L’univers de l’écrit se découvre à petits pas… au fil des mots. À l’école et à la maison, l’enfant découvre l’orthographe des mots écrits à la fois par lui-même, à la fois par l’enseignement qu’il reçoit. Pour l’enfant en apprentissage, l’orthographe des mots de la langue française comporte bien des mystères et bien des défis! Notamment, on peut penser à la fameuse lettre muette à la fin d’un nom, d’un adjectif ou d’un verbe, ou encore à la lettre qui se double à l’intérieur d’un mot. Bien qu’elles suscitent leur lot de questionnements, ces particularités ne sont pas le fruit du hasard. La morphologie est souvent en arrière-plan… et les connaissances et habiletés qui lui sont reliées jouent un rôle important dans l’apprentissage et la maitrise de la langue écrite.
Deux billets vous sont présentés sous le thème des habiletés morphologiques et du langage écrit. Le billet de cette semaine aborde la morphologie et les liens qu’elle entretient avec l’orthographe, alors que celui de la semaine prochaine portera plus spécifiquement sur la conscience morphologique et sur son rôle dans l’apprentissage du langage écrit.
L’orthographe des mots au-delà de la phonologie
Maintenant bien connue dans les différents domaines entourant la littératie, la conscience phonologique joue un rôle de premier plan dans la mise en place des habiletés d’identification des mots et de l’orthographe en début de scolarisation (NICHHD, 2000). Son apport est majeur dans l’apprentissage des correspondances graphophonémiques (graphèmes/sons) et phonographémiques (sons/graphèmes), et leur application pour lire ou écrire un mot. L’analyse « son par son » qu’elle permet amène l’enfant à décoder et à orthographier correctement les mots nouveaux ou moins connus qui sont réguliers, c’est-à-dire ceux pour lesquels la conversion graphophonémique ou phonographémique est univoque et sans ambiguïté (p.ex. lire puma ou écrire calcul).
Mais qu’en est-il des mots comme camionneur, chat ou encore illégal? Si la stratégie utilisée est uniquement phonologique, le résultat ressemblera à camianeur, cha et ilégal en orthographe, alors que le sens des mots camionneur ou illégal en lecture demeurera obscur s’ils sont de prime abord inconnus. Une simple analyse phonologique mènera donc à des erreurs lorsque la forme orale d’un mot est insuffisante pour élucider sa forme écrite. Des connaissances linguistiques d’une autre nature doivent alors rapidement entrer en jeu pour que l’apprentissage du langage écrit se poursuive sans heurts. À cet effet, la morphologie est présente dans plus de 80 % des mots du français (Rey-Deboves, 1984). Celle-ci étant encodée dans l’orthographe, les connaissances et habiletés qui lui sont reliées sont une clé essentielle à l’apprentissage et à la maitrise du français écrit. Sur le plan développemental, la conscience morphologique prend ainsi graduellement le relai de la conscience phonologique, avec qui elle est par ailleurs étroitement liée…
De la morphologie à la connaissance morphologique
Le français est une langue riche sur le plan de la morphologie, ce qui est particulièrement exigeant à l’oral et à l’écrit pour l’élève en apprentissage. D’une part, la morphologie dérivationnelle permet, par la dérivation, la création de nouveaux mots à partir de mots déjà existants par l’ajout d’un affixe (p.ex. maison avec l’ajout du suffixe -ette donne maisonnette qui signifie « petite maison »; rouille avec l’ajout du préfixe anti- donne antirouille qui signifie « qui préserve de (contre) la rouille »). D’autre part, la morphologie flexionnelle réfère à la fonction grammaticale des mots (noms, adjectifs, verbes). La flexion permet de marquer le genre et le nombre des adjectifs et des noms (p.ex. le chandail vert [vɛʁ]/la jupe verte [vɛʁt]; l’examen final [final]/les examens finaux [fino]), de même que le temps et la personne pour les verbes (p.ex. il marche [maʁʃ]/il marchait [maʁʃɛ]; je marchais [maʁʃɛ]/il marchait [maʁʃɛ]; il peint [pɛ̃]/ils peignent [pɛɲ]). La dérivation est considérée comme fortement reliée au vocabulaire et la flexion, à la syntaxe (Carlisle, 2003; Spark & Deacon, 2015). Dans les deux cas, les affixes des mots sont encodés dans l’orthographe par des combinaisons spécifiques de graphèmes, qui sont communément appelés morphogrammes (p.ex. -ette, -erie, -ier/-ière; -ai dans la conjugaison).
Concrètement, comment la morphologie nous est-elle utile? Voici quelques exemples. Lors de la lecture d’un texte, comment est-il possible de comprendre le sens des mots brosserie et boutonnerie? Simple, vous me direz! En identifiant les bases brosse et bouton qui sont connues et le suffixe -erie dont le sens est « lieu de fabrication/de vente ». En effet, il est ainsi possible de déduire qu’il s’agit de lieux où l’on fabrique des brosses et des boutons, bien que ce soit la première fois que ces mots soient lus. Et comment est-il possible d’écrire le mot muret correctement du premier coup (et non pas murêt, murès ou murait), sachant qu’il s’agit d’un petit mur? Facile, me direz-vous! En écrivant la base mur tout en y ajoutant le suffixe diminutif -et. Et terminons avec une flexion : comment peut-on écrire bas sans confondre sa lettre muette? Hé oui… en se référant au féminin basse pour ainsi éviter les (fausses) options que sont bat, bax ou bad! La résolution de ces défis orthographiques s’appuie sur l’analyse morphologique des mots que vous avez faite, de façon consciente ou non, à partir de vos connaissances. Concrètement, cette analyse de la structure morphologique et la connaissance des affixes et de leur forme écrite permettent de comprendre et d’écrire correctement un nombre inouï de mots. Ainsi, l’élève en apprentissage a tout avantage à utiliser cette information inhérente aux mots pour devenir un lecteur-scripteur compétent.
Références
National Institute of Child Health and Human Development (NICHHD). (2000). Report of the National Reading Panel. Teaching children to read: an evidence-based assessment of the scientific research literature on reading and its implications for reading instruction: Reports of the subgroups (NIH Publication No. 00-4754). Washington, DC: U.S. Government Printing Office.
Rey-Debove, J. 1984. Le domaine de la morphologie lexicale. Cahiers de lexicologie, 45, 3-19.
Carlisle, J. F. (2003). Morphology matters in learning to read: A commentary. Reading Psychology, 24, 291-322.
Sparks, E., & Deacon, H. S. (2015). Morphological awareness and vocabulary acquisition: A longitudinal examination of their relationship in English-speaking children. Applied Psycholinguistics, 36(2), 299–321.
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