La dyslexie: Où en sommes-nous aujourd’hui?

15/03/2017 15:41:12

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La dyslexie est possiblement le trouble spécifique des apprentissages le plus connu des intervenants qui œuvrent auprès des élèves et des étudiants. Depuis plusieurs années, la science nous a permis de mieux comprendre ce trouble. Les recherches nous apportent de nouvelles connaissances comme elles nous permettent de confirmer ce que nous savons déjà. Nous voulons par ce billet présenter certaines données importantes à ne pas oublier ou à découvrir sur la dyslexie.

 

Une définition

Certains enfants apprennent à lire en quelques semaines seulement, voire avant leur entrée scolaire (Lyytinen, Erskine, Hämäläinen, Torppa, & Ronimus, 2015), alors que d’autres pourtant tout aussi intelligents, parfois même plus, peineront à automatiser le décodage. Plusieurs d’entre eux souffrent possiblement de dyslexie.

La dyslexie est un trouble spécifique d’apprentissage. Il s’agit d’un trouble neurodéveloppemental dont les manifestations varient au cours de la vie. L’enfant dyslexique n’aura pas le même profil de lecteur rendu à l’adolescence : la sévérité de son trouble peut changer. Adulte, il pourrait même devenir autonome dans certaines composantes initialement touchées, mais non sans efforts, sans adaptations, sans aménagements et sans rééducation. Ainsi, bien qu’elle évolue, la dyslexie persiste tout au long de la vie : il s’agit d’un trouble, ce qui signifie que les déficits résistent aux interventions, contrairement à un retard d’apprentissage. L’enfant dyslexique a des difficultés à développer les compétences en lecture nécessaires pour sa réussite scolaire puis à les utiliser.

Le DSM-5 (APA, 2013, 2015) est un outil de consultation et de référence utilisé internationalement, particulièrement lorsque vient le temps d’évaluer un enfant afin de poser ou non un diagnostic psychologique. Le DSM-5 mentionne qu’un trouble spécifique des apprentissages avec déficit de la lecture peut toucher trois composantes : 1) l’exactitude du décodage, 2) le rythme et la fluidité de la lecture, et 3) la compréhension de la lecture.

La dyslexie est un autre terme [que celui de trouble spécifique des apprentissages] utilisé pour décrire un ensemble de problèmes d’apprentissage caractérisés par des difficultés dans la reconnaissance exacte et fluide des mots, un mauvais décodage et des difficultés en orthographe. Si le terme dyslexie est utilisé pour définir cet ensemble spécifique de difficultés, il est important de spécifier également toute difficulté supplémentaire éventuellement présente, telle que des problèmes de compréhension de textes ou de raisonnement mathématique. (APA, 2015, p. 77).

Le terme dyslexie peut être considéré comme un équivalent d’un trouble spécifique de l’apprentissage du langage écrit, en excluant comme composante constituante de ce trouble une atteinte de la compréhension en lecture. Snowling et Hulme (2012) expliquent d’ailleurs très clairement, en abordant le développement du langage chez l’enfant puis celui des processus de lecture, que le décodage en lecture et la compréhension en lecture sont deux entités différentes. Ainsi, une atteinte de la compréhension en lecture dont peut effectivement souffrir un enfant dyslexique peut être une conséquence de sa dyslexie ou d’un trouble du langage, mais non un critère diagnostique d’une dyslexie.

 

La prévalence

En ce qui concerne la prévalence du trouble, Habib et Giraud (2013) rappellent que les critères diagnostiques, les méthodes d’évaluation ainsi que les facteurs socioculturels et économiques peuvent influencer la prévalence mesurée. Leur revue de littérature rapporte une prévalence qui varie entre 3-4 % et 15 %.

 

Les causes

La dyslexie n’est pas causée par une limitation intellectuelle générale. Un certain nombre de dyslexiques (environ 50 % selon Habib et ses collaborateurs [1999]) ont présenté dès l’enfance un retard d’acquisition du langage oral. À cet effet, Habib et Giraud (2013) mentionnent que la dyslexie peut être, en partie, une conséquence d’un malfonctionnement neurodéveloppemental affectant le traitement auditif, le développement du langage dans les premières années de vie de même que le langage expressif.

