Petite enfance en forêt : bénéfices et défis

06/12/2017 13:57:45

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Des bénéfices de plus en plus reconnus

À l’heure où les attentes sont grandes quant à la contribution des services éducatifs à la trajectoire développementale des jeunes enfants québécois, les bénéfices de l’approche d’éducation par la nature méritent d’être davantage connus. Depuis quelques années, de nombreux travaux ont été menés en ce sens à travers le monde et plusieurs effets positifs ont été identifiés chez l’enfant fréquentant un environnement éducatif lui offrant un contact privilégié avec la nature. Ainsi, on relève l’amélioration de l’autodétermination, de la confiance en soi et de l’estime de soi, le développement des habiletés physiques, sociales et langagières, l’augmentation du désir d’apprendre, l’amélioration des connaissances et de la compréhension au sujet de la nature (Bjørgen, 2016; Kochanowski & Carr, 2014; Lovell, O’Brien, & Owen 2010).

Dans une étude récente, les éducateurs en milieu naturel considèrent que le développement socioémotionnel constitue un élément central des apprentissages vécus par les enfants : la connaissance de soi, les relations interpersonnelles, le travail en équipe et la capacité à prendre des risques. Ils relèvent aussi l’attachement au lieu fréquenté et l’engagement envers la nature (Harris, 2017).

 

enfants qui joue dans la neige

 

Des bénéfices cognitifs et comportementaux sont aussi mis en évidence (D’Amore, 2015). Le temps de jeu en nature pourrait ainsi favoriser le développement des capacités attentionnelles et prévenir ou atténuer les comportements d’hyperactivité. Tout récemment, une étude longitudinale auprès de 562 enfants norvégiens de 4 à 7 ans (Ulset, Vitaro, Brendgen, Bekkhus, & Borge, 2017) a rapporté une relation positive entre le nombre d’heures quotidiennes de jeu en plein air et le développement cognitif d’une part, et le comportement, d’autre part. Plus les enfants passent de temps en plein air (moyenne annuelle jusqu’à 9 heures par jour), plus ils obtiennent des résultats élevés aux mesures cognitives et moins ils présentent de problèmes d’attention et d’hyperactivité. Ces travaux font écho à ceux de Barker et ses collègues (2014), qui ont démontré que le temps passé dans des activités peu structurées donnerait aux enfants la possibilité de développer leur fonctionnement exécutif autonome. Le contraire est aussi relevé : plus les enfants passent du temps dans des activités structurées, plus leur fonctionnement exécutif autonome est pauvre (Barker et al., 2014).

 

Quelques contraintes ou défis à relever

Parmi les contraintes liées à l’offre de services éducatifs inspirés de l’approche d’éducation par la nature, trois attirent notre attention :

  • La centration croissante des systèmes préscolaires sur les résultats et des cibles d’apprentissage spécifiques, et ce, dans une perspective de préparation à l’école (Waite, Bølling, & Bentsen, 2016). Comme on le voit fréquemment dans les divers services éducatifs offerts aux enfants de 4 et 5 ans, cette centration peut entrainer une diminution des occasions de jeu libre accompagné en milieu naturel, en mettant plutôt l’accent sur des pratiques éducatives de type enseignement dirigé.

  • Le débat opposant la responsabilité d’assurer la sécurité de l’enfant (avec toutes les contraintes, normes, règles et restrictions que cela peut entrainer) et l’importance d’offrir à ce dernier des défis physiques et émotionnels susceptibles de soutenir son développement. En Norvège et en Islande, notamment, il n’y a pas de règles ou de politiques précises relativement à la prise de risque, les éducatrices ajustant leurs interventions selon les caractéristiques et les habiletés individuelles de chaque enfant afin de favoriser le développement de son plein potentiel (Sandseter, 2012; Norðdahl & Jóhannesson, 2016).

  • Le défi de l’accès régulier à un environnement naturel riche et stimulant. Depuis plusieurs années, le développement des services éducatifs à la petite enfance québécois est régi par des normes relatives aux espaces extérieurs (espace clôturé de 4 m² par enfant, pour le tiers des enfants présents; normes CSA), mais celles-ci apparaissent parfois éloignées des besoins des jeunes enfants. Il a d’ailleurs été mis en évidence que « les enfants démontrent un plus grand intérêt pour les espaces naturels, plutôt que pour les structures de jeux préfabriquées » (Herrington & Pickett, 2015). Pourtant, le Québec regorge d’espaces naturels susceptibles d’offrir un environnement propice aux explorations et aux apprentissages des jeunes enfants, même en zones urbaines et périurbaines. À Séoul, capitale de la Corée du Sud où vivent plus de dix-millions d’habitants, les instances municipales relèvent le défi en mettant en valeur des espaces naturels (forêts, champs, etc.) pour les enfants fréquentant les diverses institutions éducatives. Depuis 2011, 41 parcs naturels ont ainsi été aménagés, et l’objectif pour 2023 est d’en créer 400 afin d’offrir un meilleur accès aux 7500 services éducatifs (He-Rim, 2017).

