a pas les notions préalables nécessaires pour comprendre un texte sur un thème spécifique n’est pas nécessairement un faible compreneur, mais peut simplement manquer de connaissances pour accéder au sens de ce texte en particulier.
●Enseigner un mot inconnu à un enfant en cours de lecture s’avère très efficace, même lorsque le temps consacré à cette tâche est court. Cependant, les stratégies passives (p. ex., lire une définition en marge d’un texte ou chercher de façon autonome dans un dictionnaire) sont moins efficaces que les stratégies actives (p. ex., travailler en petit groupe et discuter des mots en détail). Aussi, l’enseignement de vocabulaire de façon isolée ne suffit pas à améliorer la compréhension en lecture, qui doit s’appuyer sur des stratégies.
●Il a été prouvé à plusieurs reprises que les enfants bénéficient grandement d’un enseignement explicite de stratégies encourageant l’engagement actif par rapport au texte (p. ex., la discussion à propos d’un texte avec l’enseignant et les pairs en utilisant des méthodes comme la clarification, le résumé, la prédiction et la génération de questions). Ce type d’enseignement entraîne de rapides effets et permet aux enfants d’appliquer des stratégies efficaces lors de lectures autonomes.
●De manière générale, l’amélioration de la compréhension en lecture ne s’effectue pas seulement par la lecture de textes. Le renforcement du langage oral (p. ex, du vocabulaire, de la compréhension des phrases et des habiletés narratives) et des connaissances sur le monde, même avant l’entrée dans la lecture, a un effet sur les habiletés futures de compréhension en lecture.
●Enfin, bien qu’il soit possible d’enseigner aux enfants des stratégies explicites de compréhension en lecture, c’est aussi en les exposant à des situations de lecture autonome que l’on favorisera l’acquisition graduelle de nouvelles connaissances, améliorant ainsi petit à petit la compréhension des prochains textes qu’ils liront.
Références
Castles, A., Rastle, K. et Nation, K. (2018). Ending the reading wars: Reading acquisition from novice to expert. Psychological Science in the Public Interest, 19(1), 5-51.
Hoover, W. A. et Gough, P. B. (1990). The simple view of reading. Reading and Writing, 2(2), 127-160. doi:10.1007/bf00401799
Perfetti, C. et Stafura, J. (2014). Word knowledge in a theory of reading comprehension. Scientific Studies of Reading, 18(1), 22-37. doi:10.1080/10888438.2013.827687
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