Depuis de nombreuses années, plusieurs chercheurs tentent de mieux comprendre les divers facteurs qui contribuent aux apprentissages des jeunes enfants. Selon plusieurs études, les interactions qui surviennent entre l’enfant et ses pairs ou entre l’enfant et des adultes sont déterminantes pour ces apprentissages. Dans cette perspective, les échanges permettent aux enfants d’apprendre à la fois à développer leurs habiletés sociales et à maitriser diverses notions ou divers concepts. En ce sens, une équipe de recherche de l’Université de Virginie a développé un outil d’observation visant à rendre compte des interactions contribuant à l’apprentissage (Pianta, LaParo, & Hamre, 2008). En s’appuyant sur une recension exhaustive des écrits portant sur les interactions soutenant l’apprentissage des enfants, ils ont développé le Classroom Assessment Scoring System (CLASS). Sur une décennie de recherches, ils ont pu développer et valider des versions de cet instrument pour des groupes d’enfants de différents âges (des enfants à la pouponnière aux élèves du secondaire).
Au fil des dernières années, diverses études ont été menées avec le CLASS Pre-K (la version destinée aux enfants de 3 à 5 ans). Dans une des premières études réalisées avec cet instrument (Hamre & Pianta, 2005), il a été démontré que lorsque le soutien émotionnel (expliqué plus loin) est élevé dans des classes de première année, les enfants considérés comme étant à risque de présenter des difficultés scolaires parviennent à obtenir des résultats semblables aux autres élèves. Par contre, lorsque ces élèves plus vulnérables se retrouvent dans des classes où le soutien émotionnel est plus faible, leurs résultats scolaires sont moins bons que ceux des autres enfants. En d’autres mots, la qualité du soutien émotionnel offert dans une classe, comme mesurée par le CLASS, constitue un facteur de protection sur le plan de l’apprentissage. D’autres travaux de recherche ont permis de démontrer qu’au préscolaire, les interactions enseignant-enfant plus efficaces sont associées à des scores plus élevés en littératie et en numératie, compétences clés pour les enfants au début de leur parcours scolaire (Mashburn et al., 2008).
Le CLASS a globalement suscité un grand intérêt dans la communauté scientifique internationale alors que des chercheurs de plusieurs pays l’ont utilisé pour mener des études (Cadima, Peixoto, & Leal, 2013; Pakarinen et al., 2010; Von Suchodoletz, Fäsche, Gunzenhauser, & Hamre, 2014). Dans une méta-analyse des systèmes d’évaluation de la qualité des services offerts aux jeunes enfants aux États-Unis, la qualité des interactions mesurée par le CLASS s’est avérée être le plus solide prédicteur des apprentissages des enfants (Sabol et al., 2013). Il semble donc que l’instrument permet de recueillir des informations précieuses dans les divers milieux accueillant de jeunes enfants. Pour ces diverses raisons, plusieurs projets de développement professionnel ont été mis sur pied ces dernières années à partir du CLASS Pre-k (voir notamment Cantin, Charron, Bouchard, & Lemire, accepté). Cet outil met d’ailleurs en évidence le fait que la qualité des interactions varie considérablement d’un milieu à un autre, tant dans les classes de maternelle que dans des services de garde à l’enfance (voir notamment Pianta, Barnett, Burchinal, & Thornburg, 2005; Bouchard, Cantin, Charron, Crépeau, & Lemire, accepté), de sorte que la simple fréquentation d’un milieu éducatif ne suffit pas en soi pour soutenir les enfants plus vulnérables : il importe que l’enfant vive des interactions d’un niveau de qualité élevé.
La version de l’instrument destinée aux enfants de 3 à 5 ans, le CLASS Pre-K, a été largement utilisée dans diverses études. Elle mesure la qualité des interactions en fonction de trois grands domaines : le soutien émotionnel, l’organisation du groupe et le soutien à l’apprentissage. Chacun de ces domaines se subdivise en dimensions (voir la figure 1). Ainsi, le soutien émotionnel est constitué du climat positif, du climat négatif, de la sensibilité de l’éducateur ou de l’enseignant et de la prise en considération du point de vue de l’enfant. Par ailleurs, l’organisation du groupe comprend les dimensions suivantes : gestion des comportements, productivité et modalités d’apprentissage. Finalement, le soutien à l’apprentissage regroupe le développement de concepts, la qualité de la rétroaction et le modelage langagier.
[caption id="attachment_3776" align="aligncenter" width="900"] Figure 1 : Domaines et dimensions du CLASS.[/caption]
Plus en détail, voici en quoi consiste chaque dimension (texte adapté du CLASS Dimensions Guide, Pre-K (Teachstone, 2015)) :
Climat positif
Dans les milieux où le climat positif est élevé, l’enseignant et les enfants développent des relations saines et chaleureuses. Les marqueurs comportementaux qui sont observés pour rendre compte des interactions pour cette dimension portent notamment sur la proximité physique de l’adulte avec les enfants, sa participation à des activités avec les enfants, les sourires et rires partagés, les marques de respect, l’utilisation des règles usuelles de politesse, etc.
Climat négatif
Cette dimension rend compte des sentiments négatifs qui sont exprimés dans un milieu, comme la colère, l’hostilité ou l’agressivité, que ce soit de la part de l’enseignant ou encore des enfants eux-mêmes. Parmi les marqueurs comportementaux observés pour cette dimension, il y a notamment la présence de commentaires sarcastiques ou irrespectueux, le recours à des menaces, à des cris, les réorientations physiques, les agressions entre pairs, etc.
Sensibilité de l’éducateur ou de l’enseignant
Cette dimension aborde la vigilance et la sensibilité de l’enseignant à l’égard des indices verbaux et non verbaux que les enfants émettent pouvant indiquer qu’ils vivent des difficultés tant émotionnelles que d’apprentissage. Les marqueurs comportementaux observés pour cette dimension comportent, entre autres, les comportements de l’adulte démontrant qu’il remarque les manques de compréhension des enfants et qu’il y répond de façon efficace et individualisée. D’autres marqueurs sont observés chez les enfants eux-mêmes, notamment leur participation active aux activités ainsi que la recherche de réconfort, au besoin, auprès de l’adulte.
Prise en considération du point de vue de l’enfant
Cette dimension porte sur l'importance que l’adulte accorde aux intérêts, aux motivations et aux points de vue des enfants, et ce, de manière intentionnelle et constante. Les marqueurs comportementaux observés sont notamment l’attribution de responsabilités aux enfants, l’encouragement à l’expression de leurs idées, la possibilité de prendre des décisions pour eux-mêmes, de faire des choix, etc.
Gestion des comportements
La gestion des comportements concerne les stratégies employées par l’adulte afin de permettre aux enfants de comprendre les attentes spécifiques quant à leurs comportements et de s’autoréguler. Parmi les marqueurs comportementaux observés pour cette dimension, se retrouvent notamment l’émission de consignes et d’attentes claires et maintenues avec constance, la présence d’interventions proactives, la redirection efficace des comportements inappropriés, le respect des règles par les enfants, etc.
Productivité
Cette dimension porte sur l’utilisation du temps disponible en classe. En d’autres termes, dans les groupes où la productivité est élevée, peu ou pas de temps est perdu pour des tâches d’organisation et des moments d’attente où les enfants sont passifs. Les marqueurs comportementaux portent entre autres sur la préparation de l’enseignant, la disponibilité du matériel, les transitions brèves entre deux activités, ou encore simplement le fait que des activités soient offertes aux enfants.
Modalités d’apprentissage
L’engagement des enfants dans diverses activités qui favorisent l’apprentissage est cerné dans cette dimension. Les marqueurs comportementaux qui sont observés portent d’une part sur les stratégies mises de l’avant par l’adulte, par exemple la possibilité offerte aux enfants de manipuler du matériel, plutôt que de simplement observer, et l’utilisation d’un éventail d’occasions d’apprentissage : visuelles, auditives, motrices. D’autre part, les marqueurs concernent également le comportement des enfants, par exemple l’intérêt qu’ils démontrent envers les situations offertes, leur attention, leur concentration, etc.
Développement de concepts
Le développement de concepts correspond aux moyens utilisés par l’enseignant pour permettre aux enfants d'en arriver à une plus grande compréhension de divers concepts. Dans cette dimension, les observations portent sur le recours intentionnel par l’adulte à des stratégies visant à aider les enfants à développer leur capacité de penser et de réfléchir par eux-mêmes. Les marqueurs comportementaux observés relevant de cette dimension sont, par exemple, la présence d’occasions où les enfants peuvent analyser, comparer, établir des liens entre diverses notions, résoudre des problèmes par eux-mêmes ou encore être créatifs et générer leurs propres idées.
Qualité de la rétroaction
Cette dimension permet de rendre compte dans quelle mesure l’enseignant fournit des rétroactions de manière constante aux enfants pour les amener à une compréhension plus approfondie de divers concepts. Les marqueurs comportementaux observés pour cette dimension comportent, entre autres, l’étayage offert par l’adulte, la présence d’échanges de type aller-retour, l’ajout d’informations spécifiques liées à ce qu’ils font ou à ce qu’ils expriment, la reconnaissance des efforts des enfants, etc.
Modelage langagier
Le modelage langagier rend compte des stratégies employées par l’adulte qui permettent aux enfants d’être exposés de manière constante à des formes et à des usages variés du langage. Ainsi, parmi les marqueurs comportementaux observés, il y a la présence de conversations significatives entre l’adulte et les enfants, la reformulation des propos des enfants dans des formes plus complexes, l’utilisation de questions ouvertes nécessitant des réponses plus élaborées, l’utilisation de l’autoverbalisation (décrire ses actions pour offrir un modèle aux enfants) et la verbalisation parallèle (décrire les actions des enfants), etc.
L’observation à l’aide du CLASS Pre-K s’effectue sur des cycles de 30 minutes, soit 20 minutes pour observer les diverses interactions en classe et une dizaine de minutes pour attribuer les scores selon les paramètres de l’outil. Quatre cycles d’observation dans une même demi-journée (2 heures au total) sont requis pour que les données soient considérées comme étant valides par les concepteurs de l’outil. Les scores s’étendent sur une échelle allant de 1 à 7. Un score de 1 ou 2 correspond à un niveau faible, un score de 3, 4 ou 5 à un niveau moyen et un score de 6 ou 7 à un niveau élevé de la qualité des interactions. La dimension climat négatif est par contre particulière, car elle rend compte de la présence d’interactions non souhaitables illustrant des tensions, des conflits entre les enfants ou encore avec l’adulte en présence. Par conséquent, pour cette dimension, le score doit être inversé, c’est-à-dire qu’un score de 1 ou 2 correspond à un niveau élevé de qualité.
La formation et la documentation sur le CLASS Pre-K ne sont pas offertes en français actuellement. Toutefois, des travaux de traduction ont été réalisés dernièrement et une édition en français pourrait être offerte d’ici quelques mois, ce qui facilitera certainement l’accès à cet outil très utile pour analyser les interactions qu’ont les enfants et ainsi optimiser leurs apprentissages.
Références
Bouchard, C., Cantin, G., Charron, A., Crépeau, H., & Lemire, J. (accepté). La qualité des interactions en classe de maternelle 4 ans à mi-temps. Revue canadienne de l’éducation.
Cantin, G., Charron, A., Bouchard, C., & Lemire, J. (accepté). Soutenir la qualité des interactions en maternelle par un dispositif de développement professionnel. Dossier des sciences de l’éducation.
Cadima, J., Peixoto, C., & Leal, T. (2013). Observed classroom quality in first grade: associations with teacher, classroom, and school characteristics. European Journal of Psychology of Education, 29(1), 139–158. doi: 10.1007/s10212-013-0191-4
Hamre, B. K., & Pianta, R. C. (2005). Can Instructional and Emotional Support in the First-Grade Classroom Make a Difference for Children at Risk of School Failure? Child Development, 76(5), 949-967. doi: 10.1111/j.1467-8624.2005.00889.x
Mashburn, A.J., Pianta, R.C., Hamre, B.K., Downer, J.T., Barbarin, O.A., Bryant, D., ... & Howes, C. (2008). Measures of classroom quality in prekindergarten and children's development of academic, language, and social skills. Child Development, 79(3), 732-749.
Pakarinen, E., Lerkkanen, M.-K., Poikkeus, A.-M., Kiuru, N., Siekkinen, M., Rasku-Puttonen, H., & Nurmi, J.-E. (2010). A Validation of the Classroom Assessment Scoring System in Finnish Kindergartens. Early Education and Development, 21(1), 95-124. doi: 10.1080/10409280902858764
Pianta, R. C., Barnett, W. S., Burchinal, M., & Thornburg, K. R. (2005). The effects of preschool education: what we know, how public policy is or is not aligned with evidence base, and what we need to know. Psychological Science in the Public Interest, 10(2) 49–88. doi: 10.1177/1529100610381908
Pianta, R. C., LaParo, K., & Hamre, B. K. (2008). Class Manual, Pre-K. Charlottesville, VA: Teachstone.
Sabol, T. J., Soliday Hong, S. L., Pianta, R., & Burchinal, M. R. (2015). Can rating pre-K programs predict children's learning? Science, 341, 845-846. doi: 10.1126/science.1233517
Teachstone (éd.). (2015). CLASS Dimensions Guide, Pre-K. Charlottesville, VA: Teachstone.
Von Suchodoletz, A., Fäsche, A., Gunzenhauser, C., & Hamre, B. K. (2014). A typical morning in preschool: Observations of teacher–child interactions in German preschools. Early Childhood Research Quarterly, 29(4), 509-519.
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