Mon titre vous a peut-être choqués.
Toutefois, aussi choquante que cette affirmation peut l’être, plusieurs personnes sont convaincues qu’elle est vraie.
En novembre dernier, lors d’un congrès dans un hôtel réputé de la ville de Québec, un père inquiet des habiletés en lecture de son garçon est venu discuter avec moi et consulter les outils disponibles au kiosque. À peine quelques minutes de conversation se sont écoulées avant que celui-ci me fasse la déclaration suivante : « Quel est donc notre problème, à nous, les garçons, à avoir autant de difficulté en lecture? Ah oui, c’est vrai, nous ne sommes pas faits pour cela… »
Le stéréotype selon lequel l’école est faite par et pour des femmes est très répandu au Québec. Dans ce contexte, il semble pertinent de nous questionner sérieusement sur nos croyances et nos pratiques enseignantes. Qu’est-ce qui influence le succès des garçons à l’école? Quels facteurs déterminent leur réussite scolaire? Performent-ils vraiment moins bien que les filles, en lecture notamment? Et surtout, nos propres stéréotypes finissent-ils par influencer notre enseignement et, par le fait même, nuire à la réussite de nos élèves? C’est cette dernière question qui a plus particulièrement retenu mon attention.
Une étude abordant ce sujet a récemment été publiée dans Frontiers in Psychology par des auteures rattachées au Département d’éducation et de psychologie de l’Université libre de Berlin et au Centre international de recherche en éducation supérieure de l’Université Kassel en Allemagne (Wolker, Braun, & Hannover, 2015). Celles-ci ont tenté de déterminer l’influence potentielle des enseignantes du préscolaire sur le développement de la motivation et des compétences en lecture de leurs élèves en fonction de leurs discours et attitudes en matière de stéréotypes associés aux genres.
Les stéréotypes des enseignants semblent nuire aux garçons en lecture
Nous savons aujourd’hui que les stéréotypes influencent nos comportements (voir par exemple Hamilton et al. (1990), dans Wolter et al., 2015); il en serait de même pour une enseignante en contexte de classe. C’est du moins ce que tendent à confirmer les résultats de l’étude de Wolter et ses collaboratrices.
Les auteures ont analysé 135 dyades élèves-enseignantes féminines de niveau préscolaire (N = 135), dont 65 formées d’un garçon et d’une enseignante et 70 formées d’une fille et d’une enseignante. Les élèves ont été rencontrés individuellement à deux reprises (une fois vers la fin de leur scolarité au préscolaire et une fois à la fin de leur première année). Il appert que le degré de motivation à lire des garçons diffère selon l’attitude des enseignantes du préscolaire à l’égard des stéréotypes attribués aux genres. Pour ce qui est des filles, leur motivation (à apprendre) à lire n’a pas été influencée par le discours et l’attitude de l’enseignante par rapport à ces stéréotypes.
Les chercheuses ont décrit deux pôles pour catégoriser l’attitude et le comportement des enseignantes en ce qui a trait aux stéréotypes des genres : un pôle « traditionnel » et un pôle « égalitaire ». Les enseignantes de type plus « égalitaire » mélangeraient des activités aux thématiques variées, peu importe le genre que ces activités sous-tendent dans les stéréotypes. Par exemple, une activité considérée typiquement féminine pourrait être de cuisiner alors qu’une activité considérée typiquement masculine serait de jouer au soccer ou au hockey. Dans cette optique, la lecture serait considérée dans la société comme une activité typiquement féminine (voir Pottorff et al. (1996), Millard (1997), Hannover and Kessels (2002), Colley and Comber (2003), Plante et al. (2009), Steffens and Jelenec (2011), Martinot et al. (2012), McGeown et al. (2012), tous nommés dans Wolter et al., 2015).
Les résultats de la recherche montrent que plus l’enseignante adoptait une attitude de type « traditionnelle », plus le niveau de motivation (à apprendre) à lire au préscolaire chez les garçons diminuait et moins ceux-ci performaient lors d’une évaluation de leurs habiletés en lecture un an plus tard. En contrepartie, la motivation à lire chez les garçons était équivalente à celle des filles dans les classes où l’enseignante du préscolaire adoptait une attitude plus « égalitaire ». Autrement dit, une enseignante qui croit que la lecture est pour les filles (ou que celles-ci performent toujours mieux dans cette activité) finira par rendre les garçons de sa classe moins intéressés par la lecture. N’est-ce pas troublant?
Se regarder dans le miroir
Bien sûr, il s’agit des conclusions d’une seule étude. Celle-ci a toutefois le mérite de mettre en lumière un fait : il est important de se questionner, en tant qu’enseignant ou professionnel de l’éducation, sur nos croyances et sur la façon dont elles se transposent dans notre pratique, car cela peut avoir un effet sur nos élèves. Les auteurs de l’étude montrent clairement que les attitudes des enseignants du préscolaire à l’égard des stéréotypes attribués aux genres peuvent avoir des conséquences à long terme sur le développement des compétences en lecture chez les garçons, la motivation à lire étant un précurseur du développement des compétences (plus on est motivé, plus on lit, et plus on lit, mieux on lit!). Plusieurs fois, j’ai entendu un choix d’activité pédagogique se faire sur la base du sexe des élèves (la situation d’apprentissage et d’évaluation du ring de boxe pour les garçons et celle du salon de coiffure pour les filles).
Seules les habiletés en lecture et la motivation à lire ont été mesurées dans cette étude, mais sur la base des résultats obtenus, on pourrait penser que les stéréotypes ont une incidence sur d’autres habiletés, ou même la motivation envers l’école de manière générale. Afin d’améliorer la motivation à apprendre à lire chez les garçons, nous devrions tous être sensibilisés au fait qu’un environnement d’apprentissage où l’attitude égalitaire est adoptée, et où nous surveillons nos pensées sexistes, favorise le développement des compétences en lecture et de la motivation à lire, et par le fait même la réussite scolaire potentielle des élèves!
Astuces :
– Surveiller les sous-entendus comme « les filles aiment mieux rester à l’intérieur à la récréation tandis que les garçons aiment mieux aller jouer dehors », « la danse est pour les filles » ou « les garçons sont meilleurs aux jeux vidéos et à l’ordinateur ».
– Éviter d’attribuer des activités ou des jeux pédagogiques comportant des thématiques typiquement féminines aux filles et des thématiques typiquement masculines aux garçons. (Un jeu pédagogique de mathématiques comportant la thématique du hockey pour les garçons et celui du salon de beauté pour les filles uniquement!)
– Demander aux élèves de proposer individuellement des thèmes qu’ils aiment… ils pourraient nous surprendre!
Référence
Wolter, I., Braun, E., & Hannover, B. (2015). Reading is for girls!? The negative impact of preschool teachers’ traditional gender role attitudes on boys’ reading related motivation and skills. Frontiers in Psychology, vol. 6, art. 1267. Repéré à http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fpsyg.2015.01267/full
Crédit photo : Shutterstock
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