L’apprentissage moteur : quand tout ne se passe pas comme prévu

05/07/2017 10:59:16

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Apprendre à attacher ses lacets, à découper, à aller à bicyclette ou à écrire sont, en quelque sorte, des rites de passage qui marquent les premières années de l’enfance. Lorsque l’environnement dans lequel l’enfant se développe lui offre des défis ajustés à ses compétences, l’acquisition des habiletés nécessaires à la maitrise de telles activités motrices se fait généralement sans trop de difficultés. En effet, face à de nouvelles activités motrices, la plupart des enfants arrivent à surmonter le défi que l’apprentissage représente. À force de se pratiquer, l’enfant s’ajuste, persévère et trouve des stratégies afin de résoudre le « problème moteur » auquel il fait face. Cette expérience positive contribue au développement de son sentiment d’efficacité personnelle, qui éveille ensuite sa motivation à surmonter de nouveaux apprentissages.

Par contre, pour certains enfants, l’expérience vécue lorsqu’ils tentent d’acquérir les habiletés nécessaires à la maitrise d’activités motrices est tout autre. Malgré des efforts soutenus, une volonté affirmée et une pratique répétée de l’activité, ces enfants ne parviennent tout simplement pas à surmonter le défi que représente l’apprentissage. Ces difficultés se situent majoritairement dans l’apprentissage d’activités sportives ou de motricité globale (p. ex. les jeux de ballon, la bicyclette, la natation), parfois dans l’apprentissage d’activités de table ou de motricité fine (p. ex. le découpage, le geste d’écriture, le dessin), et parfois dans l’apprentissage des deux types d’activités motrices (Dunford, Missiuna, Street, & Sibert, 2005; Magalhães, Cardoso, & Missiuna, 2011; Rodger et al., 2007; Summers, Larkin, & Dewey, 2008; Wang, Tseng, Wilson, & Hu, 2009). Bien que ces difficultés soient présentes dès un tout jeune âge, c’est souvent lors du début de la scolarisation que celles-ci deviennent plus apparentes. En effet, plusieurs activités motrices doivent être acquises au cours du préscolaire et du premier cycle du primaire, du découpage à l’habillage autonome en passant par les jeux de ballon durant la récréation et l’écriture (Mandich, Polatajko, & Rodger, 2003). À force de rencontrer des échecs répétés, plusieurs des enfants présentant des difficultés importantes se découragent, s’isolent socialement ou encore expriment leur détresse par la colère, l’opposition et le désengagement des activités motrices (Cairney, Veldhuizen, & Szatmari, 2010). Plusieurs de ces enfants pourraient, en fait, avoir un trouble développemental de la coordination (auparavant appelé trouble d’acquisition de la coordination).

 

Le trouble développemental de la coordination

Le diagnostic médical de trouble développemental de la coordination (TDC) est donné à environ 1 enfant sur 20 d’âge scolaire. Ce trouble neurodéveloppemental est caractérisé par une difficulté marquée et persistante de l’apprentissage et de l’exécution d’activités motrices typiques de l’enfance (American Psychiatric Association, 2013). Ces difficultés sont associées à des habiletés de coordination motrice en deçà de ce à quoi l’on s’attend à l’âge de l’enfant, en tenant compte des possibilités d’apprentissage lui ayant été offertes. Elles ne sont pas explicables par une autre condition médicale ou un autre diagnostic. Plusieurs enfants ayant un TDC ont un ou des troubles neurodéveloppementaux associés, comme un trouble déficitaire de l’attention, un trouble d’apprentissage ou un trouble du langage (Packiam Alloway & Archibald, 2008; Shaw et al., 2016; Tseng, Howe, Chuang, & Hsieh, 2007).

 

Le TDC et l’écriture

Les difficultés d’apprentissage moteur de l’enfant ayant un TDC ont un impact important sur son parcours scolaire, affectant plusieurs sphères de fonctionnement (Kennedy-Behr, Rodger, & Mickan, 2011). La difficulté de l’enfant quant à l’apprentissage du geste d’écriture reste un défi important qui doit être rapidement surmonté (Chang & Yu, 2010; Rosenblum & Livneh-Zirinski, 2008), car c’est par l’écrit que l’enfant pourra acquérir plusieurs connaissances, communiquer et démontrer ses savoirs. Apprendre le geste d’écriture n’est toutefois pas chose facile! L’effort cognitif nécessaire à l’apprentissage du tracé des lettres arrive à un moment où l’acquisition de plusieurs autres concepts liés à l’écriture survient (p. ex. le nom des lettres, la conscience phonologique, la lecture, le principe alphabétique). Outre l’adaptation des attentes de l’enseignant, de l’environnement et de la tâche (Pollock, Missiuna, McKechnie, & Embrey, 2012), seule l’automatisation du geste d’écriture libère les ressources attentionnelles nécessaires aux processus cognitifs impliqués dans les divers apprentissages faisant appel à l’écriture. En effet, tant que l’enfant doit concentrer son attention sur le tracé des lettres, son attention est difficilement disponible pour les autres apprentissages. Promouvoir l’apprentissage du tracé des lettres afin d’automatiser le geste d’écriture, et donc aboutir à un geste d’écriture rapide et fluide, devrait être une priorité pour l’enfant ayant un TDC. Toutefois, comme l’enfant a des difficultés d’apprentissage moteur, les méthodes pédagogiques traditionnelles d’enseignement du geste d’écriture scripte ou cursive risquent de ne pas être adéquates.