 

Le Québec emboite le pas

L’intérêt pour l’éducation par la nature auprès des jeunes enfants est de plus en plus palpable au Québec. Ainsi, quelques initiatives ont vu le jour au cours des dernières années ou sont en phase de démarrage : jardins d’enfants en forêt, centres de la petite enfance, maternelles et services de garde en milieu scolaire, activités parents-enfants en milieu naturel, services de garde en milieu familial, écoles à vocation pédagogique particulière, activités pour les enfants scolarisés à la maison, camps de jour, etc. Certains de ces projets sont soutenus par des chercheurs universitaires provenant de divers domaines (éducation, psychologie, santé, kinésiologie, etc.), lesquels peuvent alors porter un regard élargi sur différents enjeux de la mise en œuvre de l’approche au Québec. Un programme de formation spécialisée de niveau collégial en lien avec l’éducation par la nature est également en gestation.

À titre d’exemple, le projet Grandir en forêt, dans les quartiers centraux de la ville de Québec, permet depuis septembre 2017 à plusieurs groupes d’enfants fréquentant un CPE, un service de garde en milieu familial ou un service de garde en milieu scolaire, de vivre une expérience d’éducation par la nature, deux jours par semaine, au Domaine Maizerets.

Enfin, la pierre angulaire du développement de l’approche d’éducation par la nature au Québec pourrait bien être la demande croissante des parents en faveur d’un plus grand contact avec le milieu naturel pour leur enfant. Comme on l’a vu dans certains pays européens, ce sont des parents déterminés, qui, aux côtés d’éducatrices et de chercheurs mobilisés, peuvent créer une onde de changement dans la façon de concevoir l’éducation à la petite enfance.

 

 

Références

Barker, J. E., Semenov, A. D., Michaelson, L., Provan, L. S., Snyder, H. R. and Munakata, Y. (2014). Less-structured time in children’s daily lives predicts self-directed executive functioning. Frontiers in Psychology, 17. doi: 10.3389/fpsyg.2014.00593

Bjørgen, K. (2016). Physical activity in light of affordances in outdoor environments: qualitative observation studies of 3-5 years old in kindergarten. SpringerPlus, 5(1). doi: 10.1186/s40064-016-2565-y

D’Amore, C. (2015). Thriving through Nature: Fostering Children’s Executive Function Skills. Minneapolis, MN: Children & Nature Network. Repéré à www.childrenandnature.org/wp-content/uploads/2015/08/CNN_ExecutiveFunctionToolkit_2015.pdf

Harris, F. (2017). The nature of learning at forest school: practitioners’ perspectives. Education 3-13. International Journal of Primary, Elementary and Early Years Education, 45(2), 272-291. http://dx.doi.org/10.1080/03004279.2015.1078833

He-rim, J. (2017, 25 aout). Kids go wild in ‘infant forests’. The Korea Herald. http://www.koreaherald.com/view.php?ud=20170825000812

Herrington, S., & Pickett, W. (2015). Énoncé de position sur le jeu actif à l’extérieur. University of British Columbia/Queen’s University. https://www.participaction.com/fr-ca/leadership-éclairé/recherches/position-sur-le-jeu-actif-à-l’extérieur

Kochanowski, L., & Carr, V. (2014). Nature playscapes as contexts for fostering self-determination. Children, Youth and Environments24(2), 146-167.

Lovell, R., O’Brien, L., & Owen, R. (2010). Review of the research evidence in relation to the role of trees and woods in formal education and learning. London: Forestry Commission. Repéré à https://www.forestry.gov.uk/pdf/Education_and_learning_research_review_2010.pdf/$FILE/Education_and_learning_research_review_2010.pdf

Norðdahl, K., & Jóhannesson, I. Á. (2016). ‘Let’s go outside’: Icelandic teachers’ views of using the outdoors. Education 3-13. International Journal of Primary, Elementary and Early Years Education44(4), 391-406. http://dx.doi.org/10.1080/03004279.2014.961946

Sandseter, E. B. H. (2012). Restrictive safety or unsafe freedom? Norwegian ECEC practitioners’ perceptions and practices concerning children’s risky play. Child Care in Practice18(1), 83-101. http://dx.doi.org/10.1080/13575279.2011.621889

Ulset, V., Vitaro, F., Brendgen, M., Bekkhus, M., & Borge, A. I. (2017). Time spent outdoors during preschool: Links with children’s cognitive and behavioral development. Journal of Environmental Psychology, 52, 69-80. doi: 10.1016/j.jenvp.2017.05.007

Waite, S., Bølling, M., & Bentsen, P. (2016). Comparing apples and pears?: a conceptual framework for understanding forms of outdoor learning through comparison of English Forest Schools and Danish udeskole. Environmental Education Research, 22(6), 868-892. http://dx.doi.org/10.1080/13504622.2015.1075193

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