Vous l’avez peut-être remarqué : la terminologie utilisée pour parler des troubles du langage a beaucoup évolué au cours des vingt dernières années. Autrefois, au Québec, il était exclusivement question de « dysphasie » pour désigner un trouble du langage significatif affectant plus d’une composante langagière (p. ex., le contenu, la morphosyntaxe, la phonologie); maintenant, les orthophonistes parlent plutôt de « trouble primaire du langage ». Du côté de la littérature scientifique internationale, il est généralement question de « primary language impairment » ou de « specific language impairment ». De quoi en perdre son latin!
Si tous ces termes ne sont pas exactement synonymes (et le but de ce billet n’est pas d’en détailler les nuances!), retenons surtout qu’ils réfèrent tous à un trouble du langage oral, donc à des difficultés langagières persistantes, qui ne s’expliquent pas par un déficit neurologique, un problème d’audition ou une déficience intellectuelle. L’enfant atteint n’apprend pas le langage aussi facilement que ses pairs, il a besoin d’une aide soutenue pour y parvenir, et ses difficultés ont des conséquences sur sa socialisation et ses apprentissages.
Les chercheurs ont avancé différentes hypothèses pour expliquer les difficultés observées chez les enfants atteints d’un « specific language impairment » (SLI)[1]. La première stipule que ce trouble serait dû à des déficits spécifiques du système responsable de traiter le langage. Cette hypothèse a longtemps justifié la nécessité d’appuyer le « diagnostic » de SLI sur un écart significatif entre le QI verbal (p. ex., la compréhension de mots de vocabulaire) et le QI non verbal (p. ex., la compréhension de suites logiques, le raisonnement abstrait et la résolution de problèmes qui ne sont pas formulés en mots). En effet, si l’enfant performait bien sur le plan cognitif et moins sur le plan langagier, il était logique de conclure qu’il présentait un trouble spécifique du langage.
Certaines recherches ont cependant permis de mettre en évidence des déficits subtils sur le plan de la cognition non verbale (ou non langagière) des enfants présentant un SLI, par exemple des difficultés dans le raisonnement déductif. Une seconde hypothèse a alors été avancée : le trouble serait occasionné par des déficits au niveau de certains processus cognitifs nécessaires au langage (p. ex., la mémoire de travail ou la mémoire procédurale) ou par rapport à la vitesse de traitement de l’information. Ces déficits seraient à la base à la fois des difficultés non langagières et langagières. Bref, les difficultés observées chez un enfant présentant un SLI s’expliqueraient d’un point de vue cognitif et non seulement linguistique.
Il y a à peine un an, des chercheurs ont voulu s’assurer que les enfants présentant un SLI performent réellement moins bien à des tests d’évaluation du QI non verbal que leurs pairs du même âge qui se développent normalement. Ils ont pour cela réalisé une méta-analyse qui a regroupé les résultats de 131 études (Gallinat & Spaulding, 2014). Il en ressort que les enfants présentant un SLI obtiennent un score moins élevé de 10 points en moyenne (pour un score moyen de 100 et un écart-type de 15) par rapport à celui de leurs pairs du même âge aux tests de QI non verbal, ce qui est considéré comme une différence notable (taille de l’effet moyenne à grande).
Les chercheurs concluent que ces résultats semblent a priori appuyer la seconde hypothèse voulant que les difficultés langagières des enfants qui présentent un SLI soient causées par des déficits sur le plan cognitif et non seulement sur le plan langagier. D’autres raisons demeurent tout de même possibles pour expliquer les résultats. Par exemple, les enfants pourraient moins bien comprendre ce qui est attendu d’eux aux tests, car ceux-ci nécessitent au moins la compréhension de quelques consignes verbales. Les enfants pourraient aussi avoir de la difficulté à se parler à eux-mêmes, dans leur tête, pour accompagner leurs réflexions, ce qui constitue une stratégie dont l’efficacité a été démontrée.
Dans tous les cas, il demeure que le « specific language impairment » ne semble pas aussi « spécifique » qu’il le paraissait au départ, d’où son nouveau nom de « trouble primaire du langage ». Ce terme signifie que le langage est touché en premier lieu, mais pas de façon exclusive; le fonctionnement cognitif l’est aussi dans une moindre mesure. Autrement dit, les symptômes observés chez les enfants présentant un SLI seraient principalement langagiers, mais les causes seraient plus larges et d’autres difficultés cognitives seraient observables.
La recherche sur les processus cognitifs qui pourraient être affectés chez les enfants présentant un SLI va bon train, mais demeure relativement récente. Espérons que, dans les années à venir, les faits scientifiques nous aideront à mieux dresser le profil cognitif des enfants atteints, ce qui sera fort utile pour intervenir auprès d’eux. En effets, mieux connaitre les processus cognitifs en cause permettra de mieux cibler les interventions. Et vous, notez-vous des difficultés qui dépassent le langage chez les enfants que vous côtoyez qui présentent un trouble primaire du langage?
Référence
Gallinat, E. et J. Spaulding (2014). « Differences in the Performance of Children With Specific Language Impairment and Their Typically Developing Peers on Nonverbal Cognitive Tests: A Meta-Analysis », Journal of Speech, Language, and Hearing Research, vol. 57, p. 1363-1382.
[1] J’utiliserai cette terminologie pour être conforme à la méta-analyse sur laquelle je m’appuie.
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