Comment parler aux tout-petits?

13/07/2016 09:38:06

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Il est largement reconnu que le langage utilisé par les adultes pour parler aux tout-petits a un impact sur leur développement langagier. Dans la majorité des cultures, les adultes parlent différemment aux bébés qu’aux adultes : ils emploient une voix plus aigüe, jouent avec leur intonation, adoptent un débit plus lent et font des pauses plus longues. Ils utilisent aussi des énoncés plus courts et plus simples, parfois télégraphiques (p. ex. : « Pomme! »; « Dodo bébé »). Cette façon de s’exprimer est appelée « langage adressé à l’enfant » (child-directed speech en anglais) (Sandbank & Yoder, 2016). Sur la base de cette réalité quasi universelle, plusieurs chercheurs se sont questionnés sur l’impact de l’utilisation d’énoncés télégraphiques sur l’apprentissage du langage.

 

Les enfants au développement langagier typique

Plusieurs faits scientifiques tendent à démontrer que, pour les enfants au développement typique, l’emploi d’énoncés grammaticaux par les adultes favorise davantage le développement du langage que l’utilisation d’énoncés télégraphiques (Sandbank & Yoder, 2016). En effet, les enfants des parents qui produisent des énoncés plus longs font généralement des énoncés plus longs aussi, donc des énoncés qui risquent davantage d’être corrects d’un point de vue grammatical (Barnes, Gutfreund, Satterly, & Wells (1983), dans Sandbank & Yoder, 2016).

On pourrait penser que les parents qui utilisent de plus longs énoncés s’ajustent simplement au langage de leur enfant, et non l’inverse. Toutefois, van Kleeck et Schwarz (2010) ont réalisé une méta-analyse qui a notamment permis de faire ressortir que les enfants au développement langagier typique produisant des énoncés de 1 à 2,49 mots comprennent mieux les énoncés grammaticaux que les énoncés télégraphiques. En supposant que les enfants doivent avoir entendu et compris des formes grammaticales avant de les utiliser, il s’agirait d’un argument en faveur de l’influence positive de l’emploi des énoncés grammaticaux par les adultes.

Fey, un chercheur qui a été interrogé par van Kleeck et Schwarz (2010) et qui prône l’emploi d’énoncés grammaticaux sur la base de ses recherches (Bredin-Oja & Fey, 2014; Fey, Marc & al., 2003) affirme que, bien avant d’être produits par les enfants, les mots de fonction, qui sont absents des énoncés télégraphiques, apportent des indices pour traiter et apprendre de nouveaux mots et de nouvelles formes grammaticales (Behrend, Harris, & Cartwright (1995), Golinkoff, Hirsh-Pasek, & Schweisguth (2001), Höhle & Weissenborn (2003), dans van Kleeck & Schwarz, 2010). En ce sens, les supprimer des énoncés priverait les enfants d’indices précieux. En outre, supprimer les mots de fonction de façon non systématique pourrait laisser croire qu’ils sont optionnels et ainsi créer une confusion dans la tête des enfants (Bredin-Oja & Fey, 2014).

 

Les enfants présentant des difficultés langagières

S’il existe des appuis scientifiques pour l’utilisation d’énoncés grammaticaux et non télégraphiques auprès des jeunes enfants au développement langagier typique, les faits scientifiques et les avis d’experts sont plus divergents en ce qui concerne les enfants présentant des difficultés langagières et se situant au début de leur développement langagier (van Kleeck & Schwarz, 2010).

Pourtant, l’impact de l’utilisation d’énoncés grammaticaux et télégraphiques sur cette population mérite d’être clair, car plusieurs programmes d’intervention qui lui sont destinés intègrent l’emploi d’énoncés télégraphiques comme stratégie. Par exemple, le Early Start Denver Model (Rogers & Dawson (2010), dans Sandbank & Yoder, 2016) recommande que l’entourage des enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme ajoute un mot au mot produit par l’enfant, ce qui donne parfois lieu à des productions télégraphiques de la part des adultes.

Van Kleeck et Schwarz (2010) ont analysé des études incluant des enfants présentant des difficultés langagières liées à un déficit cognitif modéré à profond. Les études qui mesuraient l’effet de différents traitements, dont l’emploi d’énoncés grammaticaux ou télégraphiques, n’ont pas montré de différences d’effets sur la compréhension du langage des enfants en fonction du type d’énoncés utilisés. Les études mesurant la compréhension immédiate des enfants en fonction du type d’énoncés employés ont mis en évidence que les énoncés grammaticaux étaient plus faciles à comprendre pour les enfants produisant des énoncés de 2 à 2,49 mots, mais pas pour les moins avancés.

Dans le même sens, Sandbank et Yoder (2016) ont mené une méta-analyse exploratoire pour vérifier s’il y a une corrélation entre la longueur moyenne des énoncés des parents d’enfants présentant des difficultés langagières[1] et les habiletés langagières de leurs enfants. La longueur moyenne des énoncés étant associée positivement à leur complexité grammaticale, les chercheurs se disaient qu’une corrélation démontrerait que les habiletés langagières des enfants influencent la complexité des énoncés que les parents leur adressent ou alors que les enfants ont un meilleur langage lorsque leurs parents produisent des énoncés plus complexes grammaticalement.

Les chercheurs ont établi qu’il n’y a pas de corrélation significative entre la longueur moyenne des énoncés des parents et les habiletés langagières de leurs enfants en difficulté, sauf pour les enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme. L’hypothèse selon laquelle les enfants autistes pourraient bénéficier d’une exposition à des énoncés plus longs demeure toutefois à démontrer. Pour le reste, les données de la méta-analyse n’apportent pas d’éclairage probant sur la question.

Miller et Kaiser, deux chercheurs interrogés par van Kleeck et Schwarz (2010), prônent l’emploi d’énoncés télégraphiques par l’adulte pour offrir un input simplifié à l’enfant en difficulté afin que celui-ci puisse se centrer sur le contenu des mots, mais dans certaines conditions seulement. Miller parle de les utiliser exclusivement pendant les premiers stades de développement du langage, dans un contexte thérapeutique et non lors des échanges quotidiens. Elle suggère aussi de ne pas avoir recours aux énoncés télégraphiques lorsqu’il s’agit d’allonger ce que l’enfant a dit. Dans le même sens, Kaiser suggère d’employer ces énoncés dans un contexte précis d’intervention auprès des enfants en difficulté qui utilisent des énoncés d’un mot ou qui vont bientôt produire des énoncés de deux mots, dans le but d’enseigner du vocabulaire ou des relations sémantiques simples. Elle recommande de poursuivre parallèlement l’emploi de phrases grammaticales.

À l’inverse, Weitzman et Fey, deux autres chercheurs interrogés par van Kleeck et Scharz (2010; Fey a été mentionné précédemment), croient que les énoncés télégraphiques risquent de priver les enfants en difficulté d’indices prosodiques, morphologiques et syntaxiques importants qu’ils pourraient comprendre. Weitzman ajoute qu’il n’y a pas de données scientifiques qui appuient le fait que les énoncés télégraphiques facilitent la compréhension des enfants en difficulté. Elle affirme qu’il y a d’autres stratégies probantes pour favoriser l’apprentissage des mots, comme ralentir le débit.

 

En conclusion

Les études et les experts convergent vers un fait : il est préférable de parler aux enfants au développement langagier typique avec des énoncés grammaticaux et non télégraphiques. Les experts s’entendent aussi sur le fait que le style télégraphique ne doit jamais être utilisé en tout temps et dans n’importe quel contexte avec les enfants présentant des difficultés langagières. Certains experts croient que les énoncés télégraphiques peuvent faire partie d’une thérapie orthophonique auprès des enfants qui ne combinent pas encore de mots, d’autres croient qu’ils ne devraient jamais en faire partie. D’autres études pourront éventuellement éclairer ce débat!

 

 Références

Bredin-Oja, S. L., & Fey, M. (2014). Children’s Responses to Telegraphic and Grammatically Complete Prompts to Imitate. American Journal of Speech-Language Pathology, 23, 15-26.

Fey, M., Long, M.H., & Finestack, L.H. (2003). Ten Principles of Grammar Facilitation for Children With Specific Language Impairments. American Journal of Speech-Language Pathology, 12, 3-15.

Sandbank, M., & Yoder, P. (2016). The Association Between Parental Mean Length of Utterance and Language Outcomes in Children with Disabilities: A Correlational Meta-Analysis, American Journal of Speech-Language Pathology, 25, 240-251.

van Kleeck, A., Schwarz, A. L., avec la collaboration de Fey, M., Kaiser, A., Miller, J., & Weitzman, E. (2010). Should We Use Telegraphic or Grammatical Input in the Early Stages of Language Development With Children Who Have Language Impairment? A Meta-Analysis of Research and Expert Opinion. American Journal of Speech-Language Pathology, 19, 3-21.

[1] Les diagnostics inclus étaient les suivants : trouble du spectre de l’autisme, syndrome de Down, déficience intellectuelle, paralysie cérébrale et trouble primaire du langage.

Crédit photo: Shutterstock

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