Par ailleurs, la mémoire de travail est aujourd’hui pointée du doigt comme étant l’une des fonctions cognitives les plus corrélées avec l’existence de la dyslexie, ce qui pourrait en faire un trouble découlant non pas d’un problème langagier mais de difficultés cognitives dites « instrumentales ». La mémoire de travail est cette capacité à manipuler mentalement des informations, informations qui peuvent être de nature auditive ou visuelle. Par exemple, chez près de 70 % d’un échantillon d’enfants, l’indice le plus faible au test d’intelligence qu’utilisent les psychologues et neuropsychologues – l’échelle de Wechsler (le WISC pour les enfants de 6 à 16 ans) – est celui de la mémoire de travail et non celui du langage (Varvara, Varuzza, Sorrentino, Vicari, & Menghini, 2014). Ces auteurs avancent que certaines épreuves de complexité élevée où l’enfant doit par exemple échanger les premiers phonèmes de deux mots pour en composer deux nouveaux (fusion phonémique), ce qui exige de combiner la conscience phonologique et la mémoire de travail, pourraient aller jusqu’à servir d’épreuves de dépistage de la dyslexie chez les petits, en ayant un rôle prédictif des habiletés en lecture.

 

Le pronostic

Le pronostic d’évolution et de rééducation varie d’une personne dyslexique à l’autre selon plusieurs facteurs : la sévérité du trouble, la nature et la fréquence de la rééducation, la présence de comorbidités ainsi le profil cognitif (par exemple, avoir ou non un TDA/H ; Yoshimasu, Colligan, Killian, Weaver, Katusic, 2011). En effet, divers facteurs peuvent avoir des impacts positifs ou négatifs sur l’évolution du jeune dyslexique. Entre autres, des facteurs de nature psychoaffective, dont l’anxiété, peuvent exacerber un trouble spécifique d’apprentissage ou rendre la situation encore plus difficile à gérer pour l’enfant dyslexique. Les facteurs environnementaux peuvent aussi jouer un rôle dans le développement d’un trouble spécifique des apprentissages (Peterson & Pennington, 2015). Par exemple, une exposition précoce à la littératie dans la famille peut influencer certains précurseurs au développement des processus de lecture, dont la richesse du vocabulaire. Si l’enfant est dyslexique, son trouble apparaîtra tôt ou tard, mais le pronostic pourrait être plus favorable. En revanche, des méthodes d’enseignement plus ou moins appropriées au style d’apprenant de l’élève ou un contexte familial perturbé peuvent nuire au cheminement. Les facteurs environnementaux ont un effet qui s’atténue au fil des ans : ils seraient plus importants durant les années préscolaires mais moindres au secondaire.

 

Certains faits se confirment

  • Le cerveau des dyslexiques ne traite pas les sons de la langue de la même façon que celui des normolecteurs (Paulesu et al., 1996). On parle en ce sens de déficit phonologique. Un déficit de la reconnaissance globale est plutôt en lien avec une atteinte de la perception et de l’attention visuospatiales (Paulesu, Danelli et Berlingeri, 2014). Il y a de multiples différences entre les cerveaux des sujets dyslexiques et ceux des normolecteurs et certains consensus émergent, dont celui que l’hypoactivation des régions temporopariétales de l’hémisphère gauche serait impliquée dans l’atteinte du traitement phonologique et celui que les régions occipitotemporales gauches seraient impliquées de façon importante pour la reconnaissance globale des mots.
  • La dyslexie développementale est de nature héréditaire dans plusieurs cas. Par ailleurs, le pronostic de rééducation d’un enfant dyslexique dont le parent, autrefois atteint, a réussi à bien compenser son handicap, s’avère meilleur que celui dont le parent demeure non fonctionnel sur le plan des habiletés de lecture.
  • Il y a une comorbidité dyslexie-dyscalculie chez un petit nombre d’enfants dyslexiques et cette comorbidité serait elle aussi apparemment déterminée par un facteur héréditaire (Badian, 1999). Sa prévalence peut atteindre jusqu’à 25 % chez certains groupes d’enfants de 7 à 12 ans (Landerl & Moll, 2010).
  • Les troubles visuoattentionnels peuvent être un facteur de risque additionnel qui interagit avec le déficit phonologique dans le contexte de la dyslexie (Valdois, 2014).

