Comment faciliter l'apprentissage de l'identification de mots en lecture? (partie 2)

13/10/2021 13:00:00

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Il a été expliqué dans le billet précédent  que, pour apprendre à identifier correctement les mots en lecture, l’élève s’appuie sur certains apprentissages préalables. En effet, à la maternelle, il apprend le nom et la calligraphie des lettres, et il développe sa conscience phonologique en comprenant le principe alphabétique. Il enrichit aussi son vocabulaire. Une fois que l’élève a suffisamment développé ces connaissances et ces habiletés, il est plus prêt à recevoir un enseignement formel plus poussé en 1re et en 2e année pour apprendre à identifier des mots.

L’apprentissage des correspondances graphèmes-phonèmes

À partir de la 1re année du primaire, l’élève doit apprendre de façon formelle le son (phonème) des lettres (graphèmes), ou les correspondances graphèmes-phonèmes. Les correspondances graphèmes-phonèmes doivent être rapidement mises à profit pour lire des mots par décodage. Cette procédure permet d’identifier les mots en retrouvant les phonèmes correspondant aux graphèmes d’un mot puis en fusionnant ces phonèmes pour trouver la prononciation de ce mot et, par le fait même, sa signification. Pour ce faire, l’élève doit: (1) reconnaitre les graphèmes; (2) les convertir en phonèmes; (3) utiliser sa conscience phonologique pour fusionner ces phonèmes de manière à découvrir la prononciation du mot; (4) trouver le sens du mot dans son vocabulaire (Castles, 2006; Coltheart et al., 2001). 

Pour apprendre les correspondances graphèmes-phonèmes, l’élève utilise sa connaissance du nom des lettres ainsi que sa conscience phonologique des sons (Cardoso-Martins et al., 2011; Treiman et al., 2008). Cet apprentissage est facilité par le fait que le nom des lettres contient souvent un son qui lui est associé (p. ex., le nom de la lettre qui se prononce «bé» commence par le son /b/, le nom de la lettre qui se prononce «èsse» finit par le son /s/). En sachant le nom des lettres, l’élève peut plus facilement mémoriser l’un des sons qui leur sont associés en utilisant sa conscience phonologique pour repérer ce son dans le nom de la lettre (Cardoso-Martins et al., 2011; Foy & Mann, 2006; Share, 2004). Les études démontrent que les enfants utilisent cette astuce plus facilement pour les lettres dont le nom commence par leur son (p. ex., la lettre b) que pour les lettres dont le son se trouve à la fin de leur nom (p. ex., la lettre s) (Cardoso-Martins et al., 2011; Treiman et al., 2008). 

Les enfants les meilleurs pour apprendre les correspondances graphèmes-phonèmes sont ceux qui connaissent bien le nom des lettres et qui ont des bases de conscience phonologique des sons. L’étude de Kim et al. (2010) révèle que lorsque le nom des lettres est connu, la possibilité de connaitre un son qui leur est associé passe de 40 % à 82 % avec de bonnes habiletés de conscience phonologique. Lorsque le nom des lettres n’est pas connu, la probabilité de connaitre le son qui leur est associé passe de 3 % à 11 % avec de bonnes habiletés de conscience phonologique. Il est donc clair que la conscience phonologique et la connaissance du nom des lettres sont importantes pour l’apprentissage des correspondances graphèmes-phonèmes.

En réalité, la conscience phonologique joue un double rôle dans l’apprentissage de l’identification des mots: l’habileté à repérer un phonème dans un mot facilite l’apprentissage des correspondances graphèmes-phonèmes et l’habileté à fusionner les phonèmes est une étape essentielle de la procédure de décodage. Il est donc toujours important de miser sur la conscience phonologique de phonèmes en 1re année du primaire, d’autant plus que l’apprentissage des correspondances graphèmes-phonèmes favorise habituellement le développement d’habiletés de conscience phonologique plus poussée en lien avec les phonèmes (Blaiklock, 2004; Carroll et al., 2003; Foy & Mann, 2006; Mann & Wimmer, 2002). 

Il est à noter que des séquences d’enseignement des correspondances graphèmes-phonèmes du français sont proposées par Perez (2014) et Sprenger-Charolles (2017). Selon ces auteurs, la fréquence des graphèmes dans les mots, leur consistance (leur tendance à faire le même son ou non), leur complexité (le nombre de lettres dans le graphème) et la facilité à percevoir et isoler leur son (sons qui s’étirent ou qui explosent) sont des facteurs dont on peut tenir compte pour guider le choix de cette séquence d’enseignement. 

Du décodage vers la fluidité 

L’apprentissage du décodage est une étape importante, car cette procédure permet à l’élève de mieux mémoriser l’orthographe des mots plutôt que de tenter de les mémoriser en prenant une «photo globale» du mot. En effet, c’est en scannant le mot plusieurs fois de gauche à droite avec succès par la procédure de décodage que l’élève finit par mémoriser la séquence des lettres des mots de façon précise (Share, 2004). Lorsque cette séquence est mémorisée, l’élève n’a plus besoin de décoder le mot; il n’a qu’à le regarder pour le reconnaitre et accéder à son sens, comme la plupart des adultes. Il utilise alors une procédure orthographique, c’est-à-dire qu’il reconnait l’orthographe du mot de façon rapide et précise (Castles, 2006; Coltheart et al., 2001). Lorsque plusieurs mots commencent à être reconnus de façon automatique par la procédure orthographique, l’élève accède progressivement à la fluidité en lecture. 

Il est important de préciser qu’il existe des mots qui se mémorisent rapidement, sans pour autant que l’élève ait besoin de les décoder. Ces mots sont habituellement courts et fréquents dans les textes (p. ex. les pronoms, les déterminants, les prépositions) ou encore irréguliers (p. ex. monsieur qui ne se prononce pas comme il s’écrit). Des auteurs (entre autres Giasson, 2011) proposent des listes de mots courts fréquents de la langue française qui peuvent être enseignées par exposition fréquente, sans avoir nécessairement recours à la procédure de décodage pour les mémoriser. En d’autres mots, il s’agit de les lire et de les écrire fréquemment pour les retenir. La reconnaissance automatique de ces mots courts et fréquents est un apprentissage qui est habituellement maitrisé à la fin de la 1re année du primaire (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2011).

En 1re année, les élèves lisent tout d’abord mot à mot, puis par groupe de mots (p. ex., déterminant + nom). C’est surtout en 2e année qu’ils gagnent en vitesse et qu’ils lisent par phrase en respectant la ponctuation. À ce stade, ils lisent généralement avec précision et augmentent progressivement leur vitesse à condition de lire régulièrement. En plus d’inclure la précision et la vitesse, la fluidité en lecture comprend aussi l’intonation permettant de produire une lecture expressive. Cet aspect de la fluidité s’installe surtout à partir de la 3e année du primaire (Giasson, 2011).

À partir de la 2e année du primaire, l’enseignement de la conscience phonologique devrait laisser place à l’enseignement de la conscience morphologique (St-Pierre et al., 2020). En effet, les enseignants doivent discuter explicitement des morphèmes dans les mots, c’est-à-dire des racines et des affixes (dé-construc-tion) ainsi que du radical et des terminaisons (mang-ent). La conscience morphologique permet aux enfants de commencer à lire par morphèmes les mots qui sont composés de plusieurs morphèmes et d’accéder plus facilement au sens de ces mots. En effet, contrairement aux phonèmes, les morphèmes sont porteurs de sens.

La conscience morphologique aide non seulement l’identification des mots en lecture, mais aussi l’orthographe des mots en écriture, car les morphèmes changent peu d’orthographe à travers les différents mots (St-Pierre et al., 2020). Il est important de souligner que l’apprentissage et la pratique de l’orthographe des mots aident aussi à l’apprentissage de l’identification des mots (Gill Jr, 1989). Les enseignants doivent donc non seulement montrer à lire les mots, mais aussi à les écrire. Le choix des mots à lire et à écrire doit tenir compte le plus possible des enseignements effectués en matière de correspondances graphèmes-phonèmes. 

En somme, au début du primaire, l’enseignement de l’identification de mots revient à enseigner les correspondances graphèmes-phonèmes et le décodage, favoriser l’exposition aux mots courts et fréquents ou irréguliers, et encourager le développement de la conscience morphologique. Il passe aussi par différentes stratégies d’identification de mots en lecture. Cependant, il est essentiel de bien contextualiser ces stratégies afin que l’élève gagne en efficacité. Lorsqu’un élève ne reconnait pas un mot instantanément, il devrait utiliser les correspondances graphèmes-phonèmes pour décoder le mot comme première stratégie de lecture. Si les correspondances graphèmes-phonèmes nécessaires pour décoder le mot en question sont inconnues, l’enseignant peut montrer aux élèves d’autres stratégies pour deviner le mot comme regarder les illustrations et lire les mots qui se trouvent avant et après le mot inconnu. Ces stratégies sont aussi utiles lorsqu’un élève réussit à décoder le mot qui n’est pas dans son vocabulaire. Toutefois, l’élève ne devrait avoir recours à ces stratégies pour «deviner» un mot que lorsque la stratégie de décodage n’est pas efficace.

Les habiletés nécessaires à la compréhension en lecture

Les compétences en lecture s’ancrent dans deux domaines: les connaissances et les habiletés liées au code (nom des lettres, conscience phonologique et correspondances graphèmes-phonèmes) et celles liées au sens (vocabulaire, langage oral et compréhension) (Storch & Whitehurst, 2002; Whitehurst & Lonigan, 1998). L’enseignement systématique et explicite des connaissances et habiletés liées au code et au sens est important (National Reading Panel, 2000; Snow, 2002). Un retard dans l’un de ces deux domaines tend à empirer pendant les premières années du primaire (Cunningham & Stanovich, 1997; Stanovich, 1986) et devient ardu à rattraper après la 3e année du primaire (Fletcher & Foorman, 1994; Spira et al., 2005). 

Même si le début de l’apprentissage formel de la lecture repose surtout sur les habiletés et les connaissances liées au code, l’enseignement des habiletés langagières comme le vocabulaire, les expressions et les structures de phrases du registre de l’écrit, les habiletés à faire des inférences, les habiletés à parler explicitement des composantes de la langue (la métalinguistique) et de sa pensée (la métacognition) ne doit pas être négligé au profit de celui des habiletés liées au code, et ce, dès le début du parcours scolaire des élèves. Il est essentiel de garder un équilibre entre l’enseignement des connaissances et des habiletés liées au décodage et celui des habiletés langagières afin de s’assurer de développer les habiletés de compréhension en lecture.

Références

Blaiklock, K. E. (2004). The importance of letter knowledge in the relationship between phonological awareness and reading. Journal of Research in Reading, 27(1), 36 57.

Cardoso-Martins, C., Mesquita, T. C. L., & Ehri, L. (2011). Letter names and phonological awareness help children to learn letter-sound relations. Journal of Experimental Child Psychology, 109(1), 25-38.

Carroll, J. M., Snowling, M. J., Stevenson, J., & Hulme, C. (2003). The development of phonological awareness in preschool children. Developmental Psychology, 39(5), 913-923.

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Coltheart, M., Rastle, K., Perry, C., Langdon, R., & Ziegler, J. (2001). DRC: a dual route cascaded model of visual word recognition and reading aloud. Psychological Review, 108(1), 204-256.

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Fletcher, J. M., & Foorman, B. R. (1994). Issues in definition and measurement of learning disabilities: The need for early intervention. Dans G. R. Lyon (dir.), Frames of reference for the assessment of learning disabilities: New views on measurement issues (pp. 185-200). Brookes Publishing.

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Gill Jr, J. T. (1989). The relationship between word recognition and spelling in the primary grades. Reading Psychology: An International Quarterly, 10(2), 117-136.

Kim, Y. S., Petscher, Y., Foorman, B. R., & Zhou, C. (2010). The contributions of phonological awareness and letter-name knowledge to letter-sound acquisition—a cross-classified multilevel model approach. Journal of Educational Psychology, 102(2), 313-326.

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Pérez, M. (2014). Proposition de hiérarchisation des 45 graphèmes de base de l’orthographe du français. SHS Web of Conferences, 8, 1125-1140. Repéré à https://www.shs-conferences.org/articles/shsconf/pdf/2014/05/shsconf_cmlf14_01178.pdf

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Spira, E. G., Bracken, S. S., & Fischel, J. E. (2005). Predicting improvement after first-grade reading difficulties: the effects of oral language, emergent literacy, and behavior skills. Developmental Psychology, 41(1), 225-234.

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St-Pierre, M.-C., Déry, E., Caron, V., & Arteau, M. (2020). Conscience morphologique: pistes d’action pour favoriser son développement et son utilisation à l’oral et à l’écrit dans les apprentissages scolaires. Dans N. Chapleay & M.-P. Godin (dir.), Lecteurs et scripteurs en difficulté. Propositions didactiques et orthodidactiques (pp. 125-151). PUQ.

Stanovich, K. E. (1986). Matthew effects in reading: Some consequences of individual differences in the acquisition of literacy. Reading Research Quarterly, 21(4), 360-367.

Storch, S. A., & Whitehurst, G. J. (2002). Oral language and code-related precursors to reading: evidence from a longitudinal structural model. Developmental Psychology, 38(6), 934-947.

Treiman, R., Pennington, B. F., Shriberg, L. D., & Boada, R. (2008). Which children benefit from letter names in learning letter sounds? Cognition, 106(3), 1322 1338.

Whitehurst, G. J., & Lonigan, C. J. (1998). Child development and emergent literacy. Child Development, 69(3), 848-872.

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