 

Promouvoir l’apprentissage moteur d’un enfant ayant un TDC

Les méthodes pédagogiques traditionnelles utilisées avec succès pour la majorité des élèves ne fonctionnent généralement pas pour l’enfant ayant un TDC. Toutefois, notre expérience dans les milieux scolaires nous indique que les adaptations aux méthodes pédagogiques nécessaires pour aider les enfants aux prises avec un TDC sont souvent facilement réalisables pour les enseignants.

Prenons l’écriture en exemple. Des études démontrent que la démonstration, la pratique seule ou la répétition individuelle ne favorise pas l’apprentissage moteur de l’enfant ayant un TDC (Polatajko & Mandich, 2017). Ainsi, nous savons que recopier un modèle de lettre fait au tableau, suivre des tracés de lettre sur une feuille et reproduire plusieurs fois une lettre écrite dans un cahier d’exercices ne favorisent pas l’apprentissage et l’automatisation du geste moteur de l’enfant ayant un TDC. Par contre, des études évaluant l’efficacité d’interventions en ergothérapie démontrent que l’enfant ayant un TDC va plutôt apprendre lorsque des méthodes pédagogiques d’apprentissage explicite sont mises de l’avant (Harris, Mickelson, & Zwicker, 2015; Polatajko & Mandich, 2017). Ces méthodes font appel aux habiletés métacognitives de l’enfant afin qu’il développe une excellente compréhension de la tâche à apprendre, qu’il identifie des stratégies cognitives qui soutiendront l’exécution de la tâche et qu’il développe un réflexe d’autoévaluation de sa performance. Ces méthodes d’apprentissage, efficaces pour l’enfant ayant un TDC, peuvent aussi bénéficier à tous les élèves de la classe. Voici comment un enseignant pourrait adapter ses méthodes pédagogiques afin de tenir compte de l’enfant ayant un TDC.

Lors de l’apprentissage d’une nouvelle activité motrice, l’enfant ayant un TDC doit saisir quels sont les éléments et détails importants qui influenceront l’exécution de l’activité. Ainsi, il doit comprendre explicitement que chaque lettre a un nom, un son et un geste qui lui sont associés. Afin de faciliter l’apprentissage du geste lors des périodes d’enseignement, une bonne stratégie serait de regrouper les lettres dont le geste de départ se ressemble (p. ex. les c, d, a, g et q). Ensuite, l’enseignant pourrait, par exemple :

– Dessiner le modèle de la lettre au tableau et accompagner les élèves afin qu’ils se développent un « plan » décrivant la trajectoire à suivre afin d’atteindre leur « but » : tracer cette lettre. Afin d’aider l’élaboration du « plan », l’enseignant peut demander aux enfants de décrire les caractéristiques de la lettre puis utiliser les mots et les histoires des enfants pour leur expliquer la trajectoire à suivre; d’explorer à quoi leur fait penser la lettre; d’identifier à quelles autres lettres connues ressemble la nouvelle lettre à apprendre; de demander aux enfants de reproduire dans les airs le tracé en décrivant leur geste.

Cette méthode permet à l’enfant ayant un TDC de réactiver des connaissances antérieures et de séquencer l’exécution de la tâche en étapes simples et planifiées. Après avoir copié la lettre avec le modèle, tous les élèves devraient être graduellement amenés à l’écrire sans le modèle afin de favoriser la mémorisation de la séquence des gestes du tracé de la lettre et d’automatiser la manière de la tracer. L’objectif reste l’automatisation, la rapidité et la fluidité du geste d’écriture, et non la perfection et la qualité esthétique de celui-ci.

– En début d’apprentissage, faire verbaliser aux élèves le « plan » du tracé des lettres pendant qu’ils les pratiquent afin de guider leurs gestes. Parfois, les élèves choisissent de réviser leurs « plans » – et c’est très bien ainsi! Cette stratégie de verbalisation permet à l’enfant ayant un TDC d’internaliser que certains plans fonctionnent mieux que d’autres, et que quand quelque chose ne fonctionne pas, l’origine de la difficulté n’est pas un manque d’habileté, mais plutôt un plan qui doit être révisé.

Demander à l’enfant ayant un TDC (et à tous les élèves) de verbaliser quelles lettres correspondent le mieux au « but » ciblé par son « plan » lui permet de prendre conscience de l’influence du « plan » du tracé sur la lisibilité de son écriture et, éventuellement, de modifier le plan lorsque celui-ci ne nous permet pas d’atteindre le « but » ciblé.

 

À retenir

Plusieurs études scientifiques, ainsi que mon expérience d’ergothérapeute, confirment que l’enfant ayant un TDC est capable d’apprendre à exécuter avec succès les activités motrices qu’il aura à acquérir tout au cours de son développement (Polatajko & Mandich, 2017). Par contre, pour y arriver, il aura besoin que les adultes adaptent leurs méthodes pédagogiques (Stephenson & Chesson, 2008) afin de solliciter ses habiletés métacognitives et de rendre plus explicites les situations d’apprentissage. Guider l’enfant ayant un TDC afin qu’il découvre les solutions qui lui permettront de résoudre les « problèmes moteurs » que représentent les nouveaux apprentissages, c’est accepter de ralentir la cadence pour qu’il s’aperçoive que lui aussi, il est capable.

Ressources intéressantes

 

Références

American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders DSM-5 (5e éd.). Arlington, VA: American Psychiatric Publishing.

Cairney, J., Veldhuizen, S., & Szatmari, P. (2010). Motor coordination and emotional-behavioral problems in children. Current Opinion Psychiatry, 23, 324-329.

Chang, S., & Yu, N. (2010). Characterization of motor control in handwriting difficulties in children with or without developmental coordination disorder. Developmental Medicine & Child Neurology, 52, 244-250.

Dunford, C., Missiuna, C., Street, E., & Sibert, J. (2005). Children's perceptions of the impact of developmental coordination disorder on activities of daily living. British Journal of Occupational Therapy, 68, 207-214.

Harris, S. R., Mickelson, E., & Zwicker, J. G. (2015). Diagnosis and management of developmental coordination disorder. Canadian Medical Association Journal, 187(9), 659-665. doi: 10.1503/cmaj.140994

Kennedy-Behr, A., Rodger, S., & Mickan, S. (2011). Physical and social play of preschool children with and without coordination difficulties: preliminary findings. British Journal of Occupational Therapy, 74, 348-354.

Magalhães, L.C., Cardoso, A. A., & Missiuna, C. (2011). Activities and participation in children with developmental coordination disorder: a systematic review. Research Developmental Disability, 32, 1309-1316.

Mandich, A. D., Polatajko, H. J., Missiuna, C., & Miller, L. (2001). Cognitive strategies and motor performance in children with developmental coordination disorder. Physical and Occupational Therapy in Pediatrics, 20, 125-144.

Mandich, A. D., Polatajko, H. J., & Rodger, S. (2003). Rites of passage: Understanding participation of children with developmental coordination disorder. Human Movement Science, 22, 583-595.

Packiam Alloway, T., & Archibald, L. (2008). Working Memory and Learning in Children with Developmental Coordination Disorder and Specific Language Impairment. Journal of Learning Disabilities 41(3), 251–262.

Polatajko, H.J., & Mandich, A. (2017). Habiliter les enfants à l’occupation : l’approche CO-OP. Guider l’enfant dans la découverte de stratégies cognitives pour améliorer son rendement occupationnel au quotidien. (Édition française par Noémi Cantin). Ottawa, ON : Association canadienne des ergothérapeutes.

Pollock, N., Missiuna, C., McKechnie, A., & Embrey, T. (2012). Trouble de l’acquisition de la coordination. Repéré à http://elearning.canchild.ca/dcd_workshop/fr/index.html

Rodger, S., Watter, P., Marinac, J., Woodyatt, G., Ziviani, J., & Ozanne, A. (2007). Assessment of children with Developmental Coordination Disorder (DCD): motor, functional, self-efficacy and communication abilities. New Zealand Journal of Physiotherapy, 35, 99-109.

Rosenblum, S., & Livneh-Zirinski, M. (2008). Handwriting process and product characteristics of children diagnosed with developmental coordination disorder. Human Movement Science, 27, 200-214.

Shaw, P., Weingart, D., Bonner, T., Watson, B., Park, M., Sharp, W., . . . Chakravarty, M. (2016). Defining the neuroanatomic basis of motor coordination in children and its relationship with symptoms of attention-deficit/hyperactivity disorder. Psychological Medicine, 46(11), 2363-2373.

Stephenson, E. A., & Chesson, R. A. (2008). ‘Always the guiding hand’: Parents’ accounts of the long-term implications of developmental co-ordination disorder for their children and families. Child: Care, Health and Development, 34(3), 335-343.

Summers, J., Larkin, D., & Dewey, D. (2008). Activities of daily living in children with developmental coordination disorder: Dressing, personal hygiene, and eating skills. Human Movement Science, 27, 215-229.

Tseng, M., Howe, T., Chuang, I., & Hsieh, C. (2007). Co-occurrence of problems in activity level, attention, psychosocial adjustment, reading and writing in children with developmental coordination disorder. International Journal of Rehabilitation Research, 30, 327-332.

Wang, T. N., Tseng, M. H., Wilson, B. N., & Hu, F. C. (2009). Functional performance of children with developmental coordination disorder at home and at school. Developmental Medicine & Child Neurology, 51, 817-825.

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