Il s’agit ici d’une brève synthèse de données empiriques pertinentes pour la compréhension de ce qu’est la dyslexie. Les chercheurs ont encore, bien entendu, des avenues à explorer.

 

Références

APA (American Psychiatry Association). (2015). DSM-5: Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (5e éd.) (version internationale). Traduction française par M. A. Crocq & J. D. Guelfi, Issy-les-Moulineaux, France : Elsevier Masson SAS.

APA (American Psychiatric Association). (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders (5e éd.). Arlington, VA: American Psychiatric Publishing.

Badian, N. A. (1999). Persistent arithmetic, reading, or arithmetic and reading disability. Annals of Dyslexia, 49, 45-70.

De Clerq-Quaegebeur, M., Casalis, S., Lemaitre, M. P., Bourgois, B., Getto, M., & Vallée, L. (2010). Neuropsychological profile on the WISC-IV of French children withn dyslexia. Journal of Learning Disabilities, 43(6), 563-574.

Habib, M., & Giraud, K. (2013). Dyslexia. Dans O. Dulac, M. Lassonde, & H. B. Sarnat (Éds), Handbook of Clinical Neurology (vol. 111) (pp. 229-235). Elsevier.

Habib, M., Espesser, R., Rey, V., Giraud, K., Bruas, P., & Gres, C. (1999). Training dyslexics with acoustically modified speech: Evidence of improved phonological performance. Brain and Cognition, 40(1), 143-146.

Landerl, K., & Moll, K. (2010). Comorbidity of learning disorders: prevalence and familial transmission. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 51(3), 287-294.

Lyytinen, H., Erskine, J., Hämäläinen, J., Torppa, M., & Ronimus, M. (2015). Dyslexia–Early Identification and Prevention: Highlights from the Jyväskylä Longitudinal Study of Dyslexia. Current Developpemental Disorders reports, 2(4), 330-338.

Paulesu, E., Frith, U., Snowling, M., Gallagher, A., Morton, J., Frackowiak, R. S. J., & Frith, C. D. (1996). Is developmental dyslexia a disconnection syndrome? Evidence from PET scanning. Brain: A Journal of Neurology, 119(Pt 1), 143-157. doi:10.1093/brain/119.1.143

Paulesu, E., Danelli, L., & Berlingeri, M. (2014). Reading the dyslexic brain: multiple dysfunctional routes revealed by a new meta-analysis of PET and fMRI activation studies. Front. Hum. Neurosci, 11.

Peterson, R. L., & Pennington, B. F. (2015). Developmental Dyslexia. Annual Review of Clinical Psychology, 11, 283-307.

Snowling, M. J., & Hulme, C. (2012). Annual research review: the nature and classification of reading disorders--a commentary on proposals for DSM-5. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 53(5), 593-607.

Valdois, S. (2014). Qu’entendre par déficit visuo-attentionnel en contexte dyslexique? Approche neuropsychologique des apprentissages chez l’enfant, no 128 (Quoi de neuf dans les Troubles Spécifiques de l’Aprentissage?), 26(1), 1-9.

Varvara, P., Varuzza, C., Sorrentino, A. C. P., Vicari, S., & Menghini, D. (2014). Executive functions in developmental dyslexia. Frontiers in human neuroscience, 8, art. 120. Repéré à http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fnhum.2014.00120/full

Yoshimasu K, B. W., Colligan RC, Killian JM, Weaver AL, Katusic SK. (2011). Written-language disorder among children with and without ADHD in a population-based birth cohort. Pediatrics, 128(3), 605-612.

Crédit photo: miluxian / 123RF Banque d'images

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