L’écholalie, c’est-à-dire la répétition de ce qu’a dit une autre personne, est depuis longtemps considérée comme un trait caractéristique de l’autisme, bien que des études récentes tendent à démontrer que ce type d’imitation n’est pas exclusive aux personnes autistes et peut être observée chez des personnes présentant notamment un trouble primaire du langage (van Santen, Sproat, & Hill, 2013). Chez les enfants autistes, l’écholalie est parfois vue comme un comportement transitoire, menant vers une communication plus fonctionnelle. Toutefois, elle est aussi perçue, à l’inverse, comme un comportement dont il est préférable de réduire la fréquence, voire d’éliminer. Qui dit vrai? J’explore la question avec vous!
Une mise en contexte
La cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le DSM-5, parue en 2015 (version française), présente une révision des critères diagnostics des troubles du spectre de l’autisme, autrefois appelés troubles envahissants du développement. Les critères actuels sont les suivants : 1) présenter un déficit persistant de la communication sociale et des interactions sociales; 2) avoir des comportements, des intérêts et des activités à caractère restreint et répétitif. Pour que le deuxième critère soit valide, la personne doit présenter ou avoir déjà présenté au moins deux signes parmi quatre, dont l’un est la présence de mouvements répétitifs dans l’utilisation d’objets ou de la parole, incluant par exemple l’écholalie (APA, 2015).
Il existe deux types d’écholalie. Les définitions varient d’un auteur à un autre (van Santen et al., 2013), mais grosso modo, l’écholalie immédiate correspond à une répétition qui ressemble à la production originale du point de vue des sons et/ou de la prosodie (l’intonation) à l’intérieur de deux tours de parole. La répétition peut être exacte ou approximative (Fay, 1967, Prizant & Duchan, 1981, dans Stiegler, 2015). L’écholalie différée consiste en une répétition produite plus de deux tours de parole plus tard. Elle est plus complexe d’un point de vue langagier que ce que l’enfant peut produire de lui-même et est souvent considérée comme une routine apprise par cœur par les partenaires de communication familiers. Elle peut également être exacte ou approximative (Prizant & Rydell, 1984, dans Stiegler, 2015).
L’écholalie chez les enfants autistes est-elle positive ou négative?
À la base, tous les enfants apprennent le langage en répétant. Généralement, ils isolent des mots dans le discours des adultes et les répètent immédiatement ou plus tard. L’imitation verbale est aussi réalisée spontanément par les adultes à la suite des paroles des enfants, et les enfants répètent souvent des phrases déjà entendues dans leurs jeux. Alors pourquoi l’écholalie serait-elle problématique chez les personnes autistes? En fait, chez cette population, elle serait généralement jugée non fonctionnelle parce qu’elle serait souvent utilisée à des fins non communicatives. Un exemple typique d’écholalie différée jugée non fonctionnelle pourrait être la répétition hors contexte d’une phrase tirée d’un film.
Stiegler (2015) met toutefois en garde contre un fait : certaines répétitions qui sembleraient à priori non communicatives ou fonctionnelles pourraient l’être. À ce sujet, elle rapporte plusieurs études de cas qui ont permis de mettre en évidence certaines fonctions communicatives de répétitions immédiates ou différées chez des personnes autistes. L’écholalie peut par exemple servir à recueillir de l’information, à demander quelque chose, à répondre « oui » ou à prendre un tour de parole. La chercheuse suggère que la fonction de certaines répétitions peut être retracée en déterminant la source initiale de l’énoncé répété. Par exemple, quand il est content, un enfant pourrait dire : « Maintenant, on ouvre les cadeaux! » parce qu’il a d’abord entendu cette phrase dans un contexte de fête.
Stiegler (2015) met aussi en évidence la possibilité soulevée par certains linguistes et orthophonistes (Peter, 1983, Blanc, 2012, dans Stiegler, 2015) que certains enfants, dont des enfants autistes, apprennent le langage différemment, en « capturant » d’abord des unités plus longues et en leur attribuant un sens restreint. Par exemple, « c’est le temps de prendre un bain » pourrait vouloir dire « bain » pour un enfant autiste. Les enfants adoptant cette façon d’apprendre pourraient en venir à isoler des mots, à partir des phrases répétées, pour ensuite en combiner d’autres et créer leurs propres phrases.
Par ailleurs, il semblerait que la fréquence de l’écholalie ne dépendrait pas seulement de l’enfant lui-même, mais aussi du style d’interaction préconisé par l’adulte qui échange avec lui. Ainsi, le style directif (plus de questions et de directives) entrainerait globalement plus d’écholalie immédiate que le style facilitateur (plus de commentaires et d’affirmations) (Rydell & Miranda, 1994, dans Stiegler, 2015). Il serait donc faux de croire que l’écholalie relève exclusivement de difficultés communicatives, puisque celle-ci dépendrait aussi de l’environnement communicatif.
Dans la pratique…
À la lumière des données colligées par Stiegler (2015), on peut penser que l’écholalie observable chez les enfants autistes est une réponse adaptative aux contraintes liées à leurs difficultés d’apprentissage du langage plutôt qu’un comportement invariablement non fonctionnel et non communicatif (Stribbling et al., 2006, dans Stiegler, 2015). En ce sens, il apparait pertinent de s’interroger sur les fonctions peut-être « cachées » des répétitions immédiates ou différées chez un enfant autiste : veut-il prendre son tour de parole? Veut-il enregistrer l’information? Aussi, pour éviter que l’écholalie prenne trop de place, il semble judicieux de favoriser un style interactif et non directif. Enfin, si certaines interventions béhaviorales ont démontré leur efficacité pour la diminution de comportements vocaux stéréotypés (comme le jargon), il semble prudent de ne pas nécessairement chercher à éliminer l’écholalie à l’aide de ce type d’interventions, car la répétition de paroles sans compréhension pourrait dans certains cas mener l’enfant à un langage plus créatif et spontané.
Références
American Psychiatry Association. (2015). DSM-5: Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (5e éd.) (version internationale) (Washington, DC, 2013). Traduction française par M. A. Crocq & J. D. Guelfi, Issy-les-Moulineaux, France : Elsevier Masson SAS.
Stiegler, L. N. (2015). Examining the Echolalia Literature: Where Do Speech-Language Pathologists Stand? American Journal of Speech-Language Pathology, 24(4), 750-762.
van Santen, J. P. H., Sproat, R. W., & Hill, A. P. (2013). Quantifying Repetitive Speech in Autism Spectrum Disorders and Language Impairment. Autism Research, 6(5), 372-383